De la grisaille toute la soirée de jeudi, hormis un instant. Une éclaircie au-dessus de Brest. Comme si Raymond Poulidor, au ciel depuis près de deux ans, avait braqué un projecteur sur son petit-fils, le coureur Mathieu Van der Poel, au moment où il montait sur scène pour la présentation de son équipe. Remerciement pour la tenue d’un jour des Alpecin-Fenix sur l’estrade : torse violet, épaules orangées, photocopie de celle de papi Poupou, époque des cycles Mercier. Encouragement avant son premier Tour de France, pour un Van der Poel, 26 ans, qui en paraît dix de moins. Allez poupon !
La lumière, il n’en a pas besoin, le petit-fils. Son talent irradie. VTT, cyclo-cross, route, il gagne partout. Seule ombre au tableau, il vient de perdre son titre de champion des Pays-Bas. Le même jour, en Belgique, le grand rival de Van der Poel dispose de ses compatriotes : Wout van Aert (Jumbo-Visma) sera en noir-jaune-rouge, sur ce Tour de France. Van Aert, Van der Poel, les deux sont favoris de l’étape inaugurale, entre Brest et Landerneau, arrivée jugée au sommet de la montée de la Fosse-aux-Loups.
«Le parcours est assez ouvert»
Les «loups», dans le peloton, c’est l’équipe Deceuninck-Quick Step. Ses coureurs se surnomment le Wolfpack, la «meute de loups», et l’un d’eux compte bien ce samedi faire hurler les spectateurs présents. Ce loup, c’est «Loulou», Julian Alaphilippe. Lui aussi a un maillot distinctif, tunique arc-en-ciel de champion du monde qu’il compte vite abandonner pour revêtir un maillot jaune que ses épaules ont l’habitude de porter. Quatorze jours sur la Grande Boucle il y a deux ans sur un parcours plus difficile, de quoi espérer le garder jusqu’au bout cette année ? «Je ferai un bilan après une semaine. Les deux premières étapes me correspondent et l’ensemble du parcours est assez ouvert avec peu d’arrivées au sommet», se la joue modeste celui qui a le plus de chances cette année de succéder au Breton Bernard Hinault, dernier Français vainqueur en 1985.
Trente-six ans d’attente, et peut-être le champion pour y mettre fin. Alaphilippe, c’est un maillot à pois en 2018 et le top coureur populaire que la France attend depuis les années Jalabert et Virenque. Les rictus de souffrance pendant l’étape, le sourire à l’arrivée en plus. C’est, en 2019, deux victoires d’étape, deux semaines en jaune, maillot perdu à deux jours de l’arrivée à Paris. C’est aussi l’amour avec une ex-coureuse devenue consultante sur France Télévisions, Marion Rousse. Ils sont jeunes parents, union instagrammée, tout le monde a déjà vu la bouille du petit Nino. On tient un personnage presque parfait, reste à lui paver la route pour s’exprimer, et l’organisateur a tout intérêt à esquisser le tracé pour qu’il laisse une trace. Un parcours pour Alaphilippe ? Thierry Gouvenou, qui le dessine, s’en défend : «Oui, c’est plus facile pour lui qu’en 2019, et les deux premières arrivées sont taillées pour lui. Après, on ne trace pas les étapes pour un coureur en particulier.»
Gagner et faire gagner
Deux arrivées en côte pour commencer, une étape propice aux bordures et cassures, deux contre-la-montre, peu de haute montagne, la part belle aux descentes, tout cela dans un parcours très classique : Bretagne, Alpes, Ventoux, Pyrénées (Tourmalet), Champs-Elysées. Du cousu mollet pour Alaphilippe, qui passera même par chez lui, la principauté d’Andorre – seul pays étranger traversé par le Tour après le report à 2022, Covid oblige, du «grand départ» du Danemark. Attention, tout le monde ne devrait pas voir Paris, des coureurs engagés aux Jeux olympiques de Tokyo fin juillet risquent d’abandonner pour se préserver.
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Au vrai, il va lutter, le bougre. Face à lui, les Slovènes (Pogacar vainqueur sortant, Roglic son dauphin revanchard) et l’équipe Ineos avec quatre vainqueurs potentiels (Thomas, Porte, Geoghegan Hart et Carapaz). Alaphilippe voudra faire la course, pétiller, rayonner, faire la pluie en Bretagne et le beau temps ailleurs – facile avec son maillot arc-en-ciel – faire chavirer, de Landerneau (Finistère) au Creusot (Saône-et-Loire), celles et ceux qui louent son brio. Il y arrivera, il attaquera et gagnera au moins une étape comme il le fait depuis trois ans, c’est cela qu’il aime, c’est ce pourquoi les Français l’aiment.
Quand les autres leaders seront au chaud, il va s’épuiser pour gagner et faire gagner. Emmener vite le peloton à 2 kilomètres de l’arrivée pour que son équipier, le sprinteur Mark Cavendish, 30 succès sur le Tour, remporte au moins une des huit étapes de plaine et se rapproche du record de Merckx, 34 bouquets. Mais à trop s’user, et il le sait, ses efforts vont se payer. Le Tour est vache et toujours fait perdre celui qui trop cravache, mais récompense celui qui se cache.