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Libération
Course en montagne

Au Pays basque, la Skyrhune s’arrête pour dire non au «trail business»

Après dix ans d’existence, cette course folle de 21 kilomètres qui réunit l’élite des coureurs professionnels et des amateurs, s’arrête après une ultime édition ce samedi. En cause, un «trail business» toujours plus coûteux que les organisateurs ne «veulent plus cautionner».
La Rhune, au Pays basque. (castelli/ Andia)
par Carole Suhas, correspondante au Pays basque
publié le 21 septembre 2024 à 9h07

Une dernière pour «refermer la boucle» et quitter un modèle du trail qu’ils «ne veu (lent) plus cautionner». Au Pays basque, la Skyrhune, course de 21 kilomètres, avec un dénivelé de 1 700 mètres à avaler en 4h10 maximum, sur les flancs de la Rhune, s’arrête définitivement après dix ans d’existence. Un cocktail de performance sportive, d’ambiance folle et de simplicité, qui réunit 600 coureurs Elite et amateurs pour un dernier départ ce samedi 21 septembre. Pour Nicolas Darmaillacq, créateur de la course avec une poignée d’amis en 2014, la professionnalisation galopante du monde du trail entraîne la fin d’une «course de village» comme l’est la Skyrhune, aux valeurs opposées à celles du «trail business». Selon lui, cette course décalée ne peut plus se plier aux exigences budgétaires que requiert l’évolution de la discipline, prise dans la traînée de l’Ultra-Trail du Mont-Blanc (UTMB), «locomotive qui écrase tout sur son passage».

Depuis sa création en 2014, le budget de la Skyrhune a triplé pour atteindre aujourd’hui les 90 000 euros, «sans augmenter le nombre de coureurs», explique l’organisateur. Et ce ne sont pas les coureurs qui coûtent cher, dit-il, mais les prestations. «Il y a tout un tas de métiers qui se développent autour des courses, dans la vidéo ou l’image par exemple, et le gâteau doit être plus gros parce que tout le monde veut vivre de sa passion». Ainsi du speaker, bénévole il y a dix ans qui en a depuis fait son métier, ou des vidéastes qui ont remplacé les bonnes âmes et leurs téléphones, et qui ont désormais des exigences tarifaires. «Je ne critique pas qu’on veuille en vivre, mais ça a des conséquences et sans mécène, c’est le coureur qui paie et ça, je m’y refuse», tranche Nicolas Darmaillacq. Impensable pour lui d’augmenter un prix du droit d’inscription à la course, déjà fixé à 35 euros. «On en a déjà longuement débattu une première fois, il y a six ans quand on est passé de 15 à 25 euros, mais il est hors de question d’aller encore plus loin, le sport doit être accessible à tous, pas devenir un privilège de CSP+.» Entre 2018 et 2024, selon un comparatif dressé par le site spécialisé Outside.fr, le prix du dossard a augmenté de 60 % pour l’UTMB, désormais à 400 euros, de 23 % pour la Diagonale des fous, sur l’île de la Réunion, ou de 28 % pour le Grand raid des Pyrénées.

«Surenchère inarrêtable»

C’est cette «surenchère inarrêtable», observée par Nicolas Darmaillacq et ses co-organisateurs, qui les a poussés à s’interroger sur leur évènement ces deux dernières années. Nicolas Darmaillacq dit son agacement d’un sport désormais «consommé». «Ce qui me rend fou c’est que ce samedi, on aura 80 non-partants, des gens qui consomment du dossard et qui ne vont même pas prendre le départ parce qu’ils s’inscrivent à des courses en sachant très bien qu’ils ne pourront pas toutes les faire et revendent leurs dossards. Et nous, à côté de ça, on aura dit non à un jeune qui se sera préparé depuis des mois parce qu’on n’a plus de place», enrage Nicolas Darmaillacq. Pour Maud Combarieu, qui connaît bien la Skyrhune pour l’avoir courue six fois et en être la détentrice du record de vitesse en descente, «la professionnalisation a du bon parce qu’il y a maintenant un vrai respect du coureur Elite, payé pour ses performances, mais le coureur lambda n’a plus trop de place et ce n’est pas du tout vers ça qu’on veut aller.» Si elle regrette la perte de la Skyrhune, elle partage cette vision populaire.

Thibaut Baronian, champion de France de trail en 2023 et coureur professionnel, a lui aussi connu les débuts de la Skyrhune, qu’il a remportée à deux reprises en 2016 et 2017. Celui qui est arrivé 2e sur les 90 km du Mont-Blanc fin juin, pas encore remis, sera bien sur les pentes de la Rhune, mais pour assurer les ravitaillements de ses camarades de l’équipe Salomon. «Je comprends que les organisateurs aient envie de préserver l’âme de la course et c’est tout à leur honneur de rester sur dix éditions faites comme ils en avaient envie, parce qu’ici on est vraiment dans l’esprit du trail et tu sens qu’il n’y a pas de business derrière», commente-t-il. Parmi les modèles des organisateurs, les courses voisines du Pays basque espagnol, connues pour la ferveur de leur public, à l’image de la mythique Zegama-Aizkorri, dont la dernière édition a été remportée pour la onzième fois par Kilian Jornet fin mai. Elle aussi a augmenté ses prix, avec un dossard à 75 euros et la mise en place d’un tirage au sort à 1 euro. «Pas un détail quand on sait que 14 000 personnes tentent leur chance», relève Maud Combarieu.

Pour les organisateurs de la Skyrhune, deux mondes du trail se dessinent désormais, avec «les grosses courses et tout l’argent qu’elles drainent», et les petites courses locales qui ne disparaîtront pas pour autant. «Mais le problème, c’est que les premières ne seront plus accessibles à tout le monde, déplore Nicolas Darmaillacq. Pourquoi grossir à tout prix ? L’UTMB, aujourd’hui, c’est 11 000 coureurs et 50 courses différentes. Mais pour quoi faire ?»