Un dernier shoot casse-croûte et le buzzer retentit. Monaco est champion de France. Devant leur banc, les joueurs exultent, se prennent dans les bras, mettent déjà des casquettes brodées «Champions 2023». Le regard des 15 000 fans installés sur le court central de Roland-Garros, transformé en salle de basket, se porte pourtant vers le milieu du terrain. Abattu, Victor Wembanyama, celui que tout le monde est venu voir jouer, reste de longue secondes la tête basse dans les bras d’un coéquipier.
«Engouement jamais vu»
Le Français de 2m22 est déçu : son rêve de terminer son parcours dans le championnat de France par un titre avec les Metropolitans 92, le club de Boulogne et Levallois (Hauts-de-Seine), a été fauché net en finale de playoffs. Une défaite qui signe la fin de son épopée dans l’Hexagone.
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🏆 LA ROCA TEAM EST CHAMPIONNE DE FRANCE ! pic.twitter.com/9AhoVsinA3
Dans quelques jours, le plus gros talent de sa génération, peut être le plus gros que la planète basket ait vu tout court, s’envolera pour les Etats-Unis. Dans la nuit du 22 au 23 juin, il saura enfin officiellement dans quelle équipe il évoluera l’année prochaine en NBA. La grande ligue américaine est ainsi faite que ce sont les 30 équipes qui choisissent leurs futurs joueurs et non l’inverse, selon un ordre défini par un tirage au sort. Cela fait des années que tout le monde sait que Victor Wembanyama sera le premier à être appelé, et depuis la loterie, il y a un mois, que l’on sait qu’il devrait atterrir aux San Antonio Spurs, l’ancien club de Tony Parker.
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Mais sur le parquet de Roland, celui que l’Amérique s’arrache n’a pas encore la tête aux Etats-Unis. Il digère encore tout juste cette saison exceptionnelle qui l’a vue lui, gamin de 19 ans, attirer une attention démesurée sur la Betclic Elite. «L’engouement qu’on a vu cette année, ça ne s’était jamais vu avant et je pense que ça ne se reproduira jamais après», dit simplement Alain Weisz, directeur des opérations sportives des Mets et ancien sélectionneur de l’équipe de France.
Un joueur du futur sorti d’un jeu vidéo
Collectivement, les Mets ont réalisé une saison presque parfaite. Malgré une équipe jeune, bâtie donc autour d’un joueur qui n’avait que 18 ans en début d’exercice, Levallois a terminé deuxième de la saison régulière derrière Monaco. «C’était une saison au-delà de nos espérances», reconnaissait jeudi soir Vincent Collet, le coach.
Victor Wembanyama a aussi fait plus que répondre individuellement aux attentes qui pesaient sur ses épaules. Capable de dribbler comme un meneur, de tirer comme un arrière et de dominer dans la raquette comme un intérieur, le gamin a roulé sur le championnat de France. Pour sa dernière année dans l’Hexagone, le natif du Chesnay dans les Yvelines a terminé meilleur joueur, marqueur, défenseur, contreur et jeune. Rien que ça. Il était reparti mi-mai de la cérémonie avec tellement de trophées dans les bras qu’il avait du mal à prendre la pause face aux photographes.
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Il a par la même occasion rassuré les sceptiques qui doutaient de sa santé après sa saison 2021-2022 disputée en alternance : la moitié du temps sur le parquet, l’autre à l’infirmerie. Cette année, Wemby a disputé les 42 matchs de son équipe en championnat. Il est même le joueur qui a passé le plus de temps sur le terrain cette saison, toutes équipes confondues.
Sur le parquet, le géant a bénéficié d’une liberté presque totale. On l’a vu tenter de faire la différence tout seul et réussir quelques exploits qui ont fait le tour des réseaux sociaux. Comme ses shoots à trois points sur une jambe après des dribbles entre les jambes ou ce dunk réalisé en avril contre Monaco sur son propre shoot à trois points, action qui semble tout droit sortie d’un dessin animé.
Comment ça Wembanyama vient de putback son PROPRE tir à trois points ?!?pic.twitter.com/jlGs6QUSwa
— TrashTalk (@TrashTalk_fr) April 2, 2023
Si sa domination a été historique sur le terrain, l’attente que la pépite française a générée l’a été plus encore. «Le big bang de notre épopée, c’était Las Vegas», retrace Weisz. Une double confrontation amicale, organisée en octobre par la NBA entre une équipe de jeunes talents américains et les Metropolitans aux Etats-Unis. Et deux cartons successifs pour Wemby (37 et 36 points). Suffisant pour être encensé par les plus grandes stars de la NBA – LeBron James, Stephen Curry et Kevin Durant en tête – qui en parlent comme d’un joueur du futur tout droit sorti d’un jeu vidéo. Des performances telles qu’on lui a proposé d’arrêter sa saison en cours de route pour se préserver pour la NBA, ce que le gamin a refusé.
«Tournée des Beatles»
A Levallois, le palais des sports Marcel-Cerdan a vite été beaucoup trop petit pour un tel phénomène. En début de saison, Alain Weisz se félicitait auprès de Libé de remplir la salle en deux heures. Depuis janvier, à peine mises en vente, les 2 800 places disparaissent en moins d’une minute. Aux premiers rangs, les stars se bousculent : de Lionel Jospin à Travis Scott en passant par Michael Douglas, Kylian Mbappé ou Omar Sy, tous sont venus voir jouer Wembanyama. Le club a été forcé de délocaliser des matchs à Roland-Garros et à Bercy pour satisfaire la demande.
A l’extérieur, même tarif : le géant remplit les salles en quelques minutes. A Nancy, on a estimé avoir fait autour de 15 000 déçus, en plus des 6 000 chanceux qui ont réussi à gratter une place. «On nous a parfois parlé de tournée de Beatles, s’amusait Vincent Collet après la défaite en finale. Mais ce qu’il a provoqué partout, en termes d’image, pour le basket français, c’était top.»
«Il a amené une sorte de loupe sur notre championnat. Grâce à Victor, des gens se rendent compte que la Betclic Elite n’est pas un championnat de seconde zone mais une ligue où ça joue bien, avec des scores serrés et une bonne ambiance», observe Fabrice Jouhaud, le directeur général de la Ligue nationale de basket (LNB).
Dans un Texas très chrétien, Victor Wembanyama est attendu comme un demi-dieu à San Antonio. En témoignent les bougies déjà vendues à son effigie dans la ville sur lesquelles sa tête remplace celle de Jésus. Sans parler des demandes d’abonnements pour la saison prochaine qui s’y sont complètement envolées alors que le prodige français n’a pas encore rejoint officiellement les Spurs.
Du côté de la LNB, on le regarde partir un peu nostalgique, mais, jure-t-on, sans regret. «On sait que l’intensité médiatique va redescendre, parce que Victor, il n’y en a qu’un. Mais notre championnat grandit et s’améliore depuis plusieurs années. C’était la cerise sur le gâteau, une cerise énorme certes, mais la cerise n’est pas l’ingrédient principal du gâteau. Et puis, en France, on a plein d’autres petites cerises», image Fabrice Jouhaud.