«Je suis plutôt galette complète !» Posée jeudi en téléconférence dans un contexte un poil euphorique, la question posée à la Bretonne Clara Burel portait sur son appétence supposée pour la galette saucisse. Anecdotique assurément, mais en aucun cas anodin dans un contexte tricolore déprimé, où le gros des joueurs et joueuses français a débarrassé le plancher en trois jours et où l'irruption d'un régionalisme hexagonal est autrement plus exotique que le regard en biais d'une joueuse de l'Est voulant en terminer avec l'exercice médiatique au plus vite.
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Si le temps le permet, Burel (19 ans) affrontera samedi la Chinoise Zhuang Shuai en seizième de finale du tournoi et elle ne sera pas la seule Française sur le pont ce jour-là : la Niçoise Fiona Ferro (23 ans) sera opposée à la Roumaine Maria Tig, les deux joueuses pouvant ainsi rejoindre leur aînée Caroline Garcia en huitième de finale. Une même histoire – des joueuses jeunes, sans référence, se découvrant au fil du tournoi – à la saveur très différente. Ferro est censément la plus forte des deux, la plus expansive aussi : un jeu dans les canons de l’époque (frapper fort des deux côtés) qui fait un tabac depuis quelques semaines puisqu’elle est invaincue (sept victoires) depuis la fin du confinement, un privilège qu’elle partage avec Novak Djokovic chez les hommes, si toutefois on considère que l’exclusion du Serbe à New York pour avoir involontairement dégommé une juge de ligne n’est pas une défaite en bonne et due forme. Il faut aussi relativiser : avant Roland-Garros, la Niçoise avait remporté le tournoi de Palerme, classé International c’est-à-dire de deuxième rang. Burel, en revanche, déboule par surprise.
Et pas qu'un peu. Voilà un an, elle s'exerçait avec des balles en mousse après une délicate opération du poignet, qu'elle admet à demi-mot surveiller : «Cette blessure est complètement derrière moi. Mais pas complètement (sic), je dois faire attention. Au niveau du revers, je commence à me libérer. Je ne sais pas si c'est à 100%, mais ça commence.» Burel fait son (très) jeune âge : lapidaire dans ses réponses, embrouillée les rares fois où elle se lance, assez sûre d'elle-même en apparence. «C'est un peu fou ce qui se passe ici pour moi, expliquait-elle jeudi. Je ne m'y attendais pas forcément. C'est difficile de décrire les émotions mais je pense que ce n'est vraiment que de la joie pour l'instant.» Burel n'a pas le jeu austère et mal assuré de son discours : elle varie beaucoup, ce que le public français – ou plutôt ce qu'il en reste, jauge à 1 000 spectateurs maximum par jour oblige – a tôt fait d'associer à la notion d'intelligence (allez savoir pourquoi) et que la joueuse réfute à sa façon : «C'est difficile de parler moi-même de la façon dont je joue. Mais c'est vrai que cette intelligence de jeu que l'on me prête, je l'entends beaucoup et je le lis beaucoup.»
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«Un sentiment d’illégitimité»
Pour cette édition du tournoi, Burel a bénéficié d'une wild-card de la Fédération. Un cadeau qui a longtemps empoisonné la vie de Fiona Ferro quand elle en bénéficiait aussi : «Comme je ne gagnais pas de match à Roland-Garros, j'avais un sentiment d'illégitimité, explique la Niçoise dans l'Equipe. J'avais du mal à me sentir à ma place.» C'est la grande affaire de la carrière de Ferro jusqu'ici : se convaincre qu'elle n'est pas une passagère clandestine du circuit, elle qui a traversé les catégories de jeune en toute discrétion. «Je pense que là où j'ai le plus progressé ces dernières semaines, c'est sur mon attitude et croire que je peux vraiment imposer mon jeu [tout en puissance] contre n'importe qui. Avant, quand je jouais contre des filles qui frappent fort comme [la Kazakhe Elena] Rybakina [que Ferro a battu jeudi] ou [l'Italienne Camila] Giorgi [qu'elle a dominée à Palerme], je pensais vraiment que j'étais impuissante et que la seule solution pour que je marque des points, c'était qu'elles ratent elles. Je jouais pour les faire rater. Là, c'est différent et c'est vraiment un grand changement de pouvoir.»
Après sa victoire contre Rybakina, Ferro a confessé avoir parfois eu besoin de se persuader qu'elle pouvait mener l'échange : «C'était un peu une lutte contre moi-même.» Depuis cet automne, elle est prise en main par Emmanuel Planque, proche de Yannick Noah et qui a longtemps accompagné Lucas Pouille, demi-finaliste français de l'Open d'Australie 2019. Une pointure, dont la présence a sans doute aidé la Niçoise à se crédibiliser à ses propres yeux. Burel a également reçu un renfort de poids après le confinement de Thierry Champion, directeur du haut niveau, qui s'est installé pendant un mois en Bretagne pour la suivre et avec lequel elle «tapait» tous les jours. Signe de reconnaissance mais pas que : pour être la joueuse de sa génération diagnostiquée la plus douée et de loin, Burel est un enjeu d'importance dans le petit milieu du tennis français. L'impassibilité de la Bretonne sur le court et en dehors dit aussi le standing, l'habitude du regard des autres. Ferro, elle, change de monde : «Jusqu'ici, il n'y a pas eu beaucoup d'attente autour de moi. C'est quelque chose qui va être un peu nouveau.»