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Yogis, yoga, un tube des années 30

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Posture de hatha yoga, vers 1935. (Photo AG.adoc photos)
publié le 12 septembre 2020 à 15h23

Chaque semaine avec Rétrosports, le site de presse de la BNF, retour sur une histoire de sports telle que l'a racontée la presse de l'époque. Ce samedi : le yoga en France de l'ésotérisme au phénomène de société.

«Le yoga, en s'adaptant et en répondant aux injonctions normatives de notre époque, voit sa pratique se concentrer principalement autour des exercices corporels, où l'idée de la conservation du corps et la quête de l'éternelle jeunesse ont définitivement remplacé la posture originelle de renoncement au monde», pose le sociologue Seghir Lazri dans une chronique sociosports de Libération. «C'est un livre sur le yoga et la dépression […], des choses qui n'ont pas l'air d'aller ensemble. En réalité, si : elles vont ensemble», assure Emmanuel Carrère sur la quatrième de couverture de son dernier roman, tout simplement baptisé Yoga. Loin des expériences performatives de l'un ou neurasthénique de l'autre, la presse française d'il y a cent vingt ans voit plutôt dans cette pratique un folklore exotique par lequel des brahmanes se livreraient à des exercices de lévitation.

«Une autre pratique suivie par les ascètes dans l'Inde est le Kumba-yoga qui consiste à clore le nez et la bouche pour retenir son haleine, expose la Fronde du 10 mai 1899. Le phénomène de la lévitation accompagne aussi cet exercice : "Il y a environ trente ans, raconte un indigène, lorsque j'étais un petit garçon de 10 ans, à Bénarès [en Inde], je vis un de mes parents qui était connu dans la ville pour la pratique du yoga-dharma (loi d'union en Dieu). Ce vénérable vieillard pouvait élever son corps dans l'air un pied et demi au-dessus du sol et rester suspendu ainsi plus d'un quart d'heure. […] Nous lui demandâmes avec une curiosité enfantine, le secret de ce phénomène, et je me souviens très bien qu'il nous dit que, par le Kumba-yoga, le corps humain devient plus léger que l'air qui l'entoure et peut ainsi flotter au-dessus du sol."»

Le terme yoga apparaît pour la première fois dans la presse française le 11 février 1809. La Gazette nationale publie le Voyage aux Indes orientales du missionnaire Paulin de Saint-Barthélémy. Il y décrit le yoga comme un tribunal de brahmanes dont les décisions sont infaillibles et qui «se prononce sur les affaires de fiançailles, mariages, dots et crimes de tribu».

Près d'un siècle plus tard, la Lanterne du 7 avril 1903, éclaire celle de ses lecteurs en décrivant une pratique sectaire et fanatique aux rites aussi ésotériques que ridicules pour un Français du siècle naissant dans un article baptisé : «Le fanatisme, les moines de l'Inde.» «La religion Yoga, secte du brahmanisme, recherche l'Union (yoga signifie union) de l'individualité humaine avec l'Ame universelle, c'est-à-dire Dieu. […] L'aspirant yogui doit vivre seul. Une fois installé dans son ermitage, il commence l'entraînement de Hatha-yoga. Cet entraînement comprend quatre stages d'une durée indéfinie, que détaille le journal. 1- Pratique des Asanas (postures variées). 2- Exercices de Pranayama (concernant la respiration). 3- Pratique des Mudras (pratiques et opérations relatives à diverses parties de corps). 4- Pratique destinée à provoquer directement Samadhi (l'extase complète). […] Par ce petit programme, on peut juger du degré de fanatisme auquel sont arrivés ces malheureux», plaint le journal.

Cette même année, le 5 juin, un encart pub dans l'Intransigeant témoigne de l'image du yoga en France : un numéro de cirque. De la prestidigitation qui prétendrait à faire croire que les «fakirs» qui le pratiquent ne sont rien de moins qu'immortels.

Après le scepticisme et l'ironie, la fascination et le prosélytisme des convertis. Dans les années 30, la presse française voit dans la pratique du yoga l'assurance d'une vie longue et heureuse sans les tracas du corps et les tourments de l'âme. Ainsi lit-on dans le Jour du 7 août 1936 «Rester jeune, vivre vieux. Il vous intéressera de lire un livre paru récemment qui a nom le Hatha Yoga, ou l'art de vivre selon l'Inde mystérieuse. Vous y puiserez maints systèmes d'hygiène, des exercices profitables pour la beauté et la longévité.»

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Constant Kerneïz, auteur du Hatha Yoga cité ci-dessus est le principal missionnaire du yoga en France. Astrologue, professeur de philosophie, journaliste, il s'initie grâce à la rencontre d'un maître indien à Londres et en s'abreuvant dans les livres de référence. Il transmet en devenant le premier professeur de yoga en France et en écrivant lui-même des classiques. On trouve une pub pour son ouvrage Hatha Yoga dans la revue Spirite du 1er janvier 1936.

Malgré les efforts de vulgarisation de Constant Kerneïz, la discipline reste proche du spiritisme pour initiés, comme l'écrit Paris-Soir du 7 avril 1938 dans un article justement consacré à un nouveau livre de ce dernier, le Yoga de l'occident : «Nous faisons cette fois connaissance avec les exercices qui facilitent l'épuration de l'esprit et l'amènent à la connaissance de certains phénomènes supranormaux. […] Ce livre, qui dépasse l'entendement de beaucoup de lecteurs intéressera tous les curieux d'occultisme et de mysticisme.»

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Description d'exercices à l'appui, la revue Midinette du 22 avril 1938, invite ses lectrices à la pratique du yoga. «Le travail quotidien empêche la plupart des gens de faire beaucoup de culture physique, qui est cependant nécessaire au maintien d'une bonne santé […]. C'est pourquoi chacun doit s'efforcer par tous les moyens possibles de retrouver au logis le calme nécessaire au bon équilibre du corps et de l'esprit. En voici un peu connu : le yoga, inventé par des brahmanes hindous nommés les yoghis, qui donne d'étonnants résultats aux dires des Européens l'ayant pratiqué. Très complet, il est à la fois amusant et reposant.» Après un quart d'heure d'exercice, «on peut se représenter quelque chose de beau : cela peut être une rose, un visage, une statue, une fleur». Le journal a recueilli le témoignage d'un «fervent du yoga» : «Lorsque j'ai respiré le parfum de mes roses imaginaires, tout me semble meilleur. Et lorsque des obstacles m'irritent, je sais que c'est moi l'auteur de mes propres ennuis parce que j'oublie de suivre la mélodie de la vie.»

Dans ces années 30, malgré sa popularisation, le yoga reste pour une certaine presse une pratique pour initiés que moque par exemple, avec une ironie mordante, le Journal en août 1939 : «Ces sujets sont des ascètes qui se livrent à un entraînement connu sous le nom de yoga. Ce mot signifie union, le but des yogis étant d'arriver à l'union de leur âme avec celle de Brahm, le dieu suprême, dont Brahma n'est que l'hypostase. C'est assez dire que le sentiment qui les domine est, sous le masque de l'humilité, un orgueil sans bornes.»

Point de moquerie ou d'exotisme dans Comœdia du 4 décembre 1943. L'article tente de restituer l'essence du yoga. «Purification intérieure, extinction des désirs (ajoutons : évanouissement de la personnalité, ce qui marque la grande coupure, avec la sainteté des religions occidentales qui exaltent au contraire la personnalité dans l'homme et en Dieu). Voilà les buts suprêmes. Il ne s'agit donc ni d'une philosophie à proprement parler ni d'une religion révélée, plutôt n'est-ce pas d'un exercice de l'être tout entier pour atteindre au-delà de toute forme et de tout changement un absolu, qui pour nous a, de prime abord, l'aspect du néant. Mais comment y arriver ? Comment, supprimer la conscience que nous avons de nous, la conscience que nous avons du monde à travers nous ? La discipline appelée Yoga nous l'apprend.»

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Suite de l'histoire. Dans les années 70, époque propice à la floraison de paradis plus ou moins artificiels, on redécouvre le yoga. Toujours paré de vertus quasi magiques comme l'écrit, la Science et la Vie du 1er septembre 1972. «Restez jeunes, restez souples. Découvrez la véritable relaxation et la maîtrise de soi en faisant chez vous du yoga», titre le journal qui décrit «Une nouvelle méthode conçue pour les Européens et qui donne des résultats surprenants.» Le magazine n'en revient pas des avantages extraordinaires qu'en tirent les pratiquants : «Il est curieux de constater que cette méthode, découverte il y a 2 000 ans par les philosophes de l'Inde, semble avoir été conçue pour l'homme du XXsiècle. L'anxiété, la dépression, la tension nerveuse physique ou mentale, le coup de pompe, tous ces problèmes qui nous menacent sont résolus par le yoga. C'est une véritable cure de bien-être.»

Vinyasa, bikram, aérien et même sportif (avec des compétitions), le yoga se décline aujourd'hui en France sous de multiples formes. 2,6 millions de personnes le pratiquent, dont 79% sont des femmes. Ses adeptes ont tous les âges mais les 25-34 ans (26% des pratiquants) et les 45-54 ans (24%) sont particulièrement séduits, selon le premier Baromètre du yoga (mars 2019). Les trois premières raisons avancées pour la pratique sont, dans l'ordre : «évacuer mon stress, me détendre» (pour 83% des sondés), «entretenir mon corps» (65%) et «rester en bonne santé» (37%). Les personnes qui pratiquent me yoga dépensent en moyenne 522 euros par an pour sa pratique, dont 468 pour les cours, le reste étant absorbé par les vêtements et accessoires. Mais ce sont là de triviales questions d'argent. Lequel ne compte pas au regard de la promesse d'une vie «heureuse et calme» comme l'écrivait Midinette, la certitude d'une «existence qui n'aura pour nous que des rayons d'or».

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