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Voile

Yannick Bestaven, vainqueur d'un Vendée Globe d'anthologie

Le marin de 48 ans a franchi la ligne en troisième position, mais remporte le tour du monde grâce à une compensation en temps, après s'être dérouté pour sauver un concurrent. Le suspens a duré jusqu'au bout de la nuit.
Yannick Bestaven à son arrivée, ce jeudi, aux Sables-d'Olonne. (Photo Jean-François Monier. AFP)
publié le 28 janvier 2021 à 6h33
(mis à jour le 28 janvier 2021 à 7h31)

Ebloui par les lumières de la ville et celles des dizaines d’embarcations collées comme un essaim de guêpes, l’approche nocturne aux Sables-d’Olonne, est l’ultime décharge d’adrénaline du tourdumondiste avant le lâcher-prise, puis la terre ferme qui tangue sous les bottes. Mercredi soir, à travers les meurtrières de son cockpit fermé en forme de suppositoire et qui lui a permis de naviguer quatre-vingts jours quasiment au sec, on aperçoit Charlie Dalin les yeux rivés sur son ordinateur de bord, tel un pilote de ligne en phase d’atterrissage. Puis, la ligne franchie un peu après 20 h 30, il sort enfin par la portière papillon de son coursier, salue pudiquement, accueille son équipe technique. Il se glisse sur la plage avant et allume un feu de détresse.

C'est en découvrant son foil bâbord étayé par une vraie toile d'araignée que l'on comprend l'importance de l'avarie qu'il a connue dans l'océan Indien. Le marin consent avoir envisagé d'abandonner en Australie ou en Nouvelle-Zélande, mais s'est transformé en orfèvre du composite, confectionnant une cale en carbone digne d'un prix de Meilleur ouvrier de France. Le parcours sans faute de Dalin, 36 ans, n'est pas sans rappeler celui de François Gabart. Même panache, même élégance.

«Il n’y a pas débat»

Quand on lui demande son sentiment sur les compensations données à Boris Herrmann et Yannick Bestaven (respectivement six et dix heures quinze), il ne tergiverse pas, avoue que si la direction de course lui avait intimé l'ordre de se dérouter vers Kevin Escoffier le naufragé, il n'aurait pas hésité. Il trouve donc parfaitement logique que ces marins soient crédités de ce bonus. A ce moment, le classement final n'est toujours pas figé et Yannick Bestaven (Maître CoQ IV) et Boris Herrmann (SeaExplorer-Yacht Club de Monaco) sont virtuellement les deux premiers de ce Vendée Globe. «Il n'y a pas débat», déclare Dalin, qui, quel que soit le résultat définitif, a atteint son objectif d'avoir les honneurs de la ligne du Vendée Globe dès sa première participation.

A 21 heures 30, coup de froid dans l'euphorie naissante. L'Allemand Boris Herrmann annonce avoir percuté un bateau de pêche espagnol à moins de 100 milles (180 kilomètres) de l'arrivée. Son bateau est très endommagé. La deuxième place, voire la victoire, lui tendait les bras. L'espoir retombe comme un soufflé. Cruel.

La remontée du chenal de Charlie Dalin encore en tenue de mer, escorté par une myriade d'embarcations sans véritable respect du huis clos, colle la chair de poule, pas seulement à cause d'un froid humide et mordant. En zone mixte qui ressemble, avec ses barrières, à une foire aux bestiaux, Dalin, barbe naissante, a la mine d'une jeune cadre rentrant de vacances. Il est affable et se dit profondément changé après quatre-vingts jours de mer. Il croise Armel Le Cléac'h, le dernier vainqueur. L'échange pudique est évidemment cordial et complice. «J'étais là pour ton arrivée il y a quatre ans. Je rêvais souvent de t'imiter», lui lance Charlie les yeux mouillés. «Eh bien c'est fait», lui répond Armel. Joli et discret passage de témoin. «Qu'as-tu commandé pour ton repas ?
— Une pizza, une salade grecque et des fruits frais.
— Même pas une bière ?
— Mince j'ai oublié !
— T'inquiète, c'est normalement prévu.»

Le timing est serré. Charlie Dalin a droit à trente minutes d’intimité avec Perrine, sa compagne, et Oscar, son jeune fiston. Puis débarque pour la conférence de presse. Celui qui se décrit comme cartésien et fascine par son côté rationnel brise l’armure. Au micro, il est comme un poisson dans l’eau, lucide, drôle, d’une étonnante fraîcheur. Ses parents et sa sœur assis au premier rang boivent du petit-lait.

A-t-il eu du plaisir depuis l'arrivée ? Réponse amusée: «J'ai fait une première tournée des médias, mangé une pizza tiède et effectué le contrôle antidopage. Ce n'est pas dingue pour le moment.» Il ajoute : «Ce retour à terre ? Pour l'instant, je ne vis pas ma vraie vie, mais je vois que tout le monde porte des masques et que ce problème n'est pas réglé. Pourtant, on a pris notre temps.» Il déroule ses nombreuses avaries comme dans un film en accéléré, reconnaît que sur son bateau terriblement violent, il s'est régulièrement retrouvé catapulté dans les filets baptisés «rattrape-Charlie» lorsque son voilier plantait dans les vagues escarpées de l'océan Indien.

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On ne résiste pas à lui demander s'il a suivi la cartographie et désormais la position de son seul adversaire, Yannick Bestaven. «Non je ne préfère pas regarder.» On va bientôt comprendre pourquoi. Vers minuit 45, Louis Burton (Bureau Vallée 2) coupe la ligne à son tour. Le marin le plus jovial du plateau a été aussi impérial qu'inoxydable. Malgré sa pluie d'avaries et de pénalités, il termine en trombe, mais avoue que son bateau a failli cramer deux fois, suite à des incendies. «Franchir la ligne à la deuxième place, quelques heures derrière Charlie Dalin, c'est lunaire ! Le bateau est nickel à l'arrivée. Non je plaisante ! En vrai il est ruiné ! J'ai tiré dessus tout ce que j'ai pu, tout le temps. Mes pilotes m'ont lâché dans l'Indien. J'étais très Sud, dans des conditions vraiment compliquées, à peu près au moment où Kevin Escoffier a eu son accident. Ce sont vraiment des conditions où un tel bateau sans pilote devient un objet dangereux, volatil. La panne des deux pilotes a entraîné des casses collatérales sur les voiles, sur le rail de mât.» Veste en daim et chemise blanche, l'entrée de Burton lors de la conférence de presse en dansant est un grand moment. Les yeux comme des traits, on croirait un DJ ayant enchaîné trois nuits aux platines.

«Mariage pluvieux, mariage heureux»

Jeudi, 4 heures 19 : Yannick Bestaven déboule dans une mer bien formée. Son bonus de dix heures et quinze minutes le lui permet. Il remporte ce neuvième Vendée Globe après quatre-vingts jours, treize heures et cinquante-neuf minutes de course. Le spectacle pyrotechnique vaut son pesant de cacahuètes et le Rochelais, tignasse en bataille, craque des feux à mains aussi rouges que son ciré. Ce n'est rien de dire qu'il est euphorique sur le pont de son bateau. Lors des derniers jours, il est allé tutoyer deux dépressions dans le Nord, attaquant comme un mort de faim «pour se refaire» et maintenant il «vit un rêve éveillé». Au ponton, c'est fiesta ! Les retrouvailles entre Bestaven et Dalin, puis avec Escoffier, c'est un peu «mariage pluvieux, mariage heureux». Il est 6 heures 45. Le nouveau héros du Vendée Globe brandit son trophée. Thomas Ruyant (LinkedOut) a accosté à son tour, une heure avant. Son voilier porte les stigmates de cette folle course, et aura besoin d'un passage chez le carrossier.