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Traversée

Après un report inédit, la Route du Rhum a pris son départ

Route du Rhum 2022dossier
C’est la première fois depuis 1978 que la compétition ne part pas à l’heure du déjeuner dominical : pour cause de mauvais temps, le départ prévu dimanche a été reporté à ce mercredi. A 14 h 15, 138 solitaires sur des bateaux de 12 à 32 mètres ont quitté Saint-Malo pour Pointe-à-Pitre en Guadeloupe.
Le multicoque du skipper français Arthur Le Vaillant passe par l'écluse du Naye à Saint-Malo, point de départ de la Route du Rhum, le 4 novembre 2022. (Loic Venance/AFP)
publié le 9 novembre 2022 à 11h19

Quand samedi dernier, dans l’auditorium du palais du Grand Large à Saint-Malo (Ille-et-Vilaine) et un silence de mort, Cyrille Duchesne et Francis Le Goff, respectivement météorologue et directeur de course, commentent les «slides» illustrant des vents tempétueux et une mer effrayante, avant d’annoncer que le départ est logiquement reporté de trois jours, les 138 marins applaudissent. Du jamais vu.

«Intelligente et sage décision»

Les milliers de badauds qui ont envahi la cité corsaire sont aux anges, bénéficiant de jours supplémentaires pour admirer les voiliers et faire le plein de posters et autres goodies entre deux grains de pluie. Si des départs de Vendée Globe, de la Transat Jacques Vabre, ou de la Mini Transat, ont déjà été ajournés pour cause de très mauvaise météo, c’est la première fois depuis 1978, que la Route du Rhum ne part pas à l’heure du déjeuner dominical et en direct au JT de 13 heures.

Rares sont les marins à remettre en question la décision de ne pas envoyer au «casse-pipe» les concurrents. Il y a certes l’inoxydable navigateur Yvan Bourgnon – il n’est pas concurrent cette année – dont le regretté frère ainé Laurent reste le seul double vainqueur du Rhum, à maugréer sur le fait de retarder le départ, outre quelques «marins de canapé», qui sur les réseaux sociaux tirent à boulets rouges sur les organisateurs.

L’on croise sur le granite ruisselant de la cité natale de Chateaubriand un pilote d’hélicoptère de la marine nationale à la base d’aéronautique navale de Lann-Bihoué, spécialisée dans le sauvetage des naufragés : «Heureusement que les organisateurs ont pris cette intelligente et sage décision, car nous n’aurions pas été assez nombreux pour aller les chercher !»

«La traversée n’est pas celle d’une baignoire»

Michel Desjoyeaux, marin solitaire le plus titré, vainqueur de la Route du Rhum en 2002 après une tempête mémorable, aime à rappeler «qu’il appartient à chaque concurrent de prendre ou non le départ, et que la traversée de l’Atlantique n’est pas celle d’une baignoire». Quelques Bretons décident de rentrer chez eux, quand d’autres préfèrent rester sur place, s’enfermant dans leur cabine ou restant à l’hôtel à faire tourner des routages météo (les routes optimales à choisir entre Saint-Malo et Pointe-à-Pitre) sur ordinateur. Tous piaffent d’impatience, mais savent que le début de course ne va pas être une sinécure. «Ce ne sera pas évident entre le vent de face assez fort, les courants, les filets de pêche dérivants et le parc éolien devant Saint-Brieuc», souligne Arnaud Boissières (La Mie câline), marin ayant déjà disputé quatre Vendée Globe d’affilée.

N’empêche, avant de pouvoir glisser à haute vitesse vers la Guadeloupe, il va falloir faire le dos rond et se «cogner» un premier front issu d’une perturbation venue d’Islande. Christian Dumard, navigateur et routeur reconnu, et qui comme il y a quatre ans, conseille de terre Francis Joyon (Idec Sport), tenant du titre est clair : «Les ultimes (grands trimarans de 32 mètres) seront déjà à la pointe Bretagne dans la nuit, mais vont devoir faire des choix : aller dans le dur au nord ou préférer le sud, plus tranquille mais plus lent avant de rejoindre les alizés. Il demeure des incertitudes et beaucoup de compromis. Ce ne sera pas facile.»

N’empêche, le record détenu par Joyon (sept jours et quatorze heures) devrait être pulvérisé. «Les bateaux ont encore beaucoup progressé en quatre ans», ajoute Dumard. Lui voit le vainqueur de cette Route du Rhum en six jours voire moins, quand les Imoca (bateaux du Vendée Globe) et Ocean Fifty (multicoques de 15 mètres) en à peine dix jours. Dire qu’en 1978, Mike Birch, premier vainqueur, avait mis plus de vingt-trois jours. En quarante-cinq ans, pas un train, une automobile, un avion ou une fusée n’a autant progressé qu’un voilier de course.