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Libération
Soulagement

A Nantes, débauche de joie à la Beaujoire après le maintien en L1

Avec leur victoire face à Angers, samedi, les Canaris ont évité l’accident industriel et assuré leur place en première division pour la prochaine saison. Au stade de la Beaujoire, les supporteurs ont laissé éclater leur joie après une année laborieuse et un changement d’entraîneur.
Après la victoire du FC Nantes, les supporteurs ont envahi le terrain du stade de la Beaujoire, samedi. (Sebastien Salom-Gomis/AFP)
publié le 4 juin 2023 à 16h54

On s’est pointé samedi au stade de la Beaujoire pour voir le FC Nantes sauver sa peau en Ligue 1 sur le fil (1-0) face au SCO Angers. Et on s’est fait raconter une brève histoire du temps que le défenseur Quentin Merlin, petit bonhomme (1,73 m) de 21 ans né puis formé sur les bords de l’Erdre, a déroulée. «Ça tirait un peu sur la fin mais il fallait continuer de courir, continuer, continuer… Bon, ça fait partie du boulot et si tu dois y laisser une jambe… Bref : le coach m’a sorti. J’étais assis sur le banc au côté de Pedro [Chirivella], je regardais le jeu puis le temps qui filait sur l’écran géant derrière la tribune Loire, je voulais que ça se termine parce qu’Angers poussait et qu’on était à un but [encaissé] de descendre en Ligue 2 et je me suis aperçu que le temps n’avançait jamais. J’en parle à Pedro. Il a la même impression. Donc, je lui dis “Ecoute, on arrête de regarder l’écran, peut-être que les minutes passeront plus vite”. Du coup, on a aussi arrêté de regarder le match. On a fixé nos pieds. Et on a imaginé le jeu au son, en écoutant respirer le public. On a fini comme ça.»

Le temps vécu, le temps ami, le temps de s’abstraire aussi. Et le sentiment d’éternité qui a englouti les joueurs nantais quand l’arbitre, Clément Turpin, a sifflé la fin de la rencontre : ils ont tous raconté ça sans exception. A cet instant, le ciel s’est ouvert en deux pour déverser des milliers de supporteurs sur la pelouse, les stadiers et les CRS sprintant de concert pour exfiltrer les acteurs du chaos. Quelques coups de matraque sont partis. Le foot hexagonal est ce qu’il est, le maintien de l’ordre à la française aussi. A 500 kilomètres de là, le RC Lens tartinait (3-1) l’AJ Auxerre en Bourgogne et créait cet «alignement des planètes» un peu providentiel, un peu céleste depuis la Maison jaune, que l’entraîneur des Canaris depuis quatre matchs, Pierre Aristouy, avait appelé de ses vœux toute la semaine. La folle soirée en quatre actes.

19 h 20, le parking du stade

Les soirs de match à la Beaujoire, le FC Nantes a un petit truc bien à lui : une proportion intrigante de stadiers en blazer siglé de l’écusson du club alors que les chasubles orange essaiment partout ailleurs. Il se joue là quelque chose. Un côté snob et paradoxalement un peu canaille, parce que le blazer ne fait pas le club et qu’il peut renvoyer à un péché d’orgueil, voire une tromperie alors que l’équipe rame sportivement chaque saison un peu plus. Perdus dans ces considérations, on n’a pas vu le coup venir. Le car des joueurs nantais s’est garé sur un parking, puis les joueurs en sont descendus sous les hurlements des fans pour rejoindre l’entrée du stade qui leur est réservée.

Un moment d’une tenue exceptionnelle, dans l’absolu et dans le contexte : on croit en vous, on vivra par vous, on mourra avec vous. Vous êtes nos joueurs. Avant samedi, Ludovic Blas, Alban Lafont et consorts n’avaient plus remporté un match de championnat depuis la mi-février (Lorient, 1-0). Les réprouvés de la Ligue 1 (Troyes, Auxerre, Brest, Montpellier) leur marchent dessus depuis des mois, il n’y a plus rien qui tienne en coulisses et dans une équipe où même l’emblématique capitaine Nicolas Pallois a été poussé sur le banc des remplaçants. Mais ça n’a rien à voir. Ils demeurent leurs joueurs.

Il y a deux ans, alors que l’équipe galérait déjà, les salariés du club étaient venus former une haie d’honneur aux entraînements. Relancée ces dernières semaines, l’idée a fait flop : Ouest-France décrivait samedi un FC Nantes fracturé de partout, «quatre clubs en un» (l’administratif, l’équipe première, la formation et les féminines) cohabitant dans l’indifférence et où Aristouy, qui s’occupait des moins de 19 ans avant d’être appelé à la barre des pros pour sauver le paquebot (200 salariés en tout, une descente en Ligue 2 rend un plan social plus ou moins inévitable), n’avait aucune idée de ce qui se passait dans le vestiaire nantais parce que tous les ponts avaient été coupés. Samedi, ces derniers jours, ces dernières semaines, le lien entre les fans et la vingtaine de joueurs défendant le club a tenu : rien que ça, juste ça mais c’est le foot à l’os.

On a quand même vu les stigmates : le but nantais d’Ignatius Ganago devant des sièges vides après la suspension de la tribune Loire pour «usage répété d’engins pyrotechniques», la direction du club invitée à aller se «faire enculer» tout le match, l’impression aussi qu’en cas de malheur, un coup de force de la Brigade Loire était plus probable que possible. Les joueurs ont simplement été mis en dehors de ça.

22 h 45, sur la pelouse

Le match tire à sa fin et on a sous le nez une étrange séquence : menés, les Angevins conservent le ballon dans leur camp sans avancer d’un mètre, la pression et les courses des joueurs nantais les repoussant aussi sûrement qu’un mur en mouvement. Après, les Scoïstes avaient la solution, perdu pour perdu, d’envoyer de longs ballons dans la profondeur. Ils ne l’ont pas fait. Et leur entraîneur, Alexandre Dujeux, s’en est étonné après-coup. A la vue du match de samedi, il ne viendrait à l’idée de personne de fustiger le comportement des joueurs angevins. Mais il s’est joué quelque chose d’ambigu, de subtil : ils pouvaient faire plus, sauf qu’ils n’étaient nullement tenus de le faire. Un professionnalisme bien compris, je fais le taf, je quitte la Ligue 1 debout mais moi, je sais que je descends depuis Noël, donc il ne faut pas (me) pousser non plus. Le foot d’aujourd’hui passe aussi au trébuchet.

Une bonne heure plus tard, moment rare : un joueur angevin discute en toute liberté, c’est-à-dire en off, avec deux confrères qu’il connaît bien avant de monter dans le car. Et il raconte cette histoire-là : une équipe qui joue sa peau et pas l’autre, les Scoïstes écrasés dans les duels, le curseur angevin juste au-dessus de la dignité et de l’éthique de travail mais bien en deçà de ce que Quentin Merlin mettait dans ses courses. Et une saison infernale, épuisante, la Direction nationale du contrôle de gestion (le gendarme financier du foot français) qui rôde, l’interdiction de recruter pour infraction sur la législation des transferts alors que dix-sept joueurs sont en fin de contrat. Il oubliera la perquisition au siège du club pour soupçon de blanchiment organisé, les accusations de harcèlement et condamnation pour agressions sexuelles, et le reste. Le mec en souriait presque. Si les Nantais étaient restés en cale sèche samedi, il aurait fallu qu’ils y mettent du leur.

23 h 10, dans un couloir du stade

Le milieu espagnol du FC Nantes Pedro Chirivella débarque en claquettes, mi-content mi-gêné, ce qui permet de comprendre que les micros ou caméras ne font pas son ordinaire. «Sur les plans personnel et collectif, ça a été très compliqué ces dernières semaines. Vous n’imaginez pas combien ça a été dur. Ce n’est pas bon pour le cœur : à un moment, ça va péter [sourire]. Cette saison, j’ai joué avec une pubalgie pendant des mois. Après le match de Reims [0-3, le 2 avril], j’ai décidé de dire stop. Je pouvais tenir ma place mais il fallait faire avec la douleur et, mentalement, je n’y arrivais plus. La pubalgie, c’est particulier : elle est là, elle ne s’aggrave pas vraiment si tu joues mais elle s’entretient tant que tu ne coupes pas et je ne pouvais plus. Puis, le truc s’est inversé. C’est de ne pas jouer alors que l’équipe plongeait au classement qui est devenu difficile mentalement : j’étais impuissant, je ne pouvais rien faire pour aider le club. Après le match à Brest [0-2, le 3 mai], je me suis mis dans la tête que je devais revenir. Je ne pouvais plus rester comme ça, à attendre en regardant l’équipe perdre.»

Samedi, pour sa rentrée, Chirivella a été le meilleur sur le terrain : à Nantes comme ailleurs, c’est la tête qui commande. Et les envahissements de terrain les soirs de fête prennent racine quelque part dans l’intimité du joueur. Son capitaine de circonstance, Samuel Moutoussamy (26 ans), lui a succédé. Un coureur à pied (pour l’essentiel) monté en grade, parce que l’heure était à ces joueurs-là dans ces circonstances-là. Et le milieu s’est pris à rêver tout haut de la considération nouvelle dont il bénéficiera désormais dans le métier, enfin il l’espère : «Le capitanat, c’est dans mon ADN. Ça me fera un peu de lumière pour une fois. Et ça ne fera pas de mal à ma carrière.» Ces gars-là ne perdent jamais le nord.

23 h 40, dans un couloir du stade

Muet depuis des mois, Waldemar Kita, le président du club nantais, se pose devant les micros : «On ne peut que remercier les Lensois parce que s’ils perdent à Auxerre, on est en Ligue 2. Bravo à eux !» Un brin déplacé : Kita n’est personne pour avoir douté de l’engagement lensois dans cette histoire et les Artésiens ne l’ont pas non plus emporté à Auxerre pour ses beaux yeux. Le reste sera à l’avenant. Décalé, franchement étrange parfois («Un tremblement de terre s’est installé, on a vécu dans la boue») et constamment allusif, comme s’il tournait autour de quelque chose qu’il ne pensait pas vraiment lui-même. En extrayant la racine carrée du discours présidentiel, on a cru comprendre qu’il exhortait son auditoire à penser moderne. «Il faut un changement de mentalité, d’éducation. Il faut s’adapter. Les gens d’un certain âge ont du mal.» Merci pour eux. Sur les médias : «A un moment, il [vous] faut comprendre que vous êtes négatif. Moi, quand je change d’entraîneur, c’est volcan.» Alors que les autres clubs le font peinard ?

A une dizaine de mètres, Aristouy attend son tour. Kita s’enlise, le service communication coupe court et le formateur bombardé entraîneur prend la parole. Un zéphyr. Rien à vendre et surtout pas lui-même, aucun message, pas plus d’éléments de langage. Et une petite musique insolite dans ce contexte XXL, la foule, le crash industriel évité d’un rien, les fumigènes qui irradient partout autour de l’enceinte : «Trente ans que je suis dans le foot et si j’ai compris un truc, c’est que ça ne se termine jamais comme tout le monde le prévoit. Il se passe toujours quelque chose qui… Sinon, ces quatre semaines n’ont été ni épanouissantes, ni agréables. Tout vous remonte à la gueule, la gestion humaine, les crises… J’ai mis toute ma vie de côté, j’ai travaillé quatorze à quinze heures par jour. J’ose croire que la vie d’entraîneur n’est pas celle-là. Enfin, je n’en sais rien. En tout cas, je ne dirai plus jamais de mal de quelqu’un qui fait ce métier.» Il ne les connaît pas tous non plus. Puisse cette candeur irradier encore un peu la Ligue 1.