Ce n'est pas le Vendée Globe mais le Quinté + ! Le «club des cinq» marins en tête du Vendée Globe se tenait en 250 milles (460 km) lundi à 15 heures. Du jamais-vu après soixante-dix-huit jours de mer et 29 000 milles (53 700 km). Dans l'ordre ou le désordre, Charlie Dalin (Apivia), Louis Burton (Bureau Vallée 2), Boris Herrmann (Sea Explorer - Yacht Club de Monaco), Thomas Ruyant (Linkedout) et Yannick Bestaven (Maître Coq IV) naviguaient au large du Portugal et de l'Espagne. A cette bande de fous furieux sur des bateaux plus ou moins estropiés, où lors de chaque vacation, on apprend qu'il manque des voiles déchirées ou passées à l'eau, qu'un balcon avant s'est arraché dans la tempête et que le pont ressemble à un enclos sans barbelés, que le rationnement est d'actualité, on ajoutera Damien Seguin (Groupe Apicil), né sans main gauche. Sur un bateau de treize ans d'âge non équipé de foils mais de dérives droites (contrairement aux cinq premiers), le double champion paralympique s'accroche aux basques du groupe d'échappés. Le petit milieu de la course au large est autant estomaqué par la performance de ce novice du tour du monde que par ce final digne d'un polar. Qui va l'emporter aux Sables-d'Olonne, succédant à Armel Le Cléac'h, vainqueur en soixante-quatorze jours et trois heures il y a quatre ans ? Mystère et boule de gomme.
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Mistoufles
Après l’archipel des Açores, les modèles américains (CFS) et européens (GFS), qui crachent toutes les douze heures leurs prévisions météo avant d’être moulinés par les logiciels de routage indiquant la route optimale à suivre, annoncent un vent de secteur ouest à sud-ouest soutenu jusqu’en Vendée. En clair, cela signifie pas de grosses mistoufles, mais du «tricot» aux allures portantes (le vent venant de derrière), avec des empannages (changements d’amure et donc de bord) à négocier. Pour ces virtuoses de la course au large, ce type de stratégie, les trajectoires et les manœuvres qui vont avec sont aussi évidentes que lire une clé de fa pour un premier prix de piano.
Mais la météo n'étant toujours pas une science exacte, elle évolue en ce début de semaine. Une dorsale anticyclonique (extension de hautes pressions et donc de beau temps) a décidé de s'inviter à la fête dans la nuit de mardi à mercredi dans le golfe de Gascogne. Pour un marin, une dorsale, c'est une «molle» - une zone sans beaucoup de vent - qu'il faut anticiper, traverser sans se faire piéger, en gardant de la pression (du vent) et en jouant avec ses oscillations. Celui qui saura s'en extirper sans trop ralentir pourra alors mettre le cap sur l'arrivée et commencer à jubiler.
Piment
Pour son premier tour du monde, Charlie Dalin, toujours leader lundi après-midi, ne fait pas beaucoup d’erreurs. S’il parvient à raser le cap Finisterre entre les centaines de bateaux de pêche et autres cargos pendant que les «nordistes» attendent la dépression, on peut miser une pièce sur le Havrais. Mais pour rajouter un peu de piment à cette neuvième édition décidément dingue, dans ce groupe de cinq, deux compères bénéficient d’un «cadeau bonus» ! Yannick Bestaven et Boris Herrmann, à qui la direction de course a demandé le 30 novembre de se dérouter à la recherche du naufragé Kevin Escoffier (finalement récupéré par Jean Le Cam), ont respectivement dix heures quinze et six heures de bonification… enfin de compensation, à retrancher sur leur temps de course.
Si ce scénario est plutôt rare, il s’est déjà présenté lors de la Transat anglaise de 1984 : Yvon Fauconnier, détourné pour aller au secours de Philippe Jeantot, a été sacré vainqueur alors que Philippe Poupon venait d’avoir les honneurs de la ligne d’arrivée. Trente-sept ans plus tard, les deux marins en gardent encore un souvenir amer.
Et si Yannick Bestaven, impérial dans les mers du Sud remportait le graal ? Et si l'Allemand Boris Herrmann devenait le premier étranger à s'imposer, alors que dans les précédentes éditions, les Britanniques Golding, McArthur ou Thomson se sont cassé les dents, se contentant de podiums ? Les météorologues et routeurs font fumer leurs ordinateurs. Les réseaux sociaux s'emballent et des matheux publient à tour de bras des statistiques et autres projections. Yeux tirés, les marins, eux, multiplient les microsiestes pour ne pas tout perdre dans ce dernier sprint par manque de lucidité quand le leader ne peut pas contrôler quatre bateaux en même temps.
A quelques centaines de milles de la bouée jaune et noir Nouch Sud devant l'entrée du chenal des Sables, qui marque la ligne d'arrivée, les estimations du temps d'arrivée (ETA) et les écarts se tendent et se détendent comme un élastique. Mercredi soir ou dans la nuit, on sera fixé. Autre inconnu, le huis-clos imposé par les autorités sera-t-il assoupli pour l'accueil des héros par le public local ? Yannick Moreau, maire des Sables, a beau implorer Emmanuel Macron, dont on sait désormais qu'il se passionne pour ce tour du monde, avec un faible pour Jean Le Cam, le «vainqueur moral», il y a malheureusement peu de chances au vu de la situation sanitaire.