Deux semaines que nous sillonnons les routes du Tour de France. Il s’agit, pour nous deux, débutants sur la Grande Boucle, d’emprunter l’itinéraire de la course environ une heure avant le passage des coureurs, grâce à une invitation de l’organisateur – «accréditation», dans le jargon. Pour ce faire, nous voyageons à bord d’une Renault Captur grise, au pare-brise recouvert d’un bandeau «presse n°908». Un véhicule neuf, hybride, appartenant au journal Libération, mais rien ne l’indique.
Lorsque nous partons sur la voie laissée libre par des milliers de barrières et de gendarmes, une constante sur les bords de route : des grappes de spectateurs, de fans, de déguisés, de curieux, de groupes scolaires, de camping-cars, de fauteuils roulants. Et autant de personnes qui esquissent de jolis sourires, se lèvent, s’approchent de la chaussée pour nous scruter, autant de coucous de la main, d’applaudissements, de sons de vuvuzelas, d’olas. Nous n’avons rien fait de spécial – à part, peut-être, écrire deux-trois articles, mais il faut se rendre à l’évidence, ce n’est pas la raison. Pourtant, des heures et des heures durant, nous sommes acclamés telles des rock stars par l’équivalent de quatre Parc des princes par jour.
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— Gaëtan Goron (@guegoethe) July 2, 2021
Petits, au bord de la route du Tour, on se souvient qu’au moindre passage d’un véhicule motorisé ou tout autre signe avant-coureurs, montait en nous l’espoir de l’apparition du peloton, loin, là-bas, au bout du virage. Chez certains, l’attente concerne davantage la caravane publicitaire et ses cadeaux par milliers – les pancartes «Cochonou, par ici !» en attestent.
Nous circulons seuls et recevons une ovation qui nous exalte. Nous percevons parfois par la fenêtre ouverte un cri : «C’est la presse !» – en version bretonne, ça donne «C’est le Télégramme !» On entend aussi «Bravo Renault»… Inlassablement, de Laval en Andorre en passant par la Savoie, on revit les mêmes scènes, les mêmes gestes sans barrière – avec toutefois un peu plus de monde, un peu plus de pluie et un peu plus d’alcool en Bretagne. C’est comme si ces spectateurs étaient des figurants de cette ville mouvante qu’est le Tour de France et revenaient, chaque matin, vêtus des t-shirts à pois ou verts, coiffés des bobs jaunes ou bleus jetés par les fourgonnettes qui nous devancent. Cette joie à notre adresse, qui vient trancher avec un an de visages masqués, nous met dans une situation d’hyperprivilégiés. Aussi nous sommes-nous demandés comment rendre la pareille à celles et ceux qui donnent tant.
Bras fatigués à force de saluer
D’abord, la salutation de la main. La méthode a ses limites. Quand le temps est agréable et que l’allure est faible, baisser la vitre et pasticher une miss est chose aisée. Or, les conditions sont rarement réunies. Si la personne qui nous fait coucou est de l’autre côté de la route, nous risquons, par envie d’être vu, de mettre notre pogne dans la tronche de notre acolyte – à la place du mort ou à la place du conducteur, c’est un brin envahissant. Et depuis l’intérieur de l’habitacle, les gens nous voient mal, ou pas du tout.
Dès le premier jour dans le Finistère, le klaxon nous est apparu être une solution idoine. Il faut dire qu’il est souvent réclamé par les jeunes sur le bas-côté, qui font un geste des deux mains comme s’ils buzzaient à Questions pour un champion. Comment doser ? Le klaxon va devenir notre instrument de musique, notre agent d’ambiance. Un coup sec et fort : anxiogène à souhait. Des spectateurs inattentifs sursautent et leur réaction est soudaine, imprévisible et dangereuse. Deux, trois, quatre coups : on installe une dimension festive. Mais on voit accourir devant nous des enfants interloqués ou des essaims d’ados survoltés, bière à la main.
On tente aussi des classiques, du type «ta ta, ta ta ta, ta ta ta ta, ta ta». Qui, s’ils sont réalisés à la perfection, peuvent enthousiasmer une foule que nous aurions préalablement jugée inoffensive (exemple : des personnes âgées assises sous un barnum devant leur Ehpad). La robustesse du klaxon sur le volant rend l’opération délicate, toute fausse note gâche l’effet escompté.
Il y a également le tempo : cette mélodie doit être jouée à vitesse modérée, pour que les badauds puissent l’apprécier. Et le timing : pas trop en amont – les plus chauds risquent de se mettre en travers de notre chemin –, pas trop en aval – notre voiture déjà passée, la joyeuse alchimie ne se produit pas.
Le son parfait ?
Vendredi entre Nîmes et Carcassonne, on a cru toucher au sublime. L’un de nous a réussi un double klaxon assez virtuose, mais il était involontaire et jamais telle performance n’a été reproduite. Ce son est au klaxon ce que le coup de charge est à la batterie, deux coups très rapprochés, le second un peu moins fort, sauf qu’il n’y a pas deux baguettes pour le faire mais une seule paume de main.
Il nous reste une semaine, un bon millier de kilomètres. Devant tant de bonheur qui nous est envoyé en pleine figure, nous continuerons notre quête du coup de klaxon absolu. Même si nous savons bien que jamais nous n’atteindrons la grâce du klaxon à trompes avec compresseur, standard inégalable du Tour de France.