La pratique sera bientôt interdite pour «protéger la santé des coureurs». L’Union cycliste internationale (UCI) a décidé ce samedi 1er février de bannir l’inhalation répétée de monoxyde de carbone (CO) dans les pelotons à partir du 10 février prochain. La technique décriée et dangereuse, en usage dans plusieurs équipes professionnelles, est censée favoriser la production d’hémoglobine (Hb).
L’instance s’est réunie vendredi et ce samedi à Arras en marge des Mondiaux de cyclo-cross à Liévin (Pas-de-Calais) et son communiqué est tombé peu après que la Néerlandaise Fem Van Empel ne décroche une troisième tunique arc-en-ciel. Le comité directeur de l’UCI «a approuvé l’interdiction de l’inhalation répétée de monoxyde de carbone», et notamment «la possession, en dehors d’une structure médicale, de systèmes de re-breathing (réinspiration) de CO disponibles dans le commerce et reliés à des bouteilles d’oxygène et de CO», précise le texte. «L’interdiction entrera en vigueur le 10 février 2025.»
La controverse autour du monoxyde de carbone est née lors du dernier Tour de France après la publication d’un article du média spécialisé Escape Collective indiquant qu’au moins trois équipes, dont UAE de Tadej Pogacar et Visma de Jonas Vingegaard, avaient eu recours à un recycleur de CO. Cet appareil permet de mesurer la masse totale d’hémoglobine et, par extension, les bienfaits des entraînements en altitude sur l’organisme.
Usage dévoyé
La pratique en soi n’a rien d’illégal. «L’inhalation de monoxyde de carbone est une technique très standardisée qui a été validée il y a vingt ans déjà. Il n’y a aucun autre moyen de quantifier aussi précisément les bienfaits de l’altitude», a souligné en décembre le coordinateur de la performance chez UAE, Jeroen Swart. «On a fait ça sur une durée de 18 mois. Ce processus est désormais terminé. On n’a plus besoin de faire de tels tests et on ne prévoit pas d’en faire», a-t-il ajouté.
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Interrogés par la presse pendant le Tour, Vingegaard et Pogacar en avaient reconnu l’utilisation, tout en dédramatisant l’affaire. «Il n’y a rien de suspicieux», avait assuré le premier, insistant sur le fait que le procédé servait uniquement à mesurer le volume sanguin. «On souffle dans un ballon pendant une minute pour un test qu’on doit faire à deux semaines d’intervalle. J’ai seulement fait la première partie car pour la deuxième, la fille qui devait le faire n’est jamais venue. Ce n’est pas comme si on respirait ça tous les jours», avait ajouté Pogacar.
Sauf que ces appareils pourraient aussi avoir un usage dévoyé, à travers des inhalations répétées, pour créer une hypoxie artificielle susceptible d’améliorer la performance. C’est ce qu’estime Daniele Cardinale, chercheur de l’École suédoise des sciences du sport et de la santé, dans une étude présentée l’été dernier au cours d’un colloque baptisé «Science & Cyclisme», en Toscane, à trois jours du départ du Tour de France. Des conclusions qui font débat. Jeroen Swart, lui, se veut formel : «je ne vois personne faire ça, ce n’est pas réaliste», a-t-il balayé, jugeant «sensationnaliste» l’article d’Escape Collective.
Pourtant, dans une interview au Monde le 18 janvier Jonas Vingegaard lui-même affirme que «certaines équipes détournent son usage en inhalant régulièrement de faibles doses de monoxyde de carbone, ce qui provoque un gain significatif de performance de leurs coureurs». Avant de trancher : «ce n’est pas juste et il faudrait que l’Agence mondiale antidopage (AMA) l’interdise». Des propos ensuite démentis par son équipe, la Visma, auprès de l’AFP : «Jonas n’a pas dit ça. Jamais on accuserait quiconque.»
Le précédent du tramadol
Malgré tout, plusieurs acteurs du sport, dont le Mouvement pour un cyclisme crédible (MPCC), ont poussé l’UCI à prendre position sur ce gaz inodore qui est régulièrement à l’origine d’accidents domestiques mortels. Des patrons d’équipe comme Marc Madiot sont également montés au créneau. L’UCI a demandé dès l’automne dernier à l’AMA de prendre position sur la question, avant d’annoncer mi-décembre qu’elle allait demander à son propre Comité directeur d’interdire, «pour raisons médicales», l’usage du gaz.
L’UCI a déjà, par le passé pris les devants pour bannir une méthode autorisée par l’Agence mondiale antidopage (AMA) mais qui agite un sport longtemps gangrené par les affaires de triche. Ce fut par exemple le cas avec l’antidouleur tramadol, à l’usage détourné et suspecté de causer des chutes en course à cause de ses effets secondaires, dont la somnolence. Cet antalgique puissant a été interdit dans le cyclisme dès 2019, ce qui a permis notamment de disqualifier le Colombien Nairo Quintana du Tour de France 2022. Cinq ans plus tard, il a aussi été placé sur la liste des produits et substances interdits par l’AMA, avec des sanctions beaucoup plus sévères à la clé.
A propos du monoxyde de carbone, l’UCI relève qu’«inhalé de manière répétée dans des conditions non-médicalisées, il peut être à l’origine d’effets secondaires comme des maux de tête, une sensation de fatigue, des nausées, des vomissements, des douleurs thoraciques, des difficultés respiratoires, voire une perte de connaissance». Son utilisation pour mesurer l’hémoglobine reste en revanche autorisée. «L’inhalation de CO restera autorisée au sein d’une structure médicale et sous la responsabilité d’un professionnel de santé expérimenté dans la manipulation de ce gaz à des fins médicales, et conformément aux restrictions suivantes : seule une inhalation de CO permettant de mesurer la masse totale d’Hb sera autorisée. Une deuxième inhalation de CO ne sera autorisée que deux semaines après la mesure initiale de l’Hb.» Toute inhalation devra aussi être enregistrée dans le dossier médical établi pour chaque athlète.