Divine surprise pour Benoît Paire : dimanche soir, la Fédération française de tennis (FFT) a indiqué qu'elle reconnaissait la non-contagiosité du coronavirus en cas d'antériorité de la maladie («documentée par un dossier médical»). En clair : le joueur ne risque plus l'exclusion, lui qui a subi «deux tests positifs à New York, neuf tests négatifs à New York, Paris ou Rome, deux tests positifs à Hambourg avant deux tests négatifs en Allemagne et à Paris». L'Agence régionale de santé (ARS) d'Ile-de-France ayant endossé la décision, on soupçonne fort la FFT d'avoir demandé grâce pour éviter le chaos. Sinon, pourquoi l'ARS se serait-elle positionnée là-dessus sans qu'on ne lui demande rien ? Paire tombera raquette à la main et pas autrement, ce mercredi contre l'Argentin Federico Coria lors du deuxième tour de Roland-Garros, ou après.
Enfin, «divine surprise», c'est pas sûr. «Je serais content de rentrer un peu à la maison, franchement [les joueurs sont casernés à plein temps dans deux hôtels parisiens, ndlr]. Le test et son importance, tout ça est relatif. Je me dis que si je peux jouer, je joue, et si je ne peux pas, eh bien je rentre à la maison voir mon chien, ma famille, et je suis content.» On peut voir son chien et ses proches sur Instagram : Benoît Paire, c'est la maison de verre du tennis, un type qui montre tout, tout le temps.
«Trop tard»
Lors des premières semaines du confinement, ses apéros virtuels au spritz (Campari et prosecco) sur les réseaux sociaux avec le Suisse Stanislas Wawrinka ont aidé les fans à surmonter leur désœuvrement. Les deux joueurs ont alors endossé un rôle. Au triple vainqueur en Grand Chelem celui du travailleur acharné et introspectif, de l'ami bienveillant qui montre la voie de la sagesse aussi : «N'aie pas de regrets quand ça s'arrêtera, Benoît. A 31 ans, il sera bientôt trop tard…» Et au Français celui de l'épicurien, «je bois un coup, je réfléchis et je te réponds», enfant terrible, cossard et épris de liberté. Pris dans un champ de forces contradictoires : «J'ai envie de changer mais je sais que je n'en suis pas capable. Par exemple, je veux gagner un tournoi du Grand Chelem mais je sais que je n'en gagnerai pas.»
Depuis un mois, Paire, c’est plutôt le prisonnier new-yorkais cloîtré dans sa chambre d’hôtel par les autorités sanitaires américaines après son contrôle positif au Covid-19. Et c’est aussi le coupable : l’homme qui a envoyé la fine fleur du tennis français (Adrian Mannarino, Kristina Mladenovic, Richard Gasquet, Grégoire Barrère…) à l’isolement comme personnes contacts, puisqu’il avait eu le malheur de les côtoyer.
A l'entendre, Benoît Paire en est sorti titubant, hagard : «Avec tout ce qui m'est arrivé, ce n'est pas facile. Tout le monde dira que je me trouve des excuses mais quand on reste dix jours enfermé [à New York], puis cinq jours [à Hambourg]… Bien sûr que je ne suis pas au top physiquement. Donc, mentalement, c'est dur. J'essaie de m'accrocher.» S'il n'a sans doute pas tort sur le fond, l'idée générale est quand même de prendre l'accablement de l'Avignonnais avec recul.
On parle d'un 25e mondial. Ayant, sur un temps long, donné l'impression de s'en contenter : non pas ponctuellement mais en tendance, plus souvent au McDo qu'à la salle de muscu. Et il est difficile de lui en tenir rigueur quand on se penche sur son parcours. «A 16 ans, il voulait encore devenir joueur de foot plutôt que tennisman, explique un proche. Il n'est pas passé par la filière fédérale, il n'a pas pris le pli de tout mettre au carré - entraînement, diététique - depuis l'enfance : c'est le tennis qui est venu à lui, pas l'inverse. Ça lui a ouvert un chemin différent. Peut-être aussi que s'il avait été contraint, il aurait arrêté le tennis au bout de six mois.»
Un truc de gosse
Benoît Paire a un point faible, et pas des moindres : les réseaux sociaux, ou plutôt le poids qu'il accorde aux insultes ou jugements qui y tombent en continu. La plupart des joueurs ont appris à s'en foutre, certains (comme Novak Djokovic) s'en nourrissent même, mais le Français continue de se voir dans le regard des autres, ce qui en fait aussi l'un des plus grands charmeurs du circuit, aussi pétillant en interview qu'extrêmement correct et attentif en marge de celles-ci. Pas sûr que cela fasse un vainqueur… «Mon kif est de bien gagner ma vie, expliquait Paire en janvier dans l'Equipe. D'avoir mon chez-moi, de pouvoir m'amuser, mettre un peu de côté pour avoir une vie tranquille. On va me dire que j'aurais pu gagner un Grand Chelem. Oui, j'aurais pu.» Sans rire ? Alors que le tennis est dévoré depuis quinze ans par un trio avalant quelque 56 tournois du Grand Chelem, et où deux d'entre eux (Djokovic et Nadal) n'ont jamais été battus par un Français depuis l'âge de leur majorité ?
Le rôle de celui qui peut mais ne veut pas est l’un des grands standards du circuit, interprété par ceux (Gaël Monfils, Nick Kyrgios) qui veulent préserver leur ego et croire qu’ils n’ont pas vraiment été dominés puisqu’ils ne se sont pas donné les moyens, alors qu’ils auraient sans doute explosé à leur niveau d’investissement maximum. Un truc de gosse, qui fait aussi le prix de ces joueurs-là.
Ce mercredi, Benoît Paire affronte le frère d’un ex-magicien du tennis, Guillermo Coria, battu en finale en 2004 par son compatriote argentin Gastón Gaudio après avoir eu deux balles de match. Deux ans plus tard, Coria s’est levé un matin en étant incapable de servir correctement. Il n’a plus jamais remis la main dessus. Drôle de sport, quand même.