Au Nicaragua, les arrestations d’opposants politiques sont monnaie courante. Il ne se passe pas un mois, depuis les manifestations de 2018 réprimées dans le sang par le dictateur Daniel Ortega et sa femme Rosario Murillo sans qu’une nouvelle salve de détentions arbitraires n’ait lieu. Politiciens, journalistes, militants d’ONG, prêtres… Ils sont plus de 200 à croupir actuellement dans les prisons nicaraguayennes.
Mais depuis la mi-septembre, deux prisonnières accaparent l’attention des autorités françaises. Jeannine Horvilleur Cuadra, 63 ans, et sa fille Ana Alvarez Horvilleur, 43 ans, ont été arrêtées à leur domicile en pleine nuit le 13 septembre pour avoir «conspiré pour porter atteinte à l’autorité nationale» et diffusé de «fausses nouvelles». Si les deux femmes intéressent autant Paris, c’est qu’elles possèdent toutes les deux la nationalité française, en plus de celle nicaraguayenne. Elles sont même les cousines de la rabbin et écrivaine française Delphine Horvilleur, qui s’est émue de leur sort mercredi sur Twitter : «Vive inquiétude pour Jeannine et Carolina Horvilleur, mes cousines, otages de l’Etat-policier du Nicaragua.»
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Loin des motifs fantasques inventés par le pouvoir pour les emprisonner, il est surtout reproché à Jeannine et Ana d’être pour la première la femme, pour la seconde la fille, de Javier Alvarez Zamora, un économiste de 67 ans connu pour son opposition au clan Ortega. Alerté par ces dernières de la descente de police en cours le 13 septembre, Javier Alvarez a fui vers le Costa Rica voisin, comme plus de 100 000 Nicaraguayens depuis 2018.
En exil, il interpelle depuis la communauté internationale par des lettres rendues publiques sur la situation de sa femme, de sa fille, et de Felix, le compagnon de cette dernière. «Ils n’ont pas commis le moindre délit ni eu le moindre engagement politique, dénonçait-il le 4 octobre. Ils ont été emprisonnés pour le seul motif d’être mes proches.»
La France suit de «très près la situation» leur situation
Dans ce courrier, il précise par ailleurs que Jeannine a survécu à un cancer, qu’elle est actuellement en rémission et doit réaliser des tests médicaux réguliers et qu’Ana et son compagnon ont tous deux des problèmes de santé nécessitant un suivi et des prises de médicaments. Autant de pathologies qui ne sont pas compatibles avec leurs conditions de détention dans la tristement célèbre prison d’El Chipote. Centre de torture durant la dictature des Somoza dans les années 70 - que Daniel Ortega combattait à l’époque -, elle est désormais utilisée par le régime pour laisser croupir et broyer les opposants. Peu nombreux sont ceux qui en ressortent et plus rares encore ceux qui la quittent en bonne santé.
«Jeannine, Ana Carolina et Felix n’ont pas d’avocats, pas le droit de recevoir un coup de fil, raconte Javier Álvarez au JDD. Ils sont à l’isolement. La seule chose que la famille a été autorisée à faire est de déposer chaque jour des biscuits, de l’eau, des jus de fruits et des sous-vêtements. Rien d’autre. Ils n’ont droit à rien.» Des audiences préliminaires qui permettront de fixer une date de procès sont prévues ce jeudi, puis les 18 et 21 octobre.
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Dans un point presse ce jeudi, le ministère français des Affaires étrangères a de nouveau affirmé suivre «de très près la situation» de ces deux franco-nicaraguayennes, assurant que «l’ambassade de France à Managua est pleinement mobilisée, comme nos autorités à Paris» : «À travers plusieurs contacts avec les autorités nicaraguayennes, nous avons exprimé notre vive préoccupation et réitéré avec insistance notre demande d’accès consulaire à nos deux compatriotes. […] Nous souhaitons notamment nous enquérir de leurs conditions de détention et de leur état de santé.» Les demandes de visite sont, pour l’instant, restées sans réponse.
Les espoirs d’un règlement diplomatique de cette affaire entre les autorités françaises et nicaraguayennes restent malgré tout bien maigres. Ces derniers mois, le clan Ortega n’a fait que durcir le ton à l’égard de ce qu’il restait d’opposition et s’est isolé plus encore qu’il ne l’était sur la scène internationale. Fin septembre, l’ambassadrice de l’Union européenne a été déclarée persona non grata par le gouvernement nicaraguayen et sommée de quitter le pays. Dans le même temps, Managua annonçait rompre ses relations diplomatiques avec les Pays-Bas et refusait l’arrivée de l’ambassadeur désigné par les Etats-Unis.