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Voile

Vendée Globe : deux vainqueurs pour le prix d'un ?

Mercredi soir peu de temps avant 21 heures, Charlie Dalin a coupé en premier la ligne d'arrivée. Mais il pourrait ne pas avoir remporté la course.
Selfie de Charlie Dallin à bord d'«Apivia», le 21 janvier. (Photo Charlie Dalin)
publié le 27 janvier 2021 à 13h15
(mis à jour le 27 janvier 2021 à 21h00)

Il est arrivé. Il était un peu plus de 20h30. Charlie Dalin a été le premier à couper la ligne d’arrivée du Vendée Globe cru 2020-2021. Mais il pourrait ne pas être le vainqueur final de cette neuvième édition du tour du monde en solitaire sans escale. Ses poursuivants, attendus dans la nuit aux Sables d’Olonne, pourraient lui chiper la victoire sur tapis bleu grâce aux bonifications en temps qu’ils ont glanées en se déroutant pour aller sauver Kevin Escoffier début décembre. Retour sur une journée de toutes les attentes dans la ville vendéenne.

Aux Sables d’Olonne ce midi, comme il n’y a pas vraiment de quoi se distraire en attendant l’arrivée à part refaire le monde (de la voile), le «sport» du jour est de faire tourner les routages. Les logiciels de navigation proposant une multitude de routes simultanément à partir des modèles météo américains et européens et des performances théoriques des bateaux tournent à bloc. A chaque pointage officiel, ils sont affinés, amendés, corrigés… car non seulement la météo n’est toujours pas une science exacte, mais l’omerta demeure quant à l’état des bateaux, le nombre de voiles encore utilisables… et enfin la force et la direction réelle du vent. Il n’y a bien que l’âge du capitaine qui ne puisse être remis en cause.

«On va s'en souvenir de cette arrivée ! C'est clair que cette année, les planètes ne sont pas vraiment alignées», commente un membre de l'organisation. On ne va pas lui donner tort. Le front chaud attendu en Vendée est là et bien là. De fait, on distingue à peine l'extrémité du port tellement le temps est bouché, et les averses poussées par le vent de sud-ouest arrosent le ponton luisant à Port Olona.

«Club des cinq»

Plus l’Estimation du temps d’arrivée (ETA) se précise, et plus les «suiveurs» commencent à oser livrer des pronostics. Dès que les quelques météorologues sur place sortent le nez de leur ordinateur, la presse se jette sur eux comme la vérole sur le bas clergé. Il ne manque plus que Madame Soleil… Tout le monde veut savoir. Car la question du jour est bien de savoir qui va remporter ce Vendée Globe ? Et justement chaque classement confirme les routages avec des prévisions d’arrivées semblant juste incroyables après bientôt 80 jours de mer.

Dans le «club des cinq» dont sortira le vainqueur, deux groupes se sont formés : les sudistes avec Charlie Dalin (Apivia) et Boris Herrmann (Sea Explorer Yacht-Club de Monaco) qui ont «tricoté» le long de la côte ibérique avant un ultime bord vers la Vendée, et les nordistes avec Louis Burton (Bureau Vallée 2), Thomas Ruyant (LinkedOut) et Yannick Bestaven (Maître Coq IV) ayant décidé d'aller chercher un flux de sud-ouest à la longitude de la Bretagne avant de piquer vers Les Sables d'Olonne. Et que disent les routages à la mi-journée ? Et bien que le premier sur la ligne en temps réel (Charlie Dalin) ne sera pas forcément le vainqueur en temps compensé, celui dont le nom reste gravé sur le trophée. Car si Dalin, l'impeccable novice, à moins de 200 milles (370 km) à onze heures ce mercredi devrait être le premier à franchir la bouée Nouch Sud marquant l'arrivée, aux alentours de 20 heures, quatre heures devant Louis Burton et cinq devant Boris Herrmann, il faudra attendre l'arrivée de Yannick Bestaven, annoncé un peu plus de huit heures après Dalin, pour désigner le nouveau Dieu du Vendée Globe.

Selon les projections et fort de ses 10 h 15 de bonification pour le sauvetage de Kevin Escoffier, Bestaven serait alors sacré, devant Herrmann et Dalin ex aequo à moins d’une heure trente, autant dire un trait de crayon sur une carte marine après plus de 1900 heures de mer. Deux vainqueurs pour le prix d’un. Les héros pourraient embouquer le chenal des Sables en toute fin de nuit et ensemble devant quelque 300 bénévoles triés sur le volet autorisés à les accueillir par le préfet, la marée interdisant à ces engins au tirant d’eau de 4,50 mètres de rentrer avant. Mais si en fin de journée, ça «tamponne» devant (le vent faiblit) et ça «revient» par derrière (le vent fraîchit), ce classement pourrait être encore bouleversé…

Jambon-mogettes

Les premiers 60 pieds doivent s’amarrer jeudi matin à l’aube, une fois que la marée haute leur aura permis d’emprunter l’immense chenal. Le film plastique qui protège la moquette rouge du ponton. Entre masques et capuches de ciré, c’est à peine si l’on reconnaît les marins, qui déambulent entre la salle de presse bondée et la zone mixte où les héros seront interrogés cette nuit après avoir changé de confinement. Les deux derniers vainqueurs, Armel Le Cléac’h et François Gabart sont présents, tout comme Yann Eliès, qui lui a remporté la Transat Jacques Vabre 2019 avec son complice Charlie (Dalin) Le miraculé Kevin Escoffier enchaîne les interviews, et seule la télévision allemande ne semble pas trop perturbée par la pluie qui redouble. La presse germanique a débarqué en nombre pour accueillir Boris Herrmann, le nouveau Tabarly. Les équipes techniques dans leurs tenues aux couleurs des sponsors, les officiels et les familles regardent leur montre, sortant le nez dehors entre deux averses et cafés. Lors des éditions précédentes, on pouvait au moins tuer le temps en dégustant un jambon-mogette à La Chaume, l’un des cafés le long du chenal.

Les pointages de 15 et 18 heures vont rythmer la fin de journée qui s’annonce aussi longue que la nuit. Si à 14 heures 30, Charlie Dalin n’est plus qu’à 130 milles (240 kilomètres) du but, et ne semble plus devoir être rejoint et va s’offrir après un ultime empannage (changement de bord au vent arrière) une éclatante victoire au scratch pour sa première participation, il n’est pas certain de l’emporter au final, sous la menace de Yannick Bestaven. Ce dernier a dû taper quelque chose, son safran s’est relevé, le bateau est parti au tas (il s’est couché sur l’eau violemment) et il a perdu une bonne demi-heure soit la moitié de son crédit. 20 h 45: Dalin est arrivée. La nuit s’annonce terrible pour lui et ses chasseurs