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Rétro 2022

Du Mondial qatari au prix Nobel d’Annie Ernaux, l’année culturelle et sportive

Coupe du monde 2022 au Qatardossier
Dossiers liés
Le procès Amber Heard-Johnny Depp, la retraite de Federer ou la dérive de Kanye West : tour du monde culturel et sportif de l’année 2022.
Lionel Messi lors de la victoire de l'Argentine à la Coupe du monde de foot au Qatar, le 18 décembre 2022. (Hannah Mckay/REUTERS)
publié le 23 décembre 2022 à 21h39

Messi prive les Bleus de l’embarrassant Mondial qatari

18 décembre. 123e minute de la finale opposant l’Argentine à la France, au Lusail Stadium. Randal Kolo Muani, 24 ans, qui ferraillait encore dans les tréfonds de la Ligue 1 voilà un an, a la possibilité d’aligner Emiliano «Dibu» Martinez et d’accrocher une troisième étoile au maillot bleu. Parade jambes écartées du portier argentin. Séance de tirs au but. Fin dans les pleurs d’une épopée de cinq semaines, qui avait pourtant vu l’équipe de France de Didier Deschamps débarquer au Qatar comme on se pointe en victime expiatoire. La liste des absents n’a cessé de se garnir au cours de l’automne – Paul Pogba, N’Golo Kanté, Mike Maignan, Christopher Nkunku… – dans un contexte de bazar XXL au sein d’une Fédération française de football (FFF), sous le coup d’un audit du ministère des Sports et dont le président, Noël Le Graët, est accusé de harcèlement sexuel. Le tout dans l’optique d’une compétition pour le moins embarrassante : organisée en hiver dans des stades climatisés construits par des ouvriers dont beaucoup y ont laissé la vie, dans un pays où les libertés fondamentales, et notamment les droits des femmes et des homosexuels, sont bafouées. A quelques jours du début du Mondial, un mouvement de boycott a germé en Europe. Trop tard pour prendre réellement. Les Bleus, eux, n’ont pas encore eu le temps de dérouiller les Socceroos australiens (4-1) qu’un nouveau psychodrame survient : la cuisse gauche de Karim Benzema, sacré ballon d’or quelques semaines plus tôt, couine lors d’une séance d’entraînement. A peine le temps de respirer que le «Nueve» est dans l’avion, direction Madrid. Olivier Giroud, pressenti pour squatter le banc de touche, est de nouveau titulaire, et devient le meilleur buteur de l’histoire des Bleus en inscrivant sa 52e réalisation en huitième de finale contre la Pologne, avant de placer une tête libératrice en quart contre l’Angleterre… mais de rester muet en demie face au Maroc, équipe surprise et surprenante de ce Mondial. Un record qui ne tiendra peut-être pas des lustres. Sacré meilleur buteur du tournoi avec huit buts, dont un triplé en finale, Kylian Mbappé en est déjà, à 24 ans, à 36 pions en équipe nationale. Il sera le fer de lance de la génération qui a éclos au Qatar, menée notamment par Ibrahima Konaté, Dayot Upamecano ou encore Marcus Thuram. Avec Didier Deschamps en chef de bande ? Le Basque, 54 ans, en poste depuis 2012, pourrait rempiler jusqu’au Mondial 2026. Réponse en janvier. Quant à l’aventure en bleu du «ballon d’or du peuple», elle touche à sa fin. Dans un message sur les réseaux sociaux, le 19 décembre, Benzema bâche : «J’ai écrit mon histoire et la nôtre prend fin.»

«Top Gun», insubmersible Cruise

Tom Cruise a fêté ses 60 ans cette année mais il a une fois de plus démontré sa capacité à survivre au grand chambardement numérique, épidémique et générationnel en réalisant le plus gros succès d’une carrière par ailleurs jalonnée de méga-hits (notamment la franchise Mission impossible). Top Gun : Maverick, suite improbable (plus de trente ans après l’original signé Tony Scott) des exploits aériens d’un pilote de l’US Navy finit l’année sur 1,5 milliard de recettes mondiales, numéro 1 du box-office américain devant les super-héros Marvel. Idem en France avec presque 7 millions d’entrées. Infiniment retardé (première sortie annoncée en juillet 2019) pour cause de Covid, le film devrait permettre à Cruise – qui a, selon Forbes, négocié avec la Paramount 10 % sur les recettes – d’empocher 150 millions de dollars. On laissera le lecteur méditer sur le sens de cet engouement pour une fiction militaro-glamour, «exaltante publicité de recrutement militaire» comme l’écrit Caleb Ecarma dans Vanity Fair, supervisée par des gradés du département de la Défense des Etats-Unis. Un film old school par ailleurs qui a tout misé sur l’exploitation en salles et sur l’expérience «whaouh» collective, tant pour les pirouettes réalisées sans trucage que pour les prouesses peau et cheveux d’un Cruise savamment maintenu en gloire immarcescible.

Federer, ultime revers

23 septembre. Deux des plus grands joueurs de l’histoire du tennis assis sur un banc, en larmes, les yeux dans le vague, main dans la main. Le 23 septembre à la O2 Arena de Londres, juste après leur défaite en double face à la paire américaine Sock-Tiafoe en Laver Cup (6-4, 6-7, 9-11), il a fallu de longues minutes à Roger Federer et Rafael Nadal pour réaliser : la carrière professionnelle du maestro suisse, entamée en 1998, est révolue. Plus de 1 500 matchs au compteur, pour 1 251 victoires, 103 titres ATP, 20 tournois du Grand Chelem au palmarès, et un corps qui, à 41 ans, n’arrivait plus à suivre. Clap de fin sur un parcours qui le place dans les plus hautes sphères de l’histoire du jeu. Un accomplissement pas forcément évident à ses débuts. De gamin immature, criard et irritable, casquette à l’envers et prêt à faire valdinguer sa raquette en cas de raté, Federer s’est mué en bonze quasi inébranlable, bandeau sur la tête, sponsorisé Rolex, doué d’une indéfinissable palette de coups à l’esthétique sans pareille. Et ce goût immodéré pour la gagne. Ses adversaires le regretteront un peu, le monde du tennis beaucoup.

Kanye West, la dérive extrémiste

«Les chansons ne font pas bouger l’aiguille politique d’un millimètre», dixit la musicienne américaine Natalie Mering alias Weyes Blood dans une interview donnée à Libé à la rentrée. Sentence à laquelle il n’est pas difficile de souscrire mais Mering ne pensait sans doute pas à l’influence politique d’un géant comme Kanye West, superstar du rap dont on peut prédire que l’inattendue dérive vers l’extrême droite et l’antisémitisme le plus crasse aura des conséquences sur le paysage de son pays, les Etats-Unis. L’une des plus spectaculaires séquences médiatiques de l’histoire récente de la musique pop, dont on peine à désigner le moment le plus aigu – sans doute cette apparition sur le plateau d’Infowars, le média du très toxique Alex Jones, où Kanye West, sous cagoule, a déclaré sa flamme à Hitler – mais dont une simple navigation sur Twitter suffit pour constater la conséquence désastreuse sur l’opinion publique. Personne n’a oublié que Kanye West souffrait de maladie mentale, qu’il refuse de se soigner, qu’il a besoin d’aide. Mais le mal est fait, il s’est transformé en supervilain antisémite et il a entraîné une partie de son immense audience dans son délire.

Amber Heard-Johnny Depp, procès toxique

Avril-mai. Fairfax, modeste ville de Virginie dont les habitants jurent qu’il ne s’y passe jamais rien, fut sept semaines durant le théâtre, ou plutôt le cirque, d’un procès format blockbuster. Deux mois de déballage douloureux et d’expertises fouille-poubelles, retransmis en direct, en intégralité et en split screen, pour déterminer qui, de Johnny Depp ou d’Amber Heard, divorcés en 2016, avait diffamé l’autre en lui rejetant l’accusation de violences physiques et psychiques qui conduisirent le couple au désastre. Mais pendant que les jurés s’efforçaient de tirer au clair le magma de témoignages contradictoires, riches en «jarre à coke» et récits sordides d’une intimité mise à nu (pour accoucher d’un verdict en forme de match nul), un autre genre de tribunal, populaire et mondialisé, livrait sa justice sauvage. Celui, carburant à l’irrationnelle et inoxydable popularité de Depp, qui générait des dizaines de milliards de vues sur TikTok, Facebook et Twitter pour railler, injurier, voire menacer Heard, et la dépeindre en incarnation d’une duplicité diabolique. Un quasi-procès en sorcellerie, sous les traits toxiques du plus violent backlash post-MeToo, qui pourrait laisser des traces bien plus graves et durables que le jugement de Fairfax.

Annie Ernaux, Nobel événement

6 octobre. Elle est la 17e femme de l’histoire récipiendaire de la distinction : l’Académie suédoise a attribué le prix Nobel de littérature à Annie Ernaux, une écrivaine qui «examine constamment et sous différents angles des vies marquées par les disparités, à savoir : le genre, la langue et la classe sociale». Née en 1940 en Seine-Maritime, fille de petits commerçants issus du monde ouvrier, elle a 22 ans quand elle note dans son journal : «J’écrirai pour venger ma race.» Des Armoires vides (1974) jusqu’au Jeune homme (2022), une vingtaine de récits composent une œuvre auto-socio-biographique au style volontairement neutre qui dissèque le poids de la domination de classes et de genre, et la passion amoureuse. Elle l’expliquera dans son discours de réception du Nobel, le 7 décembre : «Ainsi, dans ce premier livre, publié en 1974, sans que j’en sois alors consciente, se trouvait définie l’aire dans laquelle je placerais mon travail d’écriture, une aire à la fois sociale et féministe. Venger ma race et venger mon sexe ne feraient qu’un désormais.» La nobélisation d’Annie Ernaux a suscité en France des attaques contre son style et son engagement politique (aux côtés de Mélenchon). Ses livres, publiés chez Gallimard, rayonnent dans 45 pays, et ont inspiré de nombreux travaux universitaires.