Il est 21 h 20, devant le bar Le Bastille, au cœur du XIe arrondissement parisien. La place est embrumée, envahie de fumigènes rouges et bleus. Des pétards se mêlent aux cris de joie des supporteurs célébrant le but contre son camp du défenseur allemand Mats Hummels, qui permet à la France d’ouvrir le score dans sa première rencontre de l’Euro 2021. Sur les quatre écrans de télévision prévus pour l’occasion, les joueurs de Didier Deschamps s’enlacent. Devant le bar, où une centaine de clients ont commencé à arriver en fin d’après-midi, les réactions sont vives, incontrôlées même. Quelques tables tombent au sol après des accolades trop poussées, des verres se brisent.
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«Le téléphone n’a pas arrêté de sonner ces derniers jours. Les gens voulaient tous obtenir des places en intérieur pour le match de ce soir», rembobine une serveuse. Les recalés, arrivés trop tardivement, tentent leur chance dans d’autres troquets des alentours. Sans grand succès : l’accès leur est refusé presque systématiquement. Et la réponse est souvent la même de la part du personnel, qui slalome entre les clients, masque tricolore sur le nez et tatouages sur les joues : «Il fallait réserver en avance !» Des petits malins profitent du chahut pour se dissimuler à l’intérieur de l’établissement afin d’investir les tables réservées. Peine perdue.
Bises et masques sous le menton
Le match se poursuit, les hommes de Didier Deschamps toujours aux commandes de la partie. A la vue des écrans, les passants s’arrêtent quelques instants pour tenter de capturer des bribes de la rencontre. Les livreurs à vélo profitent aussi d’un instant de répit, entre deux commandes, pour s’adosser aux murs de la station de métro en face du bar et capter quelques actions. Les agents de sécurité leur demandent gentiment de passer leur chemin. La mi-temps siffle la fin du match pour une poignée de supporteurs trop éméchés et sommés de quitter le bar.
La partie reprend, les voix sont déjà cassées. Le retour des matchs dans les bars, «c’est comme refaire sa première fois, c’est dingue», lance un étudiant, qui se souvient ému du Mondial 2018 et des émotions collectives de l’époque. Les règles sanitaires sont parfois laissées au second plan. Certains claquent la bise, le masque glisse sous le menton lorsque des chants sont lancés à la gloire de Karim Benzema. Aussitôt, les serveurs passent dans les rangs pour tenter de faire respecter les mesures de distanciation sociales.
Une chenille qui disparaît dans la nuit
La foule continue de trembler à chaque offensive allemande. Au bout du temps additionnel, à cinq minutes du début du couvre-feu de 23 heures, l’arbitre finit par libérer l’assistance. Dans la foulée, les serveurs s’invitent les clients à quitter rapidement les lieux. Une chenille est entamée à proximité de l’établissement, avant de se dissiper rapidement dans la nuit parisienne. Des rumeurs de soirées passent de tables en tables et attirent l’attention des étudiants, qui composent une bonne partie de la clientèle du soir. «Certains ont prévu de fêter la victoire en after, dans un appartement», indique Morgan, responsable du bureau des sports de son école de commerce. Quelques mètres plus loin, des lycéens ont une autre idée en tête. «On pense à aller faire un tour du côté des Invalides», glisse Titouan.
Peine perdue. Un important dispositif policier attend de pied ferme les rares aventuriers qui ont décidé de rejoindre l’esplanade, où plusieurs fêtes sauvages ont eu lieu ces derniers jours. «Il n’y a rien du tout, je suis dégoûté», souffle Maxime, maillot de l’équipe de France sur les épaules, qui rebrousse chemin sans attendre. Pour des émotions un peu prolongées, il faudra attendre la levée du couvre-feu, le 30 juin. En espérant que les Bleus de Mbappé et consorts seront encore en lice…