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Libération
Antiracisme

Cyclisme : un champion américain suspendu après une provocation trumpiste

Quinn Simmons, 19 ans, l’un des plus jeunes coureurs du peloton WorldTour, a été désavoué mercredi par son équipe Trek-Segafredo. Le sponsor principal avait soutenu les valeurs du mouvement Black Lives Matter.
Le cycliste américain Quinn Simmons, le 26 septembre à Harrogate (Angleterre). (Manu Fernandez/Photo Manu Fernandez. AP)
publié le 1er octobre 2020 à 14h59

Le cyclisme professionnel serait-il devenu soudain féministe, écolo et antiraciste ? En moins de deux mois, les organisateurs du Tour de France ont supprimé la cérémonie des hôtesses sur les podiums (faisant apparaître un homme et une femme pour remettre le prix au vainqueur), annoncé un système de pénalité prenant effet dès 2021 pour tout coureur jetant ses papiers d'emballage ou bidons usagés dans la nature. Et voilà que dans la nuit de mercredi à jeudi, un jeune prodige du cyclisme est mis à pied par son équipe pour avoir tenu des propos favorables à Donald Trump et potentiellement imprégnés de racisme. Il s'agit de l'Américain Quinn Simmons, 19 ans, qui «ne courra plus avec Trek-Segafredo jusqu'à nouvel ordre». Son employeur indique : «De façon regrettable, le coureur de l'équipe Quinn Simmons a pris des positions sur Internet que nous trouvons clivantes, injustes et néfastes pour l'équipe, pour le cyclisme professionnel, pour ses fans et pour l'avenir positif que nous espérons contribuer à créer pour ce sport.»

Simmons avait tout pour émoustiller l'intelligentsia de Californie ou de la côte Est, où les cyclistes ne sont pas fils d'ouvriers ou employés comme en Europe, mais plutôt des enfants de bonnes familles. Une fine barbe rousse, presque hipster, un passé d'aventurier qui randonne, skie et grimpe des parois rocheuses, débouche des canettes de Red Bull à 4 000 mètres d'altitude avec son petit frère. Il avait accessoirement un talent précoce : sacré champion du monde junior en 2019 au terme d'une saison à 27 000 kilomètres de vélo et déjà classé sixième sur la Bretagne Classic de Plouay (Morbihan) en août, une épreuve du calendrier WorldTour, la première division mondiale.

Une liberté d’expression de facto restreinte

Ce remarquable début de carrière a explosé en vol mercredi sous l'effet de quelques tweets qui confirment que le trumpisme n'est pas une idéologie tout à fait ordinaire. Ainsi, en réponse à un message de José Been, journaliste néerlandaise qui appelle ses contacts pro-Trump à ne plus la suivre, Quinn Simmons a répondu «Bye» avec l'émoji d'une main qui salue. Or, le coureur a choisi une main de couleur noire…

Plusieurs fans se sont montrés outrés, de même que certains cyclistes américains, Robin Carpenter, de l'équipe Rally, ou le militant antidopage (ex-dopé lui-même) Joe Papp. En 2016, aucun membre du peloton n'avait déclaré son soutien à Donald Trump. L'hostilité au président américain est encore plus nette en 2020, alors qu'il encourage les suprémacistes blancs. Tout particulièrement dans un contexte où le vélo professionnel est de plus en plus soupçonné de racisme, à partir d'un constat évident : il est pratiqué par des coureurs quasi exclusivement blancs. Au départ de la dernière étape du Tour de France, plusieurs participants avaient écrit «no to racism» sur leur masque chirurgical, sans que cela provoque un débat de fond.

Simmons a choisi le mauvais cheval, le mauvais sport et le mauvais moment. Que lui reproche son équipe ? Non seulement d'être pro-Trump mais de le dire. Dans un premier tweet, l'équipe américaine déclarait qu'elle allait «l'aider à comprendre le ton approprié qu'un athlète dans sa position doit adopter». Mais les communiqués publiés quelques heures plus tard semblaient s'attaquer au fond du propos : la promotion des idées du président américain sortant. Si la liberté d'expression est absolue et protégée par la Constitution aux Etats-Unis, elle est de facto restreinte dans le cyclisme professionnel, où un coureur est lié à une équipe elle-même financée par des entreprises privées. Les clauses prévoient toujours la promotion de l'image ou des valeurs de la société sponsor. Et, dans le cas de Quinn Simmons, les financiers ont été forcés ces derniers mois de prendre leurs distances avec Donald Trump à l'occasion du mouvement Black Lives Matter.

Trek poussé à s'engager après la mort de George Floyd

Des montures Trek, qui équipaient certaines brigades policières cyclistes, étaient en effet utilisées pour repousser des manifestants qui protestaient après le meurtre de George Floyd par un policier blanc, le 25 mai à Minneapolis. Le 10 juin, la marque de cycles adhérait au constat selon lequel «les Noirs, Afro-Américains et autres personnes de couleur à travers le pays ne disposent pas des mêmes droits que les personnes blanches». L'entreprise annonçait la création de 1 000 emplois pour les personnes racisées et le soutien financier à divers projets d'inclusion ou de lutte contre le racisme.

Jusqu'alors, le fabricant, sponsor principal de l'équipe, avait toujours refusé de s'engager en politique, se rangeant derrière son égérie Lance Armstrong entre 1999 et 2012. Après avoir engrangé des millions de profits grâce à sa vedette, la firme basée dans le Wisconsin décidait de l'abandonner en octobre 2012, se disant «déçue par les révélations du rapport de l'Usada», l'agence antidopage américaine, qui avait révélé le système de dopage bâti autour du champion déchu.

La formation cycliste est également parrainée par Segafredo, un vendeur de café, dont le PDG Massimo Zanetti, 72 ans, a été élu sénateur en Italie de 1994 à 1996. C’était sous la bannière de Forza Italia, le parti de Silvio Berlusconi. Son positionnement, réaffirmé depuis élections aux municipales de Trévise (qu’il perd en 2013) le situe entre la démocratie-chrétienne (centre droit) et la Ligue du Nord (extrême droite).