Vendredi, sur les cimes sans fin de la Bonette, puis sur les premières pentes vers Isola 2000, Pavel Sivakov s’est épuisé à pulser un rythme infernal pour le peloton. Pavel Sivakov fait partie d’un train, l’un des wagons de la formation UAE Team Emirates. Chef de bord : le maillot jaune Tadej Pogacar. Rôle : agent propulseur, de Pogacar donc. A ce titre, le Français de 27 ans est un assistant heureux : son boss est en passe de remporter le Tour de France. Il dit qu’avec le Slovène, c’est «presque facile» de porter ce rôle d’équipier, souvent jugé ingrat. En ce sens, Pavel Sivakov dit de Pogacar : «C’est le leader avec lequel il est le plus simple de travailler.» C’est «simple» : le maillot jaune semble gagner quand il le veut.
«Routes d’enfance»
Le Tour de France connaît ses derniers soupirs et Pavel Sivakov, joint au téléphone il y a quelques jours, a raconté cette deuxième Grande Boucle qu’il a vécue comme la première. «L’autre fois, j’ai participé à une édition assez spéciale, celle du Covid en 2020. C’est donc mon premier Tour de France où je ressens l’énergie du public.» Quand il est passé sur ses «routes d’enfance», dans les Pyrénées, «là où j’ai grandi, là où j’ai commencé le vélo, avec les gens qui criaient mon nom tout au cours de l’étape», avec sa famille et notamment sa mère installée au bord de la route dans le col de Menté, il songe : «C’est sur ces routes où je me suis tellement de fois imaginé rouler lors d’un Tour.» Surtout, Pavel Sivakov dit qu’il ne s’est jamais senti plus français qu’à cet instant.
Né en Italie de deux parents russes, coureurs professionnels (sa mère Aleksandra Koliaseva a été quatrième de l’ancêtre du Tour de France femmes en 1995 et son père Alexei Sivakov est un ancien professionnel du peloton), qui déménagent en région parisienne quand il a un an, Sivakov grandit à Soueich (Haute-Garonne). Il acquiert la nationalité française en 2017. Il n’a jamais vécu en Russie. «Mon nom est russe, c’est tout.» Pendant des années, Sivakov porte la nationalité sportive russe. Il prend le maillot tricolore en 2022, au début de la guerre en Ukraine. A l’époque, il écrit sur ses réseaux : «Je voulais devenir Français depuis un certain temps, j’en avais fait la demande à l’Union cycliste internationale, mais compte tenu de ce qui se passe en Ukraine en ce moment, je voulais accélérer les choses.»
Ecole de la rigueur
Dans les catégories de jeunes, Pavel Sivakov survole. Il accroche des victoires et des espoirs, ce que le vélo français réclame. Il a plus que l’étoffe d’un équipier épaulant son leader, fut-il bientôt triple vainqueur d’un Tour de France. Il se délecte des courses par étapes (vainqueur de la Ronde de l’Isard, du Giro jeunes, du Tour du Val d’Aoste). Chez les pros, qu’il rejoint en 2018 en signant pour la Sky, l’équipe alors la plus dominante du peloton, il effectue une première année de profane puis une deuxième de jeune loup, où il croque un Tour de Pologne et un Tour des Alpes. Ensuite, la pression lui scotche le cul à la selle. Il suit la maxime cycliste. S’entraîner : «Plus». Manger : «Moins». Sivakov fait décoller non pas sa carrière mais la «pression» et «l’anxiété».
Il est «robotisé». Le grimpeur convient : il a été «formé à l’école de la rigueur», une certaine approche «dur au mal». Ado, ses parents le chapeautent. «Ils ont grandi dans l’Union soviétique et, sans être trop stéréotypé, c’était vraiment hyper rigoureux. Eux s’entraînaient énormément lorsqu’ils étaient jeunes, avec le discours : il faut toujours écouter son entraîneur, toujours continuer, jamais lâcher. Ça a fonctionné pour moi jusqu’à un certain moment. J’ai compris par la suite qu’il fallait que je m’écoute plus. Sinon, on craque.»
En 2024, il rejoint UAE, avec qui il se met d’accord autour d’une chose : participer au Tour de France. Il dit qu’il a trouvé un équilibre. Qu’il écoute son corps. Ce dimanche, il sera sur le podium de la meilleure équipe sur ce Tour, qui a ratatiné l’ensemble du peloton trois semaines durant.