Tout amateur de sport télévisé connait Jean-René Godart. Même ceux pour qui son nom ne dirait rien. La voix du journaliste a accompagné des générations d’auditeurs et téléspectateurs, avachis dans leur canapé aux heures les plus creuses, à zieuter distraitement les étapes du Tour de France les chauds après-midi de juillet, la tête soudain relevée en entendant le fameux «priorité au direct», l’un de ses poncifs fétiches, annonciateur d’un fait notable de course.
Comme si Godart avait toujours vécu le cul vissé sur le tansad de la moto 1 de France Télé, à naviguer entre le gruppetto et le groupe de tête, au contact du peloton, au plus près des pédales, afin de relater le plus finement possible, en direct, le film de la course, les attitudes des coureurs. Les émotions qui débordent sur la ligne d’arrivée, aussi.
Disparition
Le journaliste et commentateur est mort ce mercredi 15 octobre, a appris le service des sports de France Télévisions auprès de sa famille. Il avait 74 ans. «Une des grandes voix du sport français à la télévision notamment sur le Tour de France où il a beaucoup commenté depuis la moto, mais aussi un personnage», a réagi le directeur des Sports de France Télévisions Laurent-Eric Le Lay.
Thuriféraire de Lance Armstrong
Au-delà du «personnage», le cyclisme perd là l’une de ses figures récurrentes. Le journalisme aussi. Après un début de carrière furtif dans la presse écrite, et c’est à partir de 1974, à 24 ans, que Godart commence à manier les micros. On entend le tout jeune radio-reporter sur les ondes d’Europe 1, où ses premiers modèles s’appellent Philippe Gildas, Roger Couderc et Robert Chapatte (l’un de ses deux mentors avec Jean-Pierre Elkabbach). Il y a gravi les échelons jusqu’à devenir rédacteur en chef en 1992, avant de partir pour France Télévision en 1994, après avoir plu à Jean-Pierre Elkabbach. Le début d’une histoire longue de 24 ans, jusqu’à son retrait du métier en 2018, en raison de problèmes de santé.
Quand il commence à raconter le cyclisme, c’est d’abord aux côtés de son idole de jeunesse, Jacques Anquetil. Les prouesses de Hinault, le duel Lemond-Fignon, l’invincible Miguel Indurain, l’affaire Festina, les années noires Armstrong, jusqu’aux succès de Bradley Wiggins et Christopher Froome, Godart a été de tous les Tours ou presque. «Etre sur la moto 1 était un privilège inimaginable. J’ai fait toutes les époques», disait-il à l’Equipe.
Admiré par certains, qui louent son débit clair et ses envolées vaudevillesques pour retranscrire ce que ne pouvaient capter les caméras, ses contempteurs lui reprochaient d’être le «thuriféraire» du champion déchu Lance Armstrong, convaincu de dopage. «Lance Armstrong est un ami et j’ai été peiné de voir qu’on a voulu l’incriminer de tricherie de dopage.» Il se reprendra quelques années plus tard dans une interview à l’Equipe, dix ans plus tard, où il conteste avoir jamais été l’«ami» : «On a eu un rapport de bons copains, pas plus.» Sans oublier les nombreux patronymes sabordés à l’antenne, son coup de pied asséné un photographe au pied du podium d’une étape du Tour. Quelques confusions qui prêtent à sourire, aussi, comme en 2012, lorsque qu’il évoqua «Sa Majesté le roi Hassan II», pourtant disparu en 1999, en désignant le souverain belge Albert II. Et des saillies de mauvais goût. Voire raciste : «C’est un drôle de client : c’est un Antillais, donc on a toujours l’impression qu’il est un peu lent, qu’il laisse passer les choses», a-t-il un jour dit à propos de Grégory Baugé lors des JO 2012 de Londres.
Florilège
Le deux-roues et le sport sous toutes ses formes
Quand il n’officiait pas sur l’asphalte, c’est qu’il était sur la piste, occupé à narrer d’autres intrigues à vélo. Il a notamment narré les prouesses des pistards tricolores Félicia Balanger, Florian Rousseau, Grégory Baugé, ou Arnaud Tournant. Ou alors se trouvait-il au cyclo-cross, l’un de ses autres terrains de jeu. C’est d’ailleurs là qu’il a couvert son premier événement pour la télé, les championnats de France à Cublize, en 1995.
Jean-René Godart n’était pas qu’une voix cantonnée aux disciplines à deux roues. Pour France Télé, il a aussi prêté sa voix aux commentaires de nombreux Jeux olympiques, et conté tout autant de rallyes interminables sur la terre battue de Roland Garros.
En plus de quarante de carrière, Godart a vu défiler, en somme, un sacré pan de la courte histoire du sport professionnalisé. Son palmarès de journaliste pèse lourd : 33 Grandes Boucles entre 1982 et 2015, treize éditions des Jeux olympiques, hiver comme été, et 21 printemps à Roland-Garros. Un parcours suffisamment imposant pour qu’il soit fait Chevalier de l’ordre national du Mérite en 1995 puis Officier de l’ordre national du Mérite en 2011.