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Andrée Joly et Pierre Brunet, la glace supérieure

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Dans les années 1920, le couple a révolutionné le patinage. Devenu professionnel en 1936 et installé aux Etats-Unis, il a donné des centaines de spectacles sur glace avant de former plusieurs champions olympiques.
Andrée Joly et Pierre Brunet à Saint-Moritz en Suisse, en 1928. (Photo Bettmann Archive. Getty Images)
publié le 23 janvier 2021 à 15h19

Chaque samedi avec RetroNews, le site de presse de la BNF, retour sur une histoire de sport telle que l’a racontée la presse de l’époque.

«La Suzanne Lenglen du patinage». Rien de moins. Dans les années 1920, un tel surnom vous classe une sportive. Les Annales politiques et littéraires du 27 janvier 1924 l'utilisent pour Andrée Joly. Elle est la seule femme jugée digne de représenter la France pour le patinage aux premiers Jeux olympiques d'hiver, à Chamonix. «Sa virtuosité doit la faire classer en bonne place si elle triomphe avant tout de l'émotion d'un début olympique. Elle pourra s'aguerrir pour les Jeux suivants. Côté des messieurs, c'est à Pierre Brunet que nous accordons notre confiance», pronostique le journal. Andrée Joly et Pierre Brunet s'aligneront également ensemble en couple. «Peut-être aurons-nous un accessit grâce à eux», espère la revue.

Si le loto sportif avait existé à l'époque, le journaliste des Annales aurait pu terminer le mois de janvier plus riche qu'il ne l'avait entamé. Le couple Joly-Brunet a contribué au maigre bilan des Français lors de ces Jeux pourtant à domicile : trois médailles de bronze. «Ces deux jeunes gens firent l'admiration de tous les spectateurs, français et étrangers, par leur virtuosité, leur élégance et leur distinction, apprécie la revue du 17 février Ils débutaient dans les épreuves olympiques, et malgré l'émotion, ils réussirent à se classer troisièmes dans le patinage par couples. […] Dans le concours individuel Melle Joly fut cinquième du classement général, mais deuxième dans le championnat de figures libre.» Brunet, lui, termine 8e.

Andrée Joly et Pierre Brunet se sont rencontrés au… Palais des glaces – il est ici question de celles dans lesquelles on se mire, pas de celles que l’on zèbre en dessinant de gracieuses arabesques sur une lame de quelques millimètres de largeur. C’était peu avant les Jeux de Chamonix. L’une et l’autre viennent de remporter le titre de champion de France et Pierre propose à Andrée de participer avec lui à l’épreuve par couples aux JO. Elle accepte. Début d’une longue histoire, sportive et amoureuse. Sans rivale en France où elle est invaincue depuis cinq ans, Andrée, née le 16 septembre 1901 à Paris, patineuse passionnée depuis la fin de la guerre, est également une excellente nageuse. D’un an son cadet, Pierre, lui aussi, a chaussé les patins après la guerre. Il est également féru de natation, en plus d’escrime et d’aviron.

Dès ses premières prestations, le couple séduit par ses chorégraphies et sa technique innovantes. Il en effraie certains mêmes. Les juges des Jeux à Chamonix leur auraient fait payer leurs audaces en ne leur accordant que le bronze. Ils allient «l'élégance à l'inventivité», écrit le Dictionnaire des créatrices : «Ils illustrent le passage d'un aimable divertissement de la Belle Epoque vers un sport.» Le site du Comité international olympique résume la révolution qu'ils ont fait subir à leur sport : «Après cette première grande compétition internationale, Pierre et Andrée deviennent le meilleur et le plus célèbre couple de patinage artistique au monde, ainsi que des pionniers dans leur discipline, la faisant progresser en inventant notamment le "patinage en miroir", le porté à une main, le saut de l'ange ainsi que de nombreuses pirouettes. Andrée brise par ailleurs les conventions alors en vigueur en chaussant des patins noirs (et non blancs), comme son partenaire.»

Le couple Brunet-Joly remporte quatre fois les championnats du monde, en 1926, 1928, 1930 et 1932. Ces deux derniers titres sont décernés au couple Brunet-Brunet, mari et femme depuis 1929. En 1928, quatre ans après les Jeux de Chamonix, ils remportent la médaille d'or à Saint-Moritz. L'unique breloque que la France remportera de Suisse. L'envoyé spécial de l'Excelsior le souligne dans le numéro du 20 février : «Les Jeux olympiques d'hiver sont tout de même terminés, et ils se sont terminés avec une victoire, pour, nous. Le triomphe de Mlle Joly et Pierre Brunet, dans le concours de patinage, figure par couple, n'est peut-être qu'une fiche de consolation à la suite de nos échecs en hockey et en ski.»

«Hyménée - Un mariage sportif», titre l'Homme libre du 3 juillet 1929. «Hier a eu lieu, en l'église de Notre-Dame-de-Passy, le mariage de Mlle Andrée Joly et de M. Pierre Brunet, nos deux champions olympiques de patinage. M. Henry-Paté, ministre des Sports assistait à la cérémonie.»

Andrée et Pierre Brunet ? Un couple people que vient visiter le Match du 31 janvier 1933. On rencontre d'abord monsieur. «Pierre Brunet est un homme très occupé : il doit satisfaire aux exigences de sa situation dans une entreprise industrielle. Dans son bureau, le téléphone ne cesse de fonctionner. "Je passe ici une demi-journée, mes autres heures de travail se passent chez les clients".» Dans ces années-là, les grands sportifs se doivent de rester amateurs, sous peine d'être bannis du cénacle olympique. C'est pendant leurs vacances qu'Andrée et Pierre préparent les grandes compétitions. Avec le reporter de Match, on suit Pierre jusqu'au domicile du couple où, avec sa mère, s'ébat un petit garçon. En prévision d'un prochain séjour à la montagne, il vient de recevoir ses premières paires de patins et de skis. «Jean-Pierre, qui n'a pas deux ans et demi, va faire ses premières armes sur la neige et la glace…» N'est-ce pas un peu précoce ?, s'inquiéteront sans doute les lecteurs. Le journaliste les rassure. «Je n'en dis pas plus long : comme moi, vous accordez toute confiance à M. et Mme Brunet», écrit Match, qui évoque les Jeux de 1936, la possibilité d'un troisième titre olympique puisque le couple a conservé en 1932 la médaille d'or conquise en 1928. Pierre tempère : «J'ignore ce qui se passera. Vous n'ignorez pas que l'âge rend la mise en forme plus difficile.»

Il n'y aura pas de Jeux de 1936 pour le couple Brunet. Le 31 décembre 1933, Andrée et Pierre chutent dans un ravin lors d'une randonnée à skis. Il est blessé au genou, ce qui ne l'empêchera pas de rechausser les patins quelques semaines plus tard. Mais elle est plus sérieusement touchée : une fracture de la colonne vertébrale lui impose le port d'un corset de plâtre plusieurs mois. Le Figaro du 28 janvier 1934 reçoit de Pierre des nouvelles après «le récent accident de ski dont lui et sa femme furent victimes, accident beaucoup plus grave qu'il le fut primitivement annoncé. […] Les deux blessés sont en excellente voie de rétablissement. Le médecin qui soigne André espère qu'à la fin de mars prochain, il ne restera aucune trace ni aucune suite de ce grave accident. Le moral de nos deux champions est excellent et M. et Mme P. Brunet espèrent fermement défendre leur titre de champion de France en avril prochain.»

Sportivement, l’année 1934 est blanche pour le couple qui redevient champion de France en 1935. L’année suivante ils deviennent professionnels, faisant ainsi le deuil de nouvelles médailles olympiques ou mondiales. Le couple se retire avec un palmarès XXL : deux médailles d’or olympiques et une de bronze, 4 titres mondiaux, un européen, 11 français. Andrée et Pierre partent vivre à Londres, puis Toronto avant de s’installer aux Etats-Unis. Ils acquièrent la nationalité américaine en 1942.

Le 21 décembre 1938, Paris-Soir publie une lettre de Pierre qui décrit la nouvelle vie du couple. Une vie d'artistes et d'homme et femme d'affaires. «Depuis quelques jours à Toronto, nous participons, ma femme et moi, au Carnival Skating où nous obtenons un gros succès. Depuis deux ans que nous sommes passés professionnels, nous avons donné environ 800 représentations. Dans le club privé le Granité Club, où nous donnons ici une ice show, nous avons été chargés de la mise en scène des ballets. Nous sommes en même temps "producers". Nous partons demain pour le nord du Canada dans un train spécial qui nous servira d'hôtel dans toutes les localités où nous jouerons. Cette tournée terminée, nous irons à New York et participerons aux galas de patinage de Madison Square Garden. […]. Nous demandons à Paris-soir de présenter à nos amis français toutes nos amitiés et nos vœux de Noël en leur disant combien nous sommes heureux de nous livrer journellement à notre sport favori : le patinage.»

Le couple se consacre ensuite à la formation de futures stars américaines du patinage comme Carol Heiss (championne olympique en 1960), Dorothy Hamill (championne olympique en 1976) ou encore Scott Hamilton (champion olympique en 1984, quadruple champion du monde de 1981 à 1984). A la fin des années 1950, Pierre conçoit le Gold Seal, une lame dont la résistance est réputée. En 1970, le couple Brunet reste une référence dans le monde du patinage. Des champions français vont s'entraîner aux Etats-Unis sous leur férule, comme le rapporte Paris-Presse-l'Intransigeant du 14 janvier. «Mrozek et Gailhaguet ont suivi pendant les mois de mars, avril, mal et juin dernier un stage aux Etats-Unis sous la direction de M. Brunet. Ils suivirent un entraînement de 50 heures par semaine contre 30 à 35 en France.»

Andrée Brunet est morte le 30 mars 1993 à Boyne City dans le Michigan, deux ans après son mari.