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Interview

Marc Madiot : «C’est l’heure d’enclencher les réformes, sinon le cyclisme français va mourir»

L’ancien patron de la Ligue et actuel directeur sportif de l’équipe Groupama-FDJ soutient Cyrille Guimard pour l’élection à la présidence de la Fédération, ce samedi. Il souhaite une refonte de la formation française et rendre les courses amateures plus accessibles.
Marc Madiot en juillet 2019. (Marco Bertorello/AFP)
publié le 26 février 2021 à 11h18

Climat tendu dans les hautes sphères du vélo hexagonal. L’élection à la présidence de la Fédération française de cyclisme se tient ce samedi et les deux principaux prétendants se livrent un duel au couteau. Cyrille Guimard, opposant au président sortant, Michel Callot, a déposé en début de semaine un recours auprès du Comité national olympique du sport français pour dénoncer des irrégularités. Entre Callot et Guimard, ce sont deux mondes qui s’opposent. Le premier, en poste depuis 2017, est issu du sérail fédéral et souhaite inscrire son deuxième mandat dans la continuité du premier. Le deuxième, figure du cyclisme français, ancien coureur, dirigeant d’équipe et sélectionneur national, «veut tout changer». A Libération, Marc Madiot, une voix qui porte dans le monde du vélo, dit craindre pour la survie de son sport. L’ancien patron de la Ligue (qui chapeaute le cyclisme pro) et actuel directeur sportif de la puissante Groupama-FDJ, prend position en faveur de Cyrille Guimard.

Quel est votre sentiment sur l’élection de samedi ?

Ecoutez, je dois avoir une licence depuis quarante-cinq ans, à différents niveaux, coureur amateur, débutant, professionnel, dirigeant d’équipe et je n’ai jamais eu un bulletin de vote dans les mains pour les élections fédérales. Bon là, je ne m’attaque pas seulement à la Fédération française de cyclisme, c’est plus un problème d’organisation des sports en France, où le citoyen qui a une licence n’a jamais de bulletin de vote, quelle que soit la discipline ou presque. Et ce n’est bon pour personne. (Il souffle). On fait dans l’immobilisme, en fait. Les pouvoirs publics doivent réformer ça.

Vous n’avez pas de bulletin, mais qu’est-ce que vous en attendez ?

Que cela apporte une évolution ! C’est l’heure d’enclencher les réformes, sinon le sport cycliste va s’effondrer, mourir. Et c’est un beau sport. La crise a mis en évidence des choses plus ou moins camouflées. Vous voyez, il y a une génération de coureurs français qui est en place. Regardez-la bien, parce que vous risquez d’être un long moment sans voir de coureurs français de bon niveau. Et ce ne sera pas de la faute des gamins, mais du fonctionnement général de notre sport. On ne peut pas échapper à une réforme en profondeur. On dit «ouais, Guimard, machin» : Guimard, au moins, il veut secouer le cocotier. Il a 74 balais je crois, mais enfin il est jeune, lui, dans son esprit. Moi j’ai envie d’un mec qui bouge les choses. Je n’ai rien contre Michel Callot, mais il est pris dans le système fédéral. Ce serait un autre, ce serait pareil. Il est plus qu’urgent de repenser tout ça. Sinon, Paris 2024 il ne faut pas rêver d’une médaille.

Que souhaitez-vous voir réformé, alors ?

Déjà, les catégories d’âge ont vécu. Il faut faire des catégories de niveau, rendre les courses accessibles à tout le monde. Le gars qui a envie de faire du vélo aujourd’hui, il faut qu’il ait la capacité de courir le plus près de chez lui sans s’emmerder. Si on dit, oui, il y a une course à vingt kilomètres mais toi tu n’as pas le droit à celle-là, faut que tu ailles à l’autre qui est à 100 kilomètres, il ne comprend pas.

On voit dans le peloton des coureurs étrangers qui arrivent très jeunes, contrairement aux coureurs français. Quelle est votre position sur la formation à la française ?

Je sais que ça va faire grincer des dents, mais ce qui est le plus important, dans un sport, c’est le développement des jeunes et du haut niveau des jeunes. C’est ça, la locomotive. Je vais vous faire une confidence : j’ai un coureur à la Groupama-FDJ qui s’appelle David Gaudu. Il a gagné le Tour de l’Avenir [en 2016, l’équivalent pour les 19-22 ans du Tour de France]. Il a donc un potentiel. Quand il est arrivé chez les pros il ne savait pas ce qu’était une bordure, il savait à peine ce qu’était un vélo de chrono, il ne savait pas s’alimenter. Voilà. Donc oui, on a un déficit de formation. Mon gamin s’est mis à faire du vélo, là. Je l’ai inscrit dans un club près de chez moi. Les deux personnes les plus actives du club ont plus de 80 ans. Je leur rends hommage : ils ont une verdeur, une motivation… Heureusement qu’ils sont là ! Mais on ne peut pas demander à des papys de 80 ans de faire de la diététique à des mômes. On peut peut-être restructurer tout ça, non ?

Dans l’Equipe, Guimard affirme vouloir «remettre le club sur la place du marché, entre la mairie et l’église».

Il n’a pas tort. Le club c’est un lieu de retrouvailles, de rassemblement, d’évolution. Si vous avez un club qui est coquille vide, qui vous demande seulement un chèque pour avoir une licence et éventuellement faire une course, ce n’est pas très encourageant. Il y a aussi un problème de moyens, d’éducateurs capables d’accompagner plus vite, plus tôt.

En ce moment, le monde associatif du vélo est-il en train de mourir ?

Tout ce qui est secteur amateur, associatif, c’est balayé, il n’y a plus rien. Toutes les courses s’annulent les unes derrière les autres. Quand on s’appelle Amaury sport organisation [société propriétaire du Tour de France] ou qu’on est un organisateur qui a pignon sur rue, ça passe. Le circuit professionnel, quel que soit le sport, arrive tant bien que mal à fonctionner. Mais qu’est-ce qu’il y a pour les autres derrière, pour les gamins ? On est en train de perdre des générations. Tout ce qui va de 15 à 20 ans, ça va être mort. Mort ! Qu’est-ce que vous allez dire à un môme ? Bah mon petit tu vas aller t’entraîner mais tu ne courras pas peut-être avant six mois ! J’ai un trophée cadet, que j’ai mis en place depuis quinze ans, je ne demande qu’une chose, c’est à pouvoir essayer de l’organiser. Aujourd’hui, rien. Et on ne me propose rien. C’est pire que tout.

Que faire ?

On peut très bien demander à des gamins qui font une course cadets de venir avec des tests PCR négatifs. Celui qui ne veut pas se faire tester, il ne vient pas. On donne quelque chose aux gamins. Là, on n’offre rien.

Le vélo a perdu des milliers de licenciés, ces dernières années. Comment fait-on pour en regagner ?

L’accessibilité ! Pourquoi l’athlétisme, notamment les courses sur route, ça marche ? Parce que c’est open. En plus on a une chance inouïe en ce moment. Le vélo est redevenu une activité à la mode. Il y a trente ou quarante ans c’était le tennis ou le golf, aujourd’hui c’est le vélo. Profitons-en ! Il faut rendre la participation à des courses cyclistes plus facile.

Dans quel état se trouve le peloton professionnel aujourd’hui ?

Depuis un an il s’est pris en mains, il est sérieux. Je vais vous dire : samedi je pars faire une course en Belgique [Het Nieuwsblad, une course World Tour, le plus haut niveau]. J’ai fait un test PCR lundi, j’en refais un autre ce [jeudi] matin et j’en referai un autre au moment de quitter la Belgique dimanche soir. Et en course, on est dans la bulle. Donc ça marche ! On n’a pas de clusters, quand on a un positif, même un faux positif, on isole. Il y a des barrières, de la sécurité. Quand je suis en course avec mon équipe, je suis plus en sécurité que dans la rue ! C’est contraignant mais on peut, et on continuera le temps qu’il faudra. Il y a une volonté de survie. Et aujourd’hui, on survit bien.