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Cyclisme

Paris-Roubaix : Sonny Colbrelli vainqueur par chaos de boue

Le coureur italien de l’équipe Bahrain-Victorious remporte la reine des classiques cyclistes pour sa première participation. Echevelée, la course a été marquée par des conditions météo dantesques et de très nombreuses chutes.
L'Italien Sonny Colbrelli (à gauche) a remporté la 118e édition du Paris-Roubaix devant le Belge Florian Vermeersch, ce dimanche. Ici à l'arrivée au vélodrome de Roubaix. (Michel Spingler/AP)
publié le 3 octobre 2021 à 18h04

De longs sanglots secouent un corps allongé dans l’herbe verte du vélodrome de Roubaix. Sonny Colbrelli vient de remporter la 118e édition de Paris-Roubaix et sa réaction est à la hauteur de l’effort consenti. Casaque de champion d’Europe sur le dos, l’Italien de l’équipe Bahrain-Victorious a triomphé dans un sprint à trois avec le Néerlandais Mathieu Van der Poel, l’un des grands favoris de l’épreuve, et l’invité surprise Florian Vermeersch, 22 ans seulement et nouvelle promesse du cyclisme belge.

Une victoire qui, cette année, a une saveur particulière. D’abord parce qu’elle met fin à une longue attente : 903 jours séparent cette édition de Paris-Roubaix de la précédente, au printemps 2019. Un intervalle inhabituel en temps de paix, conséquence d’une annulation et de deux reports pour cause de pandémie de Covid-19. Mais aussi à cause de conditions météorologiques dantesques. Au lieu de se courir en avril, la «Pascale» s’est vue décalée à cet inédit premier week-end d’octobre, avec un climat à l’avenant.

Chaque année, les suiveurs guettent le ciel pour déterminer s’il pleuvra à Roubaix comme on se demande s’il y aura de la neige à Noël. Ce n’était pas arrivé depuis 2002, autant dire une génération entière de coureurs. Le ciel a rattrapé le temps (de chien) perdu : il s’est déchaîné tout le week-end, lâchant des draches à faire pâlir les offices de tourisme du Nord. De quoi réunir, surtout, Jeux olympiques d’été et d’hiver sur les fameux secteurs pavés, devenus mi-piscines mi-patinoires. Et transmuter le sacre du printemps en massacre d’automne.

Golems à vélo

Ce fut donc un festival de chutes – on a même vu une moto de France Télévisions se renverser – et de grimaces, de corps suppliciés et de vélos dans les fossés. Prenons le Suisse Stefan Küng, échappé dans un groupe de 30 coureurs partis en éclaireurs alors qu’il restait plus de 200 bornes à courir. Avant même les premiers pavés, le rouleur de la FDJ se prend une première gamelle dans un rond-point glissant abordé un peu trop rapidement. Rattrapé par le peloton, le revoilà qui se casse la binette. Et puis, encore un peu plus loin, dans le secteur pavé de Saint-Martin-sur-Ecaillon. Cuissard et tunique désormais marron, l’Helvète est chocolat. Dépité. On dirait qu’il pleure au bord du chemin. Il reste 134 kilomètres à parcourir.

Certaines équipes avaient sorti leurs plus beaux atours pour le retour de la reine des classiques, l’occasion faisant le chiffon (et le coup marketing) : l’équipe Education-First, habituée des coups vestimentaires, avec un casque «rendant hommage aux travailleurs en première ligne», l’équipe Delko avec une liquette Mondrian directement inspirée de la défunte équipe «la Vie Claire», propriété de… Bernard Tapie. Le jour où «Nanard» casse sa pipe, voilà qui ne manque pas de piquant. Mais il n’aura pas fallu longtemps pour que cette fashion week se transforme en défilé de mud et que les coureurs perdent leurs couleurs pour un uniforme de glaise. Des golems à vélo. Avec un masque d’argile et de souffrance. Un plan laisse apparaître Van der Poel, il fait vingt piges de plus que ses 26 ans. Les visages sont autant crispés que les mains sur les cocottes de frein.

Trois novices

Les machines aussi sont mises à rude épreuve. C’est plus courant : les crevaisons sont légion sur «l’Enfer du Nord», même par temps sec. A la loterie du boyau, il y en a des plus poissards que d’autres. Florian Sénéchal, meilleure chance française au départ de Compiègne, enfant du pays hanté par Paris-Roubaix, a vu ses espoirs s’envoler au gré de deux changements de roues. Christophe Laporte, lui, a carrément été privé de freins, obligé de calmer son allure en laissant traîner ses pieds au sol, tel un enfant sur sa première bécane.

L’Italien Gianni Moscon, en tête à encore 30 kilomètres du vélodrome de Roubaix, synthétise à lui seul l’implacable loi des avaries de course. Une crevaison l’oblige d’abord à changer de vélo. Puis, quatre kilomètres plus loin, une flaque de boue l’envoie au sol. En deux temps, voilà son avance d’une minute trente réduite à peau de chagrin et, bientôt, il sera croqué par ses trois poursuivants : Florian Vermeersch, Sonny Colbrelli et Mathieu Van der Poel. Trois novices sur le podium à Roubaix au terme des six heures d’une course disputée dans des conditions déplorables. Plusieurs minutes après l’arrivée, les cris de Colbrelli, l’homme à l’ahurissante réussite depuis trois mois, résonnent encore.