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Libération
Chronique «Sociosports»

Communautarisme sportif : entre repli identitaire et reconquête de soi

Sociosportsdossier
Au centre d'entraînement du Stade rennais, le 19 octobre. (DAMIEN MEYER/Photo Damien Meyer. AFP)
publié le 22 octobre 2020 à 8h18

Seghir Lazri travaille sur le thème de la vulnérabilité sociale des athlètes. Dans cette chronique, il passe quelques clichés du sport au crible des sciences sociales. Comment le social explique le sport, et inversement.

Depuis quelques semaines, les questions relatives à la laïcité ou au «séparatisme» occupent une place importante dans le débat politique. Il ne peut y avoir de «séparatisme» sans communautarisme. Or cette question du communautarisme est présente dans le monde sport, puisque l’univers sportif crée des liens sociaux entre les individus, mais contribue aussi à renforcer les liens déjà excitants. Dès lors dans ce contexte actuel, quels renseignements peut-on tirer du communautarisme sportif ?

La question sociologique

Les recherches sur cette question ne sont que très récentes dans l’histoire de la sociologie du sport et donc peu nombreuses. Si les travaux sur la question de l’intégration sociale sont consistants et nous renseignent de manière indirecte sur le sujet du communautarisme, il semblerait que la structure sociale et politique française écartant une approche multiculturaliste, ne favorise guère la recherche sur cette thématique. Néanmoins, depuis plus d’une dizaine d’années, les travaux du sociologue William Gasparini, en collaboration avec d’autres chercheurs, tentent de nous éclairer sur la situation du communautarisme sportif en France et mettent au jour les informations sur la nature des pratiques associatives sportives.

Ayant mené de nombreuses enquêtes comparatives, et plus particulièrement au sein de la communauté turque en France, et notamment sur le territoire alsacien, William Gasparini met en lumière les raisons du «repli communautaire» dans le champ du sport. Ainsi une étude à l'échelle locale permet-elle de comprendre que les mécanismes conduisant au sport de l'entre soi résultent d'une logique non pas «seulement identitaire, mais également d'un rapport de force avec les associations locales historiques et leurs dirigeants». Si «repli communautaire» il y a, ce phénomène n'est pas simplement propre aux associations composées de personnes d'origine étrangère, mais est bel et bien aussi lié aux caractéristiques de clubs sportifs dont les membres sont d'origine française. D'ailleurs selon le chercheur, ce «second phénomène apparaît beaucoup plus fréquent que le premier et concerne principalement le milieu rural».

En effet, l'analyse des prénoms, menée auprès de plusieurs clubs amateurs en Alsace, démontre que malgré la présence de populations étrangères (d'origine modeste), notamment en milieu rural, la part de joueurs issue de l'immigration est souvent faible, voire inexistante. Selon les auteurs, «on peut alors réellement se demander s'il n'existe pas dans ces villages un phénomène d'exclusion». Cette interrogation s'appuie aussi sur certaines déclarations de pratiquants d'origines étrangères (turques principalement) se sentant rejetés et estimant que l'accès aux clubs historiques ne leur était permis que sous réserve d'un «bon niveau» de jeu. Ainsi la création d'une association sportive reposante sur une affiliation ethnique et culturelle dépend étroitement de l'environnement social et géographique d'accueil.

Une reconquête de soi

Ce que met aussi en avant William Gasparini et d'autres chercheurs associés comme Pierre Weiss, est que le sport de par sa nature compétitive, mais aussi fédératrice sur certains plans, apparaît comme «une source de valorisation pour une jeunesse qui connaît l'échec scolaire (ou du moins les voies scolaires de relégation) et l'exclusion sociale». Et ainsi «pour certains immigrés stigmatisés, gagner un match sportif peut prendre l'importance et la valeur des victoires dans la vie». Le sport comme moyen d'une reconquête de soi dans un univers social discriminant est un constat également partagé par les sociologues Paul Cary et Jean-Louis Bergez. D'après leur enquête ethnographique menée auprès de la section football d'une d'association culturelle algérienne, on constate que l'affiliation à une structure sportive par une appartenance culturelle permet de renouer avec une identité plus positive, à savoir celle de la patrie d'origine.

Ce type d'adhésion sportive permet l'apprentissage de nouvelles valeurs sociales certes idéalisées, mais qui éloigne l'individu de certaines normes sociales plus stigmatisantes. Jouer sous l'étendard de ses origines confère une meilleure reconnaissance sociale, et permet de consolider ce que l'on nomme en sociologie, les liens de participations électives, autrement dit les liens établis avec le groupe de pairs afin de s'assurer une protection et une reconnaissance. A ce propos, le club sportif communautaire, comme nous le rappelle William Gasparini, est souvent le moyen pour certains de trouver un emploi ou un stage et ainsi de se doter de ressources sociales essentielles à une meilleure intégration nationale. Il est aussi important de noter que le capital social et économique est un facteur important dans la participation à une association sportive communautaire, puisque souvent les franges les plus aisées des populations immigrées privilégient «les clubs de tennis, d'équitation ou de danse "mixtes", mais marquées socialement dans un souci de distinction».

En somme, l’existence de clubs sportifs communautaires résulte des structures sociales et politiques du pays d’accueil, mais aussi des conditions matérielles d’existence des populations immigrées. Ces associations sportives apparaissent d’ailleurs avant tout, comme des moyens de résilience et des espaces de valorisation de soi. Ce qui constitue aussi une première étape vers une intégration nationale. Cependant, il est aussi important que l’Etat, par certaines politiques publiques, veille à garantir certains principes, comme la mixité sexuelle, qui dans le sport, peut parfois se retrouver mise à mal.