Première pourvoyeuse de breloques du sport tricolore aux Jeux olympiques de Tokyo en 2021 (sept en individuel pour treize engagés, l’or par équipes mixtes, sur les 33 du bilan final), et assurée en tant que pays hôte d’avoir un représentant dans chacune des quatorze catégories individuelles aux JO de Paris, l’équipe de France de judo a annoncé par la voix de son président Stéphane Nomis l’objectif ambitieux de «dix médailles olympiques».
Pour l’atteindre, les équipes féminine et masculine ont choisi deux chemins distincts : la stabilité pour la première (les sept titulaires de Tokyo étaient présentes aux championnats d’Europe, de vendredi 3 novembre à dimanche 5 à Montpellier), le brassage générationnel pour la seconde (seuls deux «Tokyoïtes» sur six combattaient dans l’Hérault). L’enjeu était double : y voir plus clair dans les catégories à forte concurrence franco-française, et grimper au classement mondial pour s’éviter des tirages au sort piégeux l’été venu.
«Les autres nations nous attendent au tournant»
La dream team féminine et ses 100 % de médaillées olympiques ou mondiales engagées a envoyé des signaux contradictoires à Montpellier. Les quatre titres assourdissants de Shirine Boukli, Amandine Buchard, Marie-Ève Gahié et Romane Dicko et le bronze radieux de Sarah-Léonie Cysique sont nuancés par les glissades de trois taulières. Les échecs prématurés en -78 kg d’Audrey Tcheuméo et de Madeleine Malonga interrogent sur l’usure engendrée par six saisons d’affilée de «à toi-à moi» entre les deux trentenaires. Quant à Clarisse Agbegnenou, l’aura qui la protégeait encore en mai à Doha lors de la conquête de son sixième titre mondial a pris un brusque coup de canif à Montpellier (7e). Une décompensation légitime au regard des efforts déployés par la jeune mère pour revenir au haut niveau.
«Nous sommes attentifs à la dynamique d’ensemble et à la réalité individuelle de chacune», rappelle Christophe Massina. Le responsable de l’équipe de France féminine ne néglige pas les effets de la crise sanitaire et l’impression d’être sans cesse sur la brèche. «Les trois phases de sélection pour les JO prévues mi-novembre, fin février et début mai pourraient n’être que deux si le comité estime que c’est le mieux pour la fraîcheur des athlètes. Les autres nations nous attendent au tournant, à nous de mettre toutes les chances de notre côté.»
Progression au sol
Avec quatre médailles dont un titre, le premier depuis 2016 – en l’absence de Teddy Riner qui plus est –, les masculins français, eux, signent, leur meilleure performance continentale d’ensemble depuis… Montpellier 2014. Du stakhanoviste Romain Valadier-Picard à l’émotion simple et contagieuse du champion d’Europe Luka Mkheidze et des médaillés Walide Khyar et Alpha Oumar Djalo, un jalon semble avoir été posé dans l’Hérault. C’est l’analyse de Baptiste Leroy, arrivé fin 2022 à la tête de cette équipe : «Jusqu’ici, les gars avaient tous performé en tournoi, mais jamais en même temps. L’idée, c’est d’arriver aux Jeux avec la capacité à tous sortir leur jour J la même semaine. Ces Europe à domicile, c’est un peu un bac blanc. Ces derniers mois, il y a eu beaucoup de renouvellements dans le staff des clubs, avec l’arrivée d’entraîneurs expérimentés et investis, et ce n’est pas anodin. Toute l’histoire de l’équipe de France montre qu’il faut des clubs forts pour avoir une équipe nationale forte.»
Réputés fragiles au sol lors de l’olympiade précédente, les Français bossent ainsi depuis quelques mois dessus avec Bertrand Amoussou. L’ancien médaillé européen devenu figure incontournable de la sphère MMA a mis en place des outils concrets comme son «indice IES pour intention, engagement, succès» permettant de mesurer statistiquement la progression sur ce secteur clé du combat, et ça se voit.
Gare toutefois aux trompe-l’œil. Les Russes n’ont, comme de coutume en année olympique, envoyé qu’une équipe B. Beaucoup de cadors se sont inclinés prématurément sur ces trois jours, à l’image du double champion olympique tchèque Lukas Krpalek. Quant aux Géorgiens, ils ne perdront pas toujours quatre finales d’affilée comme ils l’ont fait depuis samedi. Comme l’expliquait dimanche, clin d’œil à l’appui, Rok Draksic, coach slovène du Finlandais Martti Puumalainen, vainqueur tonitruant quelques heures plus tard en +100 kg : «Il ne faut pas se tromper d’objectifs. La défaite pique l’orgueil de nos athlètes. C’est à nous, entraîneurs, de savoir en jouer pour cibler les moments de la saison où ils réagiront le mieux.» A un peu plus de deux-cent-soixante jours du début des JO, la partie d’échecs est lancée.