Lors de notre dernière visite à Quentin Bigot, il attendait la naissance imminente de son premier enfant. «Si ça se trouve il va naître pour mon anniversaire, 1er décembre : c'est possible, ma femme a eu des signes qui annoncent l'arrivée du bébé.» Bingo pour Bigot. Le vice-champion du monde du lancer du marteau fêtera désormais son anniversaire le même jour que son fils, Tobias. Lors de cette rencontre, fin novembre, il ne fut pas uniquement question de paternité avec le lanceur du Metz Athlétisme Métropole. Après une excellente séance matinale où il signait son «record personnel» avec un engin de 10 kg (contre 7,260 kg en compétition), lui et son coach ont décortiqué l'utilisation de la vidéo pour améliorer ses performances au marteau.
Passionné de sa discipline, Bigot en connaît forcément l'histoire : la progression des records, les podiums des grands championnats, les paraboles des vies sportives de grands champions. Une matière devenue plus accessible avec l'arrivée d'Internet et de la vidéo en ligne. Quentin Bigot évoque une époque qu'il n'a pas connue et Pierre-Jean Vazel, son entraîneur, à peine : «Dans les années 70-80, même sans Internet, les grands champions avaient quand même à disposition des vidéos de compétition et parfois d'entraînement.» Le coach se démène pour trouver des images à mettre sous la pupille de son poulain. «Depuis des années, je cherche à débusquer les vidéos auprès des télés du monde entier, raconte Vazel. J'ai connu des Anglais qui travaillaient dans une chaîne : je leur filais un billet et ils m'envoyaient les vidéos qu'il me fallait. Bien sûr, souvent c'est du matériel qu'on ne peut pas publier sur les réseaux sociaux : ça reste entre nous.» Selon lui, le confinement a nourri l'appétit des archivistes. «On trouve beaucoup plus de matériel, je crois que les gens avaient plus de temps pour numériser des vieilles VHS. De plus la période a été propice à une sorte d'introspection, de retour au souvenir.»
Séance cinéma confiné
Bigot nous invite à regarder «un classique». L'athlète prend son smartphone et démarre la petite projection : «On va voir s'il la reconnaît», petit défi lancé à son entraîneur. La voix d'un commentateur anglais, style années 80, sort du smartphone. Quelques secondes à peine et Vazel répond : «C'est Cork.» Bien vu, la vidéo qu'on est en train de regarder est celle d'un concours très spécial, qui s'est tenu le 3 juillet 1984 dans la ville irlandaise. Y participaient les deux meilleurs lanceurs de l'histoire, tous deux Soviétiques : Yuriy Sedykh et son compatriote Sergey Litvinov. Le record du monde actuel appartient encore à Sedykh (86,74 m). «A l'époque, le record du monde était de 84,14 mètres. Les organisateurs du meeting avaient matérialisé cette distance, alors que normalement sur le secteur de lancer, on ne trace des lignes que tous les 5 mètres. Voir concrètement la marque du record a donné une motivation supplémentaire aux deux Russes pour bombarder autour de 85 mètres, enchaîne le lanceur. Ce jour-là le record du monde a été modifié plusieurs fois : le meilleur à la fin a été Sedykh avec un jet à 86,34 mètres. Quand on regarde un concours pareil on ne s'intéresse pas qu'à la performance. Sur la vidéo du meeting de Cork, on voit de façon très claire l'aisance des deux champions. Le haut du corps est extrêmement relâché, les marteaux décrivent des trajectoires très amples, regarde.» Effectivement les corps des deux lanceurs soviétiques sont presque parfaitement perpendiculaires au sol, ils ne se plient pas, leurs gestes sont en apparence très faciles.
La culture et la technique
«J'adore regarder des vidéos de lancers car c'est ma passion. Si demain on me coupe une jambe et que je ne peux plus faire de marteau, je continuerai à regarder des vidéos, imagine Bigot, habité par son sport. Ça m'aide aussi à analyser et améliorer ma technique. Ça peut débloquer des intentions. La technique, on la modifie avec des intentions différentes qui vont changer le geste final. De l'extérieur c'est parfois difficile à voir car on parle souvent de millimètres. Le coaching à l'ancienne ne marche pas du tout avec moi et je ne suis pas sûr que ça marche avec quelqu'un en réalité, sauf peut-être quand on démarre. Dire à un gamin : "Tu poses trop tôt ton pied droit, il faut le poser plus tard…" c'est une conséquence de ce que le lanceur a fait avant. Le marteau c'est un enchaînement de mouvements complexes. Ce qu'un bon coach doit changer, c'est la cause de chaque mouvement. Et pour régler la cause il faut jouer sur des intentions qui sont personnelles, dans le départ, dans les moulinets. Pour arriver à faire le bon mouvement, chaque athlète doit arriver à trouver la bonne intention intérieure. Ce n'est vraiment pas une science exacte. La vidéo peut permettre de renforcer la boîte à outils.»
LES PRÉCÉDENTS ARTICLES DE LA SÉRIE LET'S JO#1 Quentin Bigot, son marteau, son passé, son coach, sa médaille ; #2 La solitude du lanceur de marteau ; #3 En train au travail ; #4 «On ne sait pas quand on pourra reprendre la route du stade, la normalité» ; #5 Le marteau bien confiné ; #6 Le marteau relancé ; #7 Comme un lanceur en cage
Les sessions vidéo chez Bigot commencent souvent au petit-déjeuner : «C'est une façon de me préparer à la séance du matin. A ce moment je regarde plutôt un meeting ou un entraînement. J'ai ma playlist, je ne dois avoir pas plus de trois ou quatre lanceurs à l'entraînement. On pourrait se dire que depuis quinze ans, j'ai tout vu, mais non. Rien n'est jamais acquis sur le chemin de la performance. Entre lancer 70 ou 80 mètres, en réalité, il n'y a qu'un pas, tu perds le fil un moment, un moment que tu ne sais pas quantifier car il est très très court et voilà, raconte Bigot pour lequel la méthode de la visualisation marche très bien. Si tu me mets devant un grand écran sur le canapé, je peux ressentir dans les muscles les mêmes sensations que quand je lance, c'est impressionnant. Du coup quand je me lève j'ai l'impression exacte de pouvoir réaliser les mêmes mouvements.» Le lanceur se voit aussi en action : «Quand je suis à la maison tranquille, j'aime bien regarder les vidéos de ma séance et trouver les défauts. Par contre quand on les regarde à chaud avec Pierre-Jean, encore sur le stade, je préfère voir ce qui a bien marché !» Attention par contre à ne pas vouloir copier: «Chaque athlète a son physique et son histoire personnelle avec la discipline. Tomber dans l'imitation pure serait une grave erreur, il faut trouver son propre chemin pour intégrer ce que l'on voit dans sa propre technique, construire son style.»