Avec RetroNews, le site de presse de la BNF, retour sur une histoire de sports telle que l’a racontée la presse de l’époque.
Si, des nageurs d’avant Deuxième Guerre mondiale, seul Johnny Weissmuller est passé à la postérité pour son palmarès, son charisme et sa reconversion cinématographique, rendons ici hommage à Duke Kahanamoku. Il le mérite. Dans les années 1910, il réalisa le brouillon de ce qu’allait réussir «Tarzan» dans les années 1920-1930. Dans les bassins et sur les écrans. Sportivement, leurs duels tournèrent à l’avantage de Weissmuller. En matière de cinéma, convenons que le «Roi de la jungle» a plus imprimé les mémoires que les rôles de chefs indiens, aztèques ou polynésiens auxquels Duke Kahanamoku était cantonné en raison de sa couleur de peau. Mais le nageur acteur avait une troisième corde à son arc, le surf, dont il reste aujourd’hui un pionnier vénéré.
Le natif d’Hawaï s’annonce en grand patron du 100 mètres aux Jeux olympiques de 1912, à Stockholm, annonce la Vie au grand air du 22 juin. «Le favori du 100 mètres paraît devoir être le métis hawaïen Duke Kahanamoku. Les Américains fondent sur lui les plus grands espoirs.» Des espoirs fondés sur les temps stratosphériques réussis par le nageur. L’année précédente, il a amputé le record du monde du 100 yards (91 mètres) de 4,6 secondes, l’établissant à 55,4 secondes. Il fracasse les meilleures performances sur 220 yards (201 m) et 50 yards (46 m). Des chronos si stupéfiants que les autorités sportives, incrédules, ne les valideront que quelques années plus tard.
Sans rival, Kahanamoku remporte la médaille d’or à Stockholm, même s’il a failli rater la finale pour cause de sieste prolongée. Les années suivantes, il continue, pépère, à compiler les records du monde : ceux des 75 et 100 yards, comme le rapporte, la France le 9 juillet 1913. Son record du monde du 100 m nage libre, 1′04, tient dix ans, de 1912 à 1922. A l’époque, la presse ne voit pas en lui un Américain mais un «indigène». La légende écrit que le don pour la natation de ce solide gaillard d’1,85 m pour 85 kilos provient d’un épisode de son enfance. Il avait 10 ans quand son père l’a jeté d’un canoë au large de Waïkiki, en lui disant : «Maintenant, tu te débrouilles pour rentrer seul.» Rite initiatique réussi.
Duke est le king des bassins. Son prénom n’est pas un surnom. Il est bien inscrit sur son état civil depuis sa naissance le 24 août 1890, à Honolulu. C’est le même que celui de son père, ainsi baptisé après la visite à Hawaï, en 1869, du prince Alfred, duc d’Edimbourg. Le duc étend son empire sur le sprint, rabotant régulièrement les records du monde. A l’époque, il commence une tournée de missionnaire du surf, une pratique dont l’origine se perd dans la nuit des temps devenue partie intégrante de la culture hawaïenne. Ce qui deviendra un sport olympique revêt même des aspects religieux. Il faut avoir la foi pour manœuvrer sur une mer agitée une planche fabriquée dans un bois de koa, longue de 4,80 mètres et lourde de 65 kg. «C’est de retour de ces JO de Stockholm que le Duke commence son travail d’ambassadeur du surf, expose le site Surfsession. Il commence sa tournée par la côte est américaine. Pendant plusieurs années, Duke Kahanamoku se produit aux 4 coins du continent américain dans des démonstrations de surf. Avant de faire pareil quelques années plus tard (1914-1915) en Australie et en Nouvelle-Zélande. Non sans difficulté, souvent confronté au racisme de l’époque, notamment aux Etats-Unis. Si le surf est ce qu’il est dans ces pays aujourd’hui, c’est en grande partie grâce à lui.» On raconte qu’en 1917, sur sa planche démesurée, il a surfé une vague d’une longueur inouïe, réalisant un ride d’1,5 kilomètres. Sans doute l’un des plus longs de l’histoire du surf.
En 1916, il ne peut pas défendre son titre, les Jeux olympiques étant annulés pour cause de guerre en Europe. Cette année-là, Kahanamoku devient nageur professionnel, signale la presse française. «Il commencera ce mois-ci à New York une tournée promotionnelle.» A ses côtés, non pas une autre star des bassins mais Willie Hope, champion du monde de… billard.
The Duke a offert le surf aux Australiens. Il doit bien ça à l’île continent. Améliorant leur technique, c’est grâce à des nageurs australiens qu’il a perfectionné le crawl. Ce que racontera la Gazette de Biarritz quelques années plus tard (31 juillet 1929). Le crawl est fils du surf, selon le journal : il est né des mouvements des jambes et des bras naturellement venus aux Hawaïens pour aller chercher la vague, allongés sur leur planche. Enlevez celle-ci, le surfeur devient crawleur. «Cette nage si particulière révolutionna le monde du sport aquatique lorsqu’elle fut introduite en Australie au début de ce siècle, explique le journal. […] Ce crawl fut peu à peu amélioré par les entraîneurs américains : ceux-ci, ayant analysé les principes de la nage primitive, mirent au point la méthode ayant permis à Duke Kahanamoku, descendant des anciens paddlers du Pacifique, de se révéler, en 1912, comme le nageur le plus rapide du monde.»
En 1920, les JO renaissent à Anvers. Duke conserve son titre sur la distance reine de la natation. Il est le premier à réaliser ce doublé. Le podium est squatté par trois coureurs hawaïens. Ce deuxième titre olympique, le natif de Waïkiki ne le doit pas seulement à sa technique hors pair. «Le recordman du monde a tellement travaillé son souffle qu’il est arrivé à nager un 100 mètres en respirant seulement trois ou quatre fois», admire la Vie au grand air du 20 août. En Belgique, Kahanamoku est aussi à l’origine de l’une des plus cocasses histoires des Jeux. Il met au défi son compatriote plongeur Hal Haig Prieste de chaparder le drapeau olympique. Prieste, athlète haut en couleur, remporte le pari. Le Comité olympique ne récupérera le trophée que 80 ans plus tard.
Avant de rejoindre sa mère patrie, Duke fait escale à Paris pour un match exhibition entre les nageurs français et américains. Ces derniers éclaboussent leurs adversaires de leur supériorité raconte la Vie au grand air, photo en pieds du champion olympique à l’appui.
En juillet 1922, Kahanamoku est délesté de son record du monde du 100 m, qu’il détenait depuis 10 ans, l’améliorant quatre fois. En ce printemps, son jeune compatriote Johnny Weissmuller, 18 ans, réalise l’un des exploits les plus symboliques de l’histoire de la natation : il fracasse la barrière de la minute sur 100 m 58″6, 1″4 de mieux que Kahanamoku. Avoir trouvé son maître sur 100 mètres affecte tant le moral de l’Hawaïen qu’il se retire des bassins, annonce l’Excelsior du 27 juillet : «Devant les prodigieuses performances de Weissmuller, l’ancien recordman du monde de vitesse abandonne de manière irrémédiable le sport actif.» Il se lance dans le cinéma : «Le champion hawaïen vient de signer un contrat qui l’attache à une firme de cinéma pour tourner des films sous-marins.» Le nageur a franchi le Rubicon. A l’époque, on ne plaisante pas avec l’amateurisme : il est exclu par la fédération américaine qui estime «qu’un amateur ne peut pas être payé pour des exhibitions de ses talents sportifs» explique le Temps.
Un an et demi plus tard, on annonce le retour de l’ex-recordman du monde. Paris Soir du 9 novembre 1923 : «Est-ce un ballon d’essai ? Toujours est-il que les gazettes américaines annoncent que Duke Kahanamoku aurait demandé sa requalification comme amateur afin (vous vous en doutez ?) de participer aux Jeux de 1924. Oui, mais si la disqualification de Kahanamoku a été homologuée par l’AAU [la fédération américaine, ndlr] toutes les demandes adressées par l’ancien champion olympique seront vaines car les règlements internationaux sont formels. Un professionnel ne peut en aucun cas se voir requalifier amateur.»
Pourtant, Kahanamoku obtient sa requalification et la perspective d’un duel avec Weissmuller aux Jeux de Paris, en 1924, allèche la presse. «On annonce que le champion olympique fera sa rentrée en avril prochain dans les championnats d’Amérique, se réjouit l’Intransigeant du 27 février 1924. C’est donc la perspective de la participation du fameux triton aux côtés de Weissmuller lors des prochains Jeux olympiques.»
Des histoires de natation dans Rétrosports
A Paris, pas de surprise. Après lui avoir chipé le record du monde, Weissmuller subtilise le titre olympique de Kahanamoku, médaille d’argent à plus d’une seconde. «Le gai et indolent Johnny Weissmuller s’adjugea avec une maîtrise extraordinaire le 100 mètres. Duke Kahanamoku, Hawaïen aux cheveux d’ébène et son jeune frère Sam luttèrent furieusement sur tout le parcours avec le Suédois Arne Borg pour la deuxième place. Duke, plus expérimenté que son cadet, plus souple et plus puissant, domina Sam», rend compte l’Excelsior du 21 juillet 1924.
Après les Jeux, Kahanamoku déserte les pages sportives. Dans l’Echo d’Alger du 18 février 1925, on trouve de ses nouvelles dans la rubrique «Echos et nouvelles» : «L’Indien (sic) vient d’être engagé par une compagnie cinématographique.» Cinq mois plus tard, c’est dans un scénario digne d’un film de superhéros que l’on retrouve le champion : «Récemment, un yacht se retourna dans la baie de Laguna, en Californie. Le fameux nageur Duke Kahanamoku, qui se trouvait à proximité, organisa immédiatement les opérations de sauvetage. Treize personnes furent ainsi arrachées aux flots, et, pour sa part, Duke Kahanamoku en ramena neuf à terre», s’extasie l’Intransigeant du 21 juillet. Cet acte héroïque, il le réalise grâce à sa planche de surf. «J’ai accidentellement apporté une nouvelle forme de sauvetage sur les côtes californiennes. Parfois, il est possible de retirer du bon de certaines tragédies. Depuis ce jour-là, les planches de surf sont devenues un élément indispensable aux sauveteurs californiens», racontera-t-il quelques années plus tard.
«J’ai accidentellement apporté une nouvelle forme de sauvetage sur les côtes californiennes. Depuis ce jour-là, les planches de surf sont devenues un élément indispensable aux sauveteurs californiens.»
— Duke Kahanamoku
L’Aigle des mers (1924) n’a pas franchement imprimé la mémoire des cinéphiles. Mais la prestation de Kahanamoku, «au corps de bronze et aux formes athlétiques sans pareilles», dans un rôle de pirate séduit Match du 6 décembre 1927 : «Sa prestance et ses talents de nageur ont fort impressionné le metteur en scène qui lui réserve, désormais, une large place dans ses prochaines productions.»
En 1928, Duke tourne la page de la natation en compétition en annonçant qu’il ne participera pas aux JO à Amsterdam. Il va se consacrer au surf, au cinéma et se reconvertir en… percepteur, annonce Paris-Soir du 5 mars 1937 : «Il y a quelques années, il fut proposé comme maire de la capitale hawaïenne mais ne fut pas élu. Alors Kahanamoku s’occupa de rechercher parmi ses compatriotes quelques nageurs de valeur, mais il n’en trouva guère. Mais il est resté une figure populaire à Honolulu jusqu’au jour il fut chargé du recouvrement des taxes automobiles aux îles Hawaï.»
En fait, Kahanamoku est garagiste, rectifie Paris-Soir du 30 décembre 1938, dans un portrait guère flatteur, parfois nauséabond : «Cet étrange homme que l’on sent encore tout imprégné, tout pétri de sa gangue ancestrale, de l’atavisme que lui ont légué ses aïeux, les Xohakas, pêcheurs indigènes des îles Sandwich, a réussi à faire fortune. […] Aujourd’hui, Duke Kahanamoku a un directeur, des employés, des ouvriers et un demi-million de dollars en banque. Il a son yacht, son avion particulier, mais n’a jamais eu de veston ni de chapeau.» L’homme est toujours féru des techniques de nage. Il en a inventé une nouvelle, «le crawl hélice, qui permettra d’atteindre les 40 secondes aux cent yards [91,44 m]. Cette nage ressemble à la fois au crawl et au dos crawlé. Elle se pratique dans les deux sens, le corps du nageur progressant en spirale dans l’eau et les bras agissant exactement comme les hélices d’un bateau.»
S’il a jamais existé, le crawl hélice n’a pas révolutionné la natation. Et le mur des 40 secondes sur 100 yards n’a été franchi qu’en 2018 par l’Américain Caleb Dressel (9″90). Kahanamoku a été noyé par Weissmuller chez les fans de natation, les amateurs de cinéma se souviennent des Tarzan, moins de Loin vers l’est, le Réveil de la sorcière rouge (où il croise John Wayne) ou de Permission jusqu’à l’aube. Mais il reste une idole pour les surfeurs. «Sur la plage de Freshwater dans les environs de Sydney une statue indique aujourd’hui qu’il est le père du surf en Australie, raconte le site olympics.com. Il en va de même avec une autre statue du surfeur légendaire à Huntington Beach au sud de Los Angeles. Sans oublier celle située dans la baie de Waïkiki à Honolulu, toujours couverte de fleurs, ou encore ce monument l’honorant à Christchurch en Nouvelle-Zélande.» The Duke» est, pour l’histoire, le champion qui a fait découvrir le surf au monde entier au début du XXe siècle.» Après sa carrière sportive, il fut élu shérif d’Honolulu, poste qu’il occupa de 1932 à 1961. L’homme qui disait «en dehors de l’eau, je ne suis rien» est mort d’une crise cardiaque le 22 janvier 1968 à 77 ans.