En haut du col de la Madeleine (Savoie), à 66 kilomètres de l’arrivée, l’étape reine de ce Tour de France s’annonçait grandiose, et pas seulement pour les sommets perdus dans le brouillard. La Visma-Lease a Bike, qui aura décidément tout tenté, avait fait exploser le peloton et tous les équipiers UAE de Pogacar. Rapidement, les joyeux pirates étaient revenus sur les derniers survivants de l’échappée matinale, dont Primoz Roglic (Red Bull Bora) et Felix Gall (Decathlon AG2R).

Le Slovène se retrouvait esseulé face à son adversaire Jonas Vingegaard, encore accompagné de Matteo Jorgenson. On se prenait à espérer un revirement, une fausse note dans l’ultra domination du tenant du titre. Derrière les deux extraterrestres, pour les humains, la journée s’annonçait très longue, notamment pour Kévin Vauquelin. Le pauvre d’Arkéa-B&B Hotels était dans la pampa depuis la moitié de la deuxième ascension hors catégorie du jour (sur trois).

Et puis, rien. Ou presque. Dans la descente de la Madeleine et la plaine avant la dernière ascension, les deux ténors se sont regardés. Les largués sont revenus, dont les Français, et plus personne n’a voulu prendre la course à son compte. On comprenait qu’on pouvait penser à autre chose. A la banderole géante appelant à la libération du journaliste Christophe Gleizes, condamné à sept ans de prison en Algérie, déployée par Reporters sans frontières dans les hauteurs du col de la Loze. Aux beaux troupeaux d’Abondance croisés à la Madeleine. A ces supporteurs lensois déployant une bâche «Rendez-nous Pornhub». A ce gamin brandissant une pancarte «Arrêtez de faire la gueule». Ou à la croziflette proposée aux journalistes par la municipalité de Courchevel. Si on apprécie l’attention, la nôtre est meilleure.

A ce petit jeu du chat et de la souris entre les leaders, Ben O’Connor en a profité. Le grimpeur australien de la Jayco-Alula, dont on a encore en mémoire la belle victoire à Tignes en 2021, a réussi à prendre la poudre d’escampette. Il s’impose en beauté, sous la pluie et gelé. Il ne faisait pas chaud en montagne aujourd’hui. Si O’Connor manque de régularité pour performer au général à chaque grand tour, il montre à nouveau à 29 ans qu’il est capable de remporter des étapes de prestige. «Il y a eu des hauts et beaucoup de bas sur ce Tour, je suis extrêmement soulagé d’avoir gagné», a-t-il déclaré à l’arrivée.

Avec ses 5 500 mètres de dénivelé positif, l’étape était peut-être trop dure pour qu’il se passe vraiment quelque chose. En tout, c’est que semblait penser Jonas Vingegaard, frigorifié, sur la ligne d’arrivée : «Une violence… Cinq heures sur la selle… Je ne suis pas certain d’avoir vécu une étape aussi dure sur le Tour par le passé. C’était d’une violence.» Face à la supériorité de Tadej Pogacar, le grand plan de la Visma n’a pas fonctionné. Si le Danois a tenté une dernière fois d’attaquer à 900 mètres de l’arrivée, il a été contré facilement par le cycliste le plus fort de la galaxie qui lui a repris encore une dizaine de secondes. Le leader d’UAE donne l’impression qu’il pourrait prendre bien plus chaque jour. «C’était très dur. Je suis juste heureux d’être encore en jaune», a-t-il déclaré sur France TV.

Derrière les deux lascars, le troisième Florian Lipowitz (Red Bull Bora) a eu du mal toute la journée et se retrouve désormais menacé par Oscar Onley (Team PicNic). Côté Français, si Kévin Vauquelin a pu bénéficier de la trêve à l’avant pour limiter les dégâts, il perd une place et est septième au général. «Je savais qu’il fallait que je monte à mon rythme. Je suis content de ma performance, a-t-il jugé. Je me bats toute la journée. Les gens sont incroyables dans tous les cols.»

Petite pensée aussi pour Lenny Martinez, qui a perdu huit points dans sa lutte pour le maillot à pois. Son magnifique «bidon collé», où il est resté trop longtemps accroché pour s’aider à la voiture de son équipe de la Bahrain Victorious, a malheureusement pour lui été filmé par les caméras.

Vendredi, la dernière étape de montagne arrivera à la Plagne. Tadej Pogacar peut dormir tranquille. Paris, dimanche, lui tend les bras.