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Tour de France : Thibaut Pinot, éternel tournant

Tour de France 2020dossier
Le Français, handicapé par des douleurs au dos, a perdu le Tour de France ce samedi vers Loudenvielle, dans les Pyrénées. Son compatriote Nans Peters s’impose en solitaire et le Britannique Adam Yates conserve le maillot jaune.
Thibaut Pinot pendant la huitième étape entre Cazères-sur-Garonne and Loudenvielle, ce samedi. (KENZO TRIBOUILLARD/Photo Kenzo Tribouillard. AFP)
publié le 5 septembre 2020 à 20h55

«Je gagne le Tour de France à 30 ans. Et j’arrête ma carrière sur-le-champ.» Thibaut Pinot expliqua un jour pourquoi il lui fallait gagner. Pour pousser un gigantesque soupir de soulagement. Pour sortir d’un entonnoir très noir. Nous sommes quelque part en 2018. Avant de prolonger son contrat au-delà de la date fatidique, le grimpeur grave et léger se donnait deux ans pour quitter ce tunnel de questions et entrer dans ce que beaucoup considèrent comme la lumière absolue, un maillot jaune et la gloire (il manque toujours sur la tablette un nom de coureur français depuis Bernard Hinault en 1985). Après quoi, il se voyait repartir dans une vie d’ermite tranquille.

Pinot sentait s’ankyloser sa carrière débutée en 2010, s’empiler les fatigues du corps et de la tête, peser la masse critique de cette interrogation poison sur sa capacité à remporter le Tour. On le voyait si près mais loin. On insinuait qu’il pouvait gagner mais qu’il ne le voulait pas. Qu’il provoquait sa malchance, fabriquait ses maladies, qu’une minuterie interne le bloquait toujours au moment où d’autres faisaient basculer le destin du bon côté. Belle légende mais fausse, comme toutes les belles légendes : on oubliait que certains adversaires s’étaient rendus invulnérables au moyen du dopage et d'autres surmédicalisations qui le dégoûtaient. Mais Pinot accepta de se donner deux ans pour répondre à la question : quelle trace pouvait-il laisser dans l’histoire ?

«C’est trop d’échecs pour moi»

Nous sommes le 5 septembre 2020 et il dit : «Aujourd'hui, c'est peut-être un tournant dans ma carrière. C'est trop d'échecs pour moi. J'ai toujours dit que le vélo, c'est se battre, c'est de prendre du plaisir.» Le coureur de la Groupama-FDJ a perdu quelque vingt minutes ce samedi et toute chance de s'adjuger la victoire, distancé dans la première étape des Pyrénées entre Cazères (Haute-Garonne) et Loudenvielle (Hautes-Pyrénées). Le Français Nans Peters (AG2R la Mondiale) s'impose dans une échappée solitaire et le Britannique Adam Yates (Mitchelton-Scott) conserve le maillot jaune malgré les assauts de ses rivaux. Distancé dans le port de Balès, à quarante kilomètres de l'arrivée, entouré de ses équipiers, Pinot semble souffrir de sa chute survenue une semaine plus tôt dans la première étape autour de Nice. Une centaine de coureurs environ ont dérapé sous la pluie mais il est le seul grand nom à en payer le prix à retardement. C'est ce qu'il appelle «échec».

Il y a quatre ans déjà, Pinot avait juré de ne plus remettre les pieds ici. Déjà barré par des angines, bronchites, chutes… Il avait explosé l'écran en 2012, terminé troisième en 2014, remporté l'Alpe d'Huez en 2015, il avait surmonté ses faiblesses et ses aversions (les descentes, les bordures, la pression des autres), mais il ne se rappelait que du pire. Il se détourna vers le Tour d'Italie, une aventure plus familiale, généreuse en montagne, tout ce qu'il aime. Ses prestations (quatrième en 2017, sur le point de monter sur le podium final en 2018 lorsqu'il fut touché par un accès de fièvre) lui ont donné l'appétit de retenter sa chance en France.

Nouvel inachevé

Son Tour de France 2019 demeure une longue sinusoïde. Le très haut suivi du très bas. Sommets : son échappée avec Julian Alaphilippe vers Saint-Etienne, son succès au Tourmalet, sa cadence légère le lendemain en Ariège qui pouvait laisser augurer de grosses perspectives dans les Alpes. Creux de la courbe : sa défaite dans une bordure et, surtout, une douleur qui le fait abandonner dans l’invraisemblable étape de l’Iseran (attaques d’Egan Bernal et d’une averse de grêle). L’entonnoir broie. Thibaut Pinot se dit qu’il aurait mieux valu une franche débâcle qu’un nouvel inachevé. Il déclare à l’Equipe : «Pour oublier tout ça, il faudra que je gagne le Tour.» Il est retourné à son destin en 2020 par devoir et pour savoir. En dépit de ses misères, il n’est toujours pas certain qu’il sache.