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The End

MMA : pour la légende Khabib Nurmagomedov, une retraite au nom du père

Après avoir remporté samedi son 29e combat en autant de matchs professionnels, le Russe raccroche les gants invaincu en UFC. Le décès de son père, il y a quelques mois, lui est toujours insupportable.
Nurmagomedov (à droite) lors de son ultime combat, contre l'Américain Gaethje, le 24 octobre. (Josh Hedges/Photo Josh Hedges. Zuffa LLC. Getty Images)
publié le 26 octobre 2020 à 15h56

Les larmes qui succèdent au combat, à la perfection des gestes. Un coup de pied de Justin Gaethje à l’arrière du genou de Khabib Nurmagomedov, qui chancelle, mais contre-attaque en prenant l’Américain aux jambes. Le Russe ne lâche pas sa proie, et chacun s’interroge moins sur l’issue que sur la technique par laquelle il achèvera l’affrontement, puisqu’on sort rarement indemne d’une prise du Russe. Khabib enclenche un triangle, la tête de son adversaire entre ses mollets, et son bras derrière la jambe du futur vaincu, histoire de couper sa circulation sanguine. Gaethje tape rapidement au sol, l’arbitre ne le voit pas, l’Américain tombe inconscient. Le match est fini. Khabib Nurmagomedov, dont on apprendra après la bataille qu’il s’était cassé le pied trois semaines auparavant, remporte son 29e combat pro, dont 13 en UFC, et reste invaincu.

Ce samedi 24 octobre à Abu Dhabi, il est alors temps de pleurer, pleurer Abdulmanap Nurmagomedov, son père, décédé de complications du Covid-19 trois mois auparavant, pleurer celui qui l'a fait lutteur, qui l'a propulsé dans le panthéon des combattants. Pleurer ce sport qui est désormais derrière lui depuis quelques secondes. Khabib Nurmagomedov a jeté les gants au sol, il vient d'annoncer sa retraite. «Aujourd'hui, je veux vous dire que c'était mon dernier combat, assène le Daghestanais, papakha jaune sur la tête, le chapeau traditionnel caucasien en laine. Aucune chance que je revienne ici [combattre] sans mon père. C'était la première fois après ce qui lui est arrivé… Quand l'UFC m'a proposé le combat avec Justin, j'ai parlé pendant trois jours avec ma mère. Et elle ne veut pas que j'aille combattre sans mon père. Je lui ai donc promis que ce serait mon dernier combat et quand je donne ma parole, je la respecte. C'était mon dernier combat.»


Statut de légende

L'annonce tombe comme un couperet sur l'UFC. Khabib Nurmagomedov était l'une des stars de la ligue majeure de MMA. Chacun pensait qu'il irait jusqu'au trentième combat de sa carrière, afin qu'il atteigne l'objectif affiché par son père, il y a un an : «Pour Khabib, 30-0 est suffisant», confiait-il. La promesse à la veuve ou le désir du défunt, on comprend les jours de discussion et de réflexion.

Le Russe, 32 ans, part malgré tout avec un statut de légende des poids légers, tant par son style – peu académique mais efficace en boxe américaine, destructeur au sol et en lutte – que par les stats. Ils ne sont que 6 dans l'histoire (Max Holloway, Jon Jones, Demetrious Johnson, Anderson Silva, Georges St-Pierre et lui) à avoir remporté au moins 13 combats de suite sans défaite. Surtout, chacune de ces 13 victoires laisse une impression de facilité, de domination, dans un sport si complexe puisque le danger peut venir de partout, et de n'importe quelle manière. Il n'a jamais semblé déstabilisé plus d'un demi-round, ce qui plante une réputation.

Boussole

Une réputation devenue un mythe un soir d'octobre 2018 à Las Vegas. Le Russe affronte l'une des superstars de l'UFC, Conor McGregor. Les provocations de l'Irlandais et de son clan font monter la tension des semaines avant le premier gong, et Khabib Nurmagomedov, musulman pieux qui remercie autant que possible Dieu pour tout ce qui lui arrive, répond sous les sifflets des supporteurs de McGregor : «Al-hamdullilah [Dieu merci en arabe, ndlr] ! Je sais que vous n'aimez pas cette expression, Al-hamdullilah ! Demain soir, je vais l'éclater votre mec.» Chose promise, chose violemment exécutée puisque, une nouvelle fois grâce à son excellence au sol, le Daghestanais soumet l'Irlandais à l'issue d'un match dantesque. Mais cette joute au sommet passe dans une autre dimension lorsque, galvanisé par sa victoire, Khabib Nurmagomedov passe par-dessus la grille de l'octogone, et saute à pieds joints dans le camp de McGregor afin de laver les provocations subies. Une bagarre générale qui voit également des proches du Russe s'en prendre à l'Irlandais dans l'octogone… Le bordel est irréel. Les sanctions tombent mais, aux yeux des spécialistes, Khabib Nurmagomedov est malgré tout passé définitivement dans l'Olympe des combattants.

Après cet affrontement, Vladimir Poutine rencontre Nurmagomedov et son père à Oulianovsk. Les deux, que rien ne semble pouvoir ébranler, montrent pourtant une gêne qu'on ne leur connaît pas. Poutine, lui, félicite l'athlète, est fier de poser à ses côtés, en profite pour extrapoler l'après-match à la géopolitique russe. Le président russe demande aussi à Abdulmanap Nurmagomedov de ne pas trop punir son fils malgré la bagarre générale. L'image est là, fixée : le tout-puissant dirigeant d'une puissance nucléaire demande au père d'un des plus grands combattants du XXIe siècle de ne pas être trop dur. Derrière Khabib, il y avait Abdulmanap. Ce dernier parti, le champion perdait sa boussole. Et avait sûrement peur de perdre également son âme. La fragilité des invincibles survient souvent dans les choses naturelles de la vie.