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Mêlée-mélo

Rugby : le début du Top 14 souffre du Covid-19

Pour cause de cluster au Stade français, le match qui devait opposer l'équipe parisienne à Bordeaux est reporté. Un début de championnat de France perturbé, alors que les clubs, très dépendants des recettes de billetterie, s'alarment de la limitation du nombre de spectateurs.
Les joueurs du Stade français lors d'un entraînement, le 11 juin à Paris. (Photo Franck Fife. AFP)
publié le 4 septembre 2020 à 14h35

Ubuesque. Le rugby professionnel français s'apprête à sortir ce week-end des cinq mois et demi de coma artificiel dans lequel il était plongé suite à la suspension des compétitions sportives, victimes collatérales du coronavirus. Et la fête débute par un match reporté ce vendredi, à cause de la pandémie. Tandis qu'elle se clôturera dimanche dans un stade auvergnat auquel un préfet magnanime a accordé une dérogation, afin que 10 000 spectateurs puissent y prendre place. Ainsi, même pas encore ressuscité, marche le Top 14 : au bord du précipice.

L’ouverture avortée en question devait opposer le Stade français à Bordeaux. Manque de bol, le club parisien a été autopropulsé champion de France du cluster. Il est rentré d’un stage à Nice début août avec vingt-sept membres, joueurs et staff confondus, testés positifs au coronavirus, certains présentant en outre des lésions pulmonaires.

Une hécatombe dans laquelle figurent neuf des onze joueurs de première ligne, rendant de facto impossible la tenue du match, sachant que le club n’avait par ailleurs pas pu effectuer la moindre rencontre de préparation. Un rien fumasse, l’adversaire du jour, Bordeaux, n’aura plus qu’à regarder Canal +… Et continuer de ruminer un championnat fini en queue de poisson au printemps, alors qu’il caracolait en tête de la saison régulière.

Une saison elle-même un rien faisandée puisque affectée par la Coupe du monde puis par le Tournoi des six nations qui, de longues semaines durant, avaient privé les meilleures équipes (en tête, Toulouse, champion de France en titre) de tous leurs internationaux, français comme étrangers. Mais le Covid a donc (moralement ?) tout réglé et, la saison abrégée, n’a fourni ni vainqueur, ni vaincu.

Equation économique

Quelques mois et bien des cogitations plus tard, on prend les mêmes et on recommence, vaille que vaille, au gré des bulletins médicaux faisant état de contrôles positifs par-ci par-là (Lyon, Agen, Montpellier, Racing 92), en priant pour qu'ils ne sabotent pas le frêle esquif sur lequel vogue désormais le rugby français. «La situation risque de demeurer longtemps compliquée et nous partons a priori tous égaux face à la pandémie. C'est un défi qui transforme chaque match en défi prioritaire, en attendant le suivant, avec, comme mot-clé, l'adaptabilité», philosophait jeudi en conférence de presse, Jono Gibbes, manager néo-zélandais du Stade Rochelais.

Au challenge sportif se superpose une équation économique déconseillée aux migraineux. Car, contrairement au foot qui tire l'essentiel de ses revenus des droits télé et du trading (la vente de joueurs, à l'étranger en l'occurrence), le rugby, lui, repose en moyenne aux deux tiers sur la vie au stade, à travers les recettes de partenariat et de billetterie – les droits télé ne pesant qu'environ 20%. «La situation est préoccupante, déclarait fin mai à l'AFP Thomas Lombard, directeur général du Stade français (et ses homologues, à l'unisson). Le pire c'est le huis clos ou la jauge partielle de 5 000 spectateurs maximum, car cela nous coupe de la quasi-totalité de nos revenus.»

«La certitude de l’incertitude»

Au crépuscule de l'été, le sourire revient. Mais la circonspection n'a pas disparu pour autant. «La seule certitude, c'est l'incertitude», observe Jacky Lorenzetti, président du Racing 92, à la veille de la reprise du «Covid-14», où prévaut une «terrible envie d'en découdre sur le terrain» contrebalancée par les sueurs froides de la calculette. Son stade (couvert), la Paris la Défense Arena, repose sur un modèle économique mixant sport et divertissement à très grande échelle. Or toutes les tournées musicales sont en cale sèche et le rugby s'apprête chez lui à vivoter, dans un club qui emploie cent personnes et repose sur 28 millions d'euros de budget.

«J'ai 30 000 places et la préfecture m'en autorise 5 000 car nous sommes en zone rouge [alors qu'à Clermont, Michelin sera plus qu'à moitié plein, dimanche, pour recevoir Toulouse, ndlr]. Nous avons pourtant présenté un dossier en béton il y a un mois et demi, avec des filtres à particules pour empêcher le virus d'entrer, une augmentation du débit de la ventilation, etc.» Nada. Alors, Jacky Lorenzetti se donne «un mois pour y voir plus clair», en espérant par ailleurs que les représentants de la Ligue et du Top 14 ont ému le gouvernement. En début de semaine ils sont allés quémander auprès du directeur de cabinet du Premier ministre des aides significatives, du style exonération des charges sociales.

Tout ceci dans une pétaudière où il faut également finir les Coupes d’Europe 2019-2020 interrompues au stade des quarts de finale, puis jouer celles du cru 2020-2021 dans une nouvelle formule (plus d’équipes, moins de matches – au point de confusion où on en est…). Mais il faut aussi tenir tête aux exigences du XV de France qui doit aussi boucler son Tournoi 2020 et surtout veut enquiller les test-matchs (donc séquestrer les internationaux) afin de renflouer des caisses vides (sur fond d’élection tendue à la présidence de la Fédération début octobre). Et redorer l’image d’un sport ternie par un nouveau décès de joueur (amateur) sur un terrain, le 29 août à Saint-Gaudens, quand bien même l’autopsie pratiquée aurait conclu à une «anomalie cardiaque innée». Que le meilleur gagne. Pour autant qu’on puisse arriver jusqu’à une finale – le 26 juin 2021, pour info – qui n’a jamais paru si lointaine.