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Record de l'heure : le retour de flamme d'un vieux tube de l'athlétisme

Courir pendant une heure sur piste, à fond, pour faire le plus de kilomètres possible. Cette discipline, l’heure sur piste, délaissée depuis trente ans, revient au goût du jour grâce à la crise du Covid-19.
Mo Farah, à Londres, le 12 mai. (Photo Dylan Martinez. Reuters )
publié le 4 septembre 2020 à 12h36

Ce vendredi soir à Bruxelles, lors du meeting Mémorial Van Damme, Mo Farah, athlète britannique multimédaillé aux Jeux olympiques de 2012 et de 2016, tentera de battre le record du monde de l'heure. Farah qui, dernièrement, a davantage affolé les gazettes pour ses liens avec son ancien et sulfureux entraîneur Alberto Salazar que pour ses exploits athlétiques, s'est donné comme objectif de courir plus de 21 285 mètres, limite fixée par l'Ethiopien Haile Gebrselassie en 2007, sur la piste d'Ostrava (République tchèque).

L’heure sur piste, oubliée dans le monde de l’athlétisme en réalité depuis une bonne trentaine d’années, vit un nouvel élan grâce à la crise du Covid-19. Les règles sanitaires actuelles qui doivent aussi être respectées dans le milieu de l’athlétisme ne permettent pas la tenue des courses sur route : 10 kilomètres, semi-marathons ou marathons.

Quelques exceptions ont été et seront faites pour les marathons les plus dotés en primes au monde. Le marathon de Tokyo a été couru en avril avec, au départ, seulement les athlètes élites, invités et payés par les organisateurs – une quarantaine au total entre filles et garçons. Le prochain marathon de Londres (4 octobre) se tiendra aussi selon cette formule, à la différence près du parcours : ce ne sera pas le classique, mais un circuit d’environ 2 kilomètres, à répéter plusieurs fois. Un peu comme un marathon sur une piste, où l’on répète les passages sur l’anneau de 400 mètres. De plus, les coureurs élites, comme Farah, peuvent courir en une heure un semi-marathon (21 097 mètres) ou presque, distance qu’ils utilisent comme test, normalement quatre à cinq semaines avant de disputer un marathon.

C'est le cas de Sondre Moen, ancien détenteur du record d'Europe (2h 05' 48'') de marathon avant que Mo Farah (2h 05' 11'') lui-même l'efface des tablettes et, après lui, le Kényan naturalisé turc Kaan Kigen Ozbilen (2h 04' 16''). Le 7 août, Moen (29 ans) a couru pendant une heure sur la piste de Kristiansand, en Norvège, en parcourant 21 131 mètres. Il a donc battu le record d'Europe de Jos Hermens, 20 994 mètres, établi en 1976. Ce record n'a cependant pas encore été validé à cause d'une embrouille sur les chaussures que Moen a utilisées, les Nike Vaporfly Next, d'abord permises, puis, à quatre jours de la compétition, retirées de la liste des chaussures homologuées sur la piste par World Athletics. «Trop tard pour pouvoir changer de chaussures, d'autant plus que Sondre a un avis médical pour les utiliser à cause de ses problèmes aux tendons», explique son agent Chiara Davini. Qu'importe, la prestation reste de valeur et le Norvégien de Trondheim sera au départ du marathon de Londres en essayant de se réapproprier le record d'Europe de cette distance olympique par excellence.

Une histoire riche

Depuis, le marathonien tricolore Morhad Amdouni a annoncé qu'il souhaitait s'emparer du record de France de l'heure et qu'il tentera de le battre le 19 septembre sur la piste du stade Charles-Galletti de Lucciana, en Corse. Amdouni devra courir plus de 20 601 mètres, distance couverte par Bertrand Itsweire en 1990. Ce jour-là, sur l'anneau rouge de La Flèche, petite ville sarthoise, Dominique Chauvelier était là, avec une double casquette : «J'organisais et je courais ! Pour faire de bonnes performances ce n'était pas top, mais l'engouement autour de cette manifestation était magnifique», se rappelle l'ancien international français, détenteur des records de France de 25 000 et 30 000 mètres, et avant tout médaillé de bronze aux Championnats d'Europe de Split sur marathon en 1990.

«L'athlétisme de l'époque n'avait pas le calendrier truffé de courses sur route comme aujourd'hui. Le premier meeting pour courir l'heure sur piste, on l'avait organisé à La Flèche, ma ville natale et celle de mon club, en 1989. En 1990, on voulait battre le record du monde. Le Portugais Castro le loupe d'un chouïa, mais Bertrand Itsweire signe le record de France qui en est encore là depuis. Et fin 1991, on invite le Mexicain Barrios qui finalement bat le record du monde [qui a tenu jusqu'en 2007, ndlr]. Il y avait 5 000 personnes à regarder la télé, la presse : une ambiance de folie, détaille le Sarthois. Puis les courses sur route se sont développées, les athlètes africains ont débarqué sur les compétitions européennes, tout le panorama a changé. A mon époque on gagnait bien sa vie en courant à haut niveau, aujourd'hui il n'y a vraiment pas beaucoup d'argent dans l'athlétisme», analyse Chauvelier, dont l'enthousiasme pour la course à pied reste intact. «J'avais décidé de monter ces meetings de l'heure sur piste parce que j'étais fasciné par les records de l'heure cyclistes, en particulier par les records de Francesco Moser vers la fin des années 80. Puis c'est parlant pour les gens : tu sais combien de kilomètres tu peux courir en une heure, c'est aussi simple que ça !»

Le record du monde et le record de France réécrits ?

En lisant la chronologie du record de France de l'heure, on découvre des monuments de l'athlétisme tricolore parmi lesquels Jean Bouin et Alain Mimoun. Le record tricolore et le record du monde sont-ils donc en passe d'être battus ? «Je crois aux possibilités de Mo Farah, l'heure sur piste c'est un effort pour un pistard, un spécialiste de 10 000 mètres comme Farah. Pour Amdouni… Bon, il y avait un très beau championnat de France de 10 000 le week-end dernier à Pacé, en Bretagne, où les meilleurs Français étaient présents, lui n'y était pas… On a l'impression qu'il se cache ; j'ai l'impression qu'il n'est pas trop aimé des autres. J'ai du mal à voir qui peut l'aider à battre ce record parmi les Français… Sauf s'il se fait aider par des Africains. Mais bon, même dans ce cas, sa prestation donnera du grain à moudre. Il ne faut pas trop rêver, quand même», réfléchit Chauvelier. Qui a une idée derrière la tête : «Organiser un meeting sur l'heure pour les femmes [à Bruxelles, ce vendredi soir, les femmes s'affronteront aussi sur l'heure], et essayer de démocratiser cette spécialité avec un événement populaire, en créant un petit circuit dans une belle avenue de nos villes françaises.» L'avenir de la course à pied se trouverait-il dans le passé ?