L’un refuse de baisser son pantalon, les autres finissent par retourner leur veste. Le monde policé des échecs a vécu ces derniers jours un psychodrame très commenté autour du roi incontesté de la discipline, le Norvégien Magnus Carlsen. Vendredi, ce dernier a quitté avec fracas les championnats du monde d’échecs rapides, organisés à New York par la Fédération internationale (Fide). La raison ? La tenue vestimentaire du champion de 34 ans, premier joueur au classement mondial, qui a eu le malheur de venir jouer en jean – avec veste et chemise – ses matchs du vendredi après-midi.
Or la Fédération internationale d’échecs, coutumière de telles rigidités, est très stricte quant aux tenues des joueurs et joueuses inscrits à ses tournois. Ceux-ci sont invités à «s’habiller pour impressionner» et à être vêtus de «tenues professionnelles». Elle précise même que les baskets, t-shirts, vêtements déchirés, et donc les jeans, sont tout simplement interdits sous peine de sanction. Bien qu’étant considéré par beaucoup comme le meilleur joueur d’échecs du XXIe siècle, Magnus Carlsen n’a pas bénéficié d’un traitement de faveur.
«Une question de principe»
Le Norvégien a d’abord écopé d’une amende de 200 dollars (191 euros) de la part des arbitres pour son «infraction». «Ensuite, j’ai été averti que je ne serais pas qualifié pour la prochaine ronde si je ne changeais pas mes vêtements, a-t-il expliqué dans la foulée sur la chaîne YouTube de son application d’échecs, Take Take Take. J’ai demandé si je pouvais me changer le lendemain [le samedi, ndlr], car je n’avais pas réalisé. […] A partir de ce moment-là, c’est un peu devenu une question de principe.»
OOTD pic.twitter.com/9reOP6zuJv
— Magnus Carlsen (@MagnusCarlsen) December 28, 2024
Malicieux, Magnus Carlsen a ensuite posté sur son compte X (ex-Twitter) la photo de la tenue incriminée avec cette légende : «OOTD», pour outfit of the day. «Je suis trop vieux désormais pour me prendre la tête», a affirmé le champion sur YouTube, confirmant qu’il serait absent pour la dernière journée de la compétition en «rapide» (une variante où le temps imparti aux joueurs est compris entre dix et soixante minutes), ainsi que pour le championnat du monde de blitz (moins de dix minutes par joueur), organisé dans la foulée au même endroit.
Dans un premier temps, la très corsetée Fédération internationale des échecs est restée campée sur ses positions. «Les règles de la Fide, comme le code vestimentaire, sont conçues pour garantir le professionnalisme et l’équité entre tous les participants, a-t-elle cinglé dans un communiqué publié dans la nuit de vendredi. Ces règles sont en place depuis des années, sont connues de tous les participants et leur sont communiquées avant chaque événement.» Elle ajoute que la décision a été prise «impartialement et s’applique de façon équitable pour tous les joueurs».
La Fédération internationale des échecs fait marche arrière
La brouille semblait devoir en rester là. Mais dimanche soir, l’instance internationale a fait machine arrière en publiant un nouveau communiqué beaucoup moins offensif – mais tout aussi lunaire. Dans ce texte, son président, le Russe Arkady Dvorkovich, fait des ronds de jambe à Magnus Carlsen et autorise désormais les arbitres à assouplir les règles vestimentaires afin que «le sport reste inclusif et attrayant» pour le grand public. Celui qui fut tout de même vice-président du gouvernement russe précise : «Il sera toujours nécessaire de suivre le dress code, mais d’élégants et petits écarts (qui pourront, en particulier, inclure un jean assorti à une veste) seront autorisés. Après tout, c’est la période des Fêtes…»
Satisfait, le champion norvégien a ensuite annoncé son retour à la compétition new-yorkaise dès ce lundi 30 décembre soir, pour la compétition de blitz. Une résolution à l’amiable pour un conflit qui pourrait sembler dérisoire mais qui a sans doute de bien plus profondes implications. Comme l’ont souligné de nombreux commentateurs et professionnels des échecs, Magnus Carlsen est en conflit plus ou moins ouvert avec la Fide depuis de longs mois. Lassé par le format, le Norvégien a récemment refusé de participer au championnat du monde en partie longue, la compétition la plus prestigieuse. Il a aussi beaucoup investi (en temps et en argent) dans une variante des échecs, les échecs 960 ou «freestyle», qui consiste à positionner aléatoirement les pièces de la première ligne (roi, dame, fou, cavalier et tour) à chaque partie, ne cachant pas son envie de créer un circuit parallèle.
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Ce qui fait naître des spéculations quant aux réelles motivations des différentes parties dans cette affaire. Sur les réseaux sociaux, beaucoup ont par exemple pointé le fait que le grand maître arménien Zaven Andriassian portait samedi un jean similaire à celui de Carlsen sans être sanctionné. D’autres affirment que le Norvégien a fait exprès de venir avec ce pantalon pour provoquer la Fédération internationale des échecs. C’est le cas du joueur français Kevin Bordi, alias Blitzstream sur les réseaux, qui a estimé samedi sur YouTube que le Norvégien avait délibérément essayé «d’aller au clash» pour «tester les limites» et «mettre un grand coup de pied dans la fourmilière» de la Fide, une institution qui a selon lui un grand besoin de modernisation.
Quoi qu’il en soit, le champion est content de son coup. Après avoir annoncé son retour sur YouTube, dimanche soir, Magnus Carlsen a aussi posté sur X une dernière bravade en forme d’épilogue : «Oh, je jouerai assurément en jean demain.»