Il n’y a pas loin du Capitole à la roche Tarpéienne. En langage cycliste, le dicton romain pourrait se traduire par : sur un grand tour, on peut tout perdre sur un détail. Le 105e Giro d’Italia vient d’en donner un exemple pour le moins inattendu et cruel. En guise de Capitole : le podium dressé à Jesi, ville d’arrivée de la dixième étape, sur lequel a grimpé mardi en fin d’après-midi l’Erythréen Biniam Girmay. Au terme d’un sprint victorieux, le coureur de 22 ans venait de frapper les esprits et l’histoire de son sport en devenant le premier noir africain à remporter une étape d’un grand tour.
La montée sur l’estrade devait donc couronner un jour de gloire très symbolique. Mais voilà qu’en guise de roche Tarpéienne, un vilain bouchon de prosecco est venu gâcher la fête. Au moment de décapuchonner la bouteille géante d’un pétillant sponsor du Giro, le pauvre Girmay a vu le morceau de liège lui sauter au visage, en plein dans l’orbite gauche. Sur le moment, il a quand même pu lever les bras, mais on l’a vu plusieurs fois frotter la zone d’impact. Puis on a appris qu’il était conduit à l’hôpital local. L’inquiétude est montée et la sentence a fini par tomber ce mercredi matin : l’Erythréen ne prendra pas le départ de la onzième étape. Il souffre d’une hémorragie interne qui obscurcit sa vision. Son équipe, Intermarché, n’a pas voulu prendre de risque.
😬 Oh non... Brillant vainqueur de la 10e étape du #Giro, Biniam Girmay s'est blessé sur le podium en prenant le bouchon d'une bouteille de prosecco dans l'oeil #LesRP https://t.co/pWTDRujF8I pic.twitter.com/313ohJWL9W
— Eurosport France (@Eurosport_FR) May 17, 2022
D’autres examens ophtalmologiques sont prévus à court terme pour Girmay, qui a quitté l’hôtel ce mercredi matin avec son manager après avoir salué coéquipiers et staff. «Les examens ont révélé des lésions à l’œil gauche, qui nécessitent la plus grande précaution et du repos», explique l’équipe belge. Son médecin, Piet Daneels, précise que «les examens ont révélé une hémorragie dans la chambre antérieure de l’œil gauche. L’évolution de sa blessure va dans le bon sens.» Mais la médecine est formelle : «Dans le but de minimiser le risque d’expansion hémorragique et de pression intraoculaire, il est fortement recommandé d’éviter les activités intensives. Notre priorité est un rétablissement complet de la blessure.»
La fable est terrible pour un coureur qui pouvait prétendre décrocher le maillot cyclamen – celui du meilleur sprinteur – à l’arrivée du Giro à Vérone, dans dix jours. Mais aussi pour celui qui illumine son sport depuis le début de l’année. Fin mars, Girmay avait déjà été le premier coureur noir africain à décrocher une classique en remportant Gand-Wevelgem en Belgique. De quoi lui valoir le respect du peloton, à l’image d’un Mathieu van der Poel, deuxième hier, qui a salué d’un pouce levé la victoire de son concurrent au moment où il franchissait la ligne. D’ailleurs, le même Van der Poel avait déjà failli être victime d’un bouchon capricieux lors de la cérémonie qui avait suivi sa victoire sur la première étape du Giro. Mais il l’avait reçu au niveau d’une épaule, n’obérant pas ses chances de poursuivre l’épreuve.
Coupable de récidive, la bouteille géante de prosecco rejoint toutefois le panthéon des improbables embûches du Giro, une course qui s’est signalée ces dernières années par sa capacité à envoyer au tapis certains de ses plus illustres engagés. Deux exemples récents pour une même victime : le Gallois Geraint Thomas, un habitué des chutes. En 2017, il avait dû abandonner le Tour d’Italie après avoir percuté une moto de carabiniers mal garée. En 2020, ce n’est pas une bouteille de pétillant mais un bidon d’eau qui est venu se glisser sous ses roues, envoyant le coureur sur le bitume à grande vitesse et le contraignant, là encore, à jeter l’éponge. On espère que le même chat noir ne poursuit pas Girmay, qu’on pourrait peut-être voir en France cet été. Le manager de son équipe, Jean-François Bourlart, n’a pas fermé la porte ce mercredi matin sur Eurosport : «Tout le monde rêve de voir “Bini” sur le Tour de France. Il est un petit peu tôt, mais nous verrons.»