Un long hurlement a déchiré l’après-midi du quartier populaire de San Telmo, parti d’un immeuble au loin, lorsque la nouvelle est tombée. Diego est mort. Puis le silence, aussi lourd que le ciel d’orage de l’été austral. Sur les plateaux télé, tous en boucle évidemment, les journalistes et commentateurs sont désemparés. Les teints blêmes sous le maquillage, la voix qui tremble. L’un a fondu en larmes en direct, un autre avoué qu’il avait refusé de croire à la nouvelle durant de longues minutes.
C’est que pour les Argentins, Diego, El Diez, El Dios («le Dix», «le Dieu») était immortel. Ses soucis de santé étaient terminés, assuraient ses médecins. L’inquiétude était passée, les Argentins étaient rassurés. Personne n’était donc préparé ici à accueillir la nouvelle. Alors la surprise s’ajoute à la peine. Chacun s’accroche à ses souvenirs avec Maradona. Il a marqué l’enfance, l’adolescence de tous.
«Je m’appelle Diego parce que mes parents se sont rencontrés au stade de la Bombonera de Boca Juniors devant l’un de ses matchs, raconte Diego Alvarez, tenancier d’un kiosque à journaux, le regard dans le vide. A la maison sur le buffet, il y avait plus de photos de Maradona que de la famille. Je me suis toujours dit que j’avais une chance incroyable de vivre en même temps que lui, d’avoir vu ses matchs en direct. Je ne réalise pas du tout, il y a un clic qui ne se fait pas dans mon cerveau.»
Un journaliste radio raconte que Diego lui a même sauvé la vie, lors du passage très tendu d’un check-point durant la guerre du Liban. Le militaire qui le tenait alors en joue s’était soudainement éclairé lorsqu’il avait appris la provenance du journaliste : «Ah ! Argentin comme Maradona !» Les Argentins en sont sûrs : El Pibe de oro («le gamin en or») pouvait réaliser tous les miracles.
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Une Eglise maradonienne est même constituée ici, qui célèbre Noël, le jour de la naissance de Diego et Pâques, celui de la «Main de dieu», contre les Anglais en 1986. Leur groupe WhatsApp est un torrent de larmes : «Il a ressuscité tant de fois, écrit Paola Suarez-Gimelo. Dieu, s’il te plaît, fais-le revenir une fois encore !»
Mario Granola est l’un des ultras, il a veillé devant la clinique de son idole il y a trois semaines, des nuits entières. Chaque fois que Maradona était hospitalisé, Mario était là, torse nu pour montrer le tatouage aux bords un peu flous qu’il a sur le cœur : Diego embrassant la coupe du monde.
Mario a du mal à trouver ses mots aujourd’hui, il pleure abondamment, éloigne le téléphone pour crier. «Trois jours de deuil national ? Pour moi, le deuil finira à ma mort, pas avant. Il m’a tout donné, les plus grandes joies de ma vie, je les lui dois. C’est le plus grand amour de ma vie», se lamente ce père de trois enfants. Dans ce pays très divisé politiquement, tout l’arc, de l’officialisme jusqu’à l’opposition, se lamente de concert. Pour une fois, les Argentins pleurent tous ensemble.