Chaque samedi avec RetroNews, le site de presse de la BNF, retour sur une histoire de sport telle que l’a racontée la presse de l’époque.
«Emilie Loisset, une jolie personne, a eu l’esprit de renoncer au costume classique de l’amazone, qu’elle a remplacé par une sorte de costume bohémien des plus gracieux. On n’a jamais rien vu de plus fort en matière équestre que les exercices de cette jeune femme», écrit le Courrier du soir du 27 avril 1878, à l’occasion de la rentrée du Cirque d’été. Ce dernier, construit en 1841 au pied des Champs-Elysées, ainsi que son son homologue d’hiver, qui le complètent dans le XIe arrondissement à partir de 1852, constituent des hauts lieux de la vie culturelle parisienne. Les deux bâtiments en rotonde ont été conçus par l’architecte Jacques Hittorff. Leur particularité : on n’y trouve pas de scène, seulement une piste ronde que les artistes peuvent investir. Un cadre parfait pour les écuyers et écuyères, de véritables vedettes à l’époque. Balzac déclarait que «l’écuyère, en la plénitude de ses moyens, est supérieure à toutes les gloires du chant, de la danse, de l’art dramatique…» Assurément, Emilie Loisset ressort de cette catégorie, comme le résume le Courrier du soir : elle est «une étoile nouvelle dans le firmament parisien : la diva du manège».
«L’écuyère, en la plénitude de ses moyens, est supérieure à toutes les gloires du chant, de la danse, de l’art dramatique…»
— Balzac
Emilie Loisset complète une lignée de fameux circassiens fondée par son grand-père Jean-Baptiste Loisset. Sa mère est aussi écuyère, tout comme sa tante. Son oncle François, directeur de cirque, est l’époux de Caroline Loyo, célébrissime écuyère également baptisée la diva. Enfin, Emilie effectue ses premières prestations publiques en compagnie de sa sœur, Clotilde.
En 1881, Emilie Loisset fait encore l’ouverture du Cirque d’été. Son spectacle enchante les spectateurs et le journaliste de l’Evénement, dans un numéro daté du 15 mai, paraît autant séduit par la cavalière qu’admiratif de sa maîtrise : «C’est qu’Emilie Loisset n’est pas seulement une très jolie personne, avec ses beaux yeux, ses dents superbes, sa peau mate et blanche et sa taille de guêpe. A ses charmes elle joint encore – mérite rare – une connaissance approfondie du cheval.» Et l’auteur de l’article d’insister : «Elle plaît donc aux sportsmen aussi bien qu’aux amateurs de ragoûtants minois. Pour tout dire, elle fait recette.» Bankable, dirait-on aujourd’hui. Elle aimante les spectateurs, comme en atteste «le cercle d’admirateurs qui entouraient l’écuyère en mendiant un sourire ou un salut banal». Ce soir-là, Emilie Loisset a également fait frissonner le public d’effroi quand sa monture cheval a failli la désarçonner. «Tremblante de colère, elle a ramené la bride avec tant d’énergie que le cheval, cette fois, a tressauté.»
Que propose une écuyère à son public ? Des voltes, des sauts, de la danse équine en quelque sorte. Des exercices de la haute école, c’est-à-dire l’art du dressage, qui est aujourd’hui une des disciplines de l’équitation sportive. Des «véritables prestidigitatrices équestres», selon Ernest Molier, célèbre directeur de cirque de l’époque. Un exercice d’autant plus compliqué que les écuyères ne montent pas à califourchon sur leur cheval mais en amazone (les deux jambes du même côté de l’animal). Dans son blog «Les 400 culs», notre chroniqueuse Agnès Giard, évoque une technique paradoxale «visant à diminuer l’efficacité d’une personne, afin de la maintenir dans un état d’infériorité ou de danger. La monte en amazone, par exemple, handicape les femmes. Dès les années 1830, certaines écuyères de haute école en France font de ce handicap leur atout. Elles s’approprient la maîtrise d’un art jusqu’ici réservé aux officiers». C’est-à-dire, écrit Agnès Giard citant un article de Catherine Tourre‑Malen, publié dans la revue Ethnologie française, l’art «de l’équitation savante, dite aussi de haute école ou académique. Fondée sur différents airs (changements de pied, piaffer, passage, pirouette, appuyer, épaule en dedans…) et sauts (cabriole, pesade, levade, croupade…), cette équitation perfectionnée depuis le XVIe siècle dans les académies équestres, par des hommes et pour des hommes, était encore perçue au XIXe siècle comme un des meilleurs apprentissages pour préparer au commandement», écrit la chercheuse.
Les écuyères ne sont pas seulement des vedettes qui se produisent dans les grandes capitales européennes. Les nobliaux leur courent après pour leur passer la bague au doigt écrit l’Univers illustré du 6 septembre 1879. La cote des sœurs Loisset est au plus haut :«Les rois jadis épousaient-ils des bergères ? Un fait certain, c’est que, aujourd’hui, l’on voit des princes épouser des écuyères du Cirque d’été. A preuve, le mariage du prince de Reuss avec Mlle Clotilde Loisset. […] Mais ce n’est pas tout – et cette famille Loisset a positivement du bonheur. Voilà qu’un autre prince, le prince de Hatzfeld, s’étant épris des charmes de la sœur de la noble épousée, vient également de lui offrir sa main. Mlle Emilie Loisset sera princesse de Hatzfeld… Hop ! hop ! Le siècle marche d’un train d’enfer.»
Des femmes extraordinaires dans Retrosports
Emilie Loisset meurt tragiquement en avril 1882, écrasée par son cheval lors d’une répétition au Cirque d’hiver, quelques jours après son retour de Berlin où elle s’était produite. La Lanterne du 20 avril raconte le drame par le menu : «L’écuyère prit son élan et elle arriva à fond de train sur l’obstacle à l’entrée de la piste. Ici, le cheval fit défaut ; quelques vigoureux coups de cravache l’exaspérèrent ; il fit demi-tour et se lança au triple galop vers l’écurie ; la porte en fer l’arrêta court et l’arrière-train glissa. Emilie Loisset ramassa le cheval qui se cabra, se balança une seconde en l’air et s’abattit sur le côté, ensevelissant l’écuyère sous elle. […] La fourche de la selle l’avait meurtrie sans qu’il y eût de blessure apparente : pas une seule goutte de sang ; mais Emilie Loisset s’écria : “Je suis brisée, je vais mourir !”»
«Dans la vie privée, c’était vraiment une très charmante jeune femme, très modeste, très libre d’allure à l’américaine mais tenant aussi les plus audacieux en respect par je ne sais quel parfum d’honnêteté.»
— Le Figaro du 18 avril 1882
«La mort de cette jeune femme a jeté une certaine émotion dans le monde spécial qu’on appelle le Tout-Paris, écrit le Figaro du 18 avril. Le quotidien revient sur les circonstances de la mort, expliquant que l’accident s’est produit lors de la répétition d’un exercice imposé par sa popularité. «Une rentrée triomphale sur la piste de l’écuyère rappelée par le public et qui arrivant à fond de train de l’écurie, saute un obstacle à l’entrée et vient saluer les spectateurs. Pour cet exercice, précise le journal, elle avait fait seller, j’y pense, un cheval bai, très lourd et très difficile ? […] M. Franconi [directeur du Cirque d’hiver, ndlr], à plusieurs reprises, avait conseillé à Emilie de renoncer à monter cette bête. Mais très courageuse, elle n’écouta personne ; au contraire le danger était un attrait de plus pour elle.»
Le Gaulois du 19 avril revient sur un épisode troublant, quatre ans avant le drame. ««Un soir, au cirque des Champs-Elysées, M. de C… fut présenté à Emilie Loisset. “—Voulez-vous permettre à un de vos plus sincères admirateurs, lui dit-il, de vous donner un avertissement ? […] Eh bien, prenez garde à votre main : elle vous tuera. […] Je vous ai observée depuis longtemps, mademoiselle ; vous êtes la plus charmante et la plus habile écuyère que je connaisse. mais vous avez dans la main une fébrilité, une impatience, une agitation nerveuse qui vous jouera, un soir, un fort mauvais tour.” […] “— Eh bien monsieur mon ami, dit-elle gaiement, nous reparlerons de votre prophétie dans… vingt ans.”»