A l’échelle de Paris, la demi-finale de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) qui oppose la Côte-d’Ivoire à la République démocratique du Congo peut se résumer à deux arrêts de métro : Château-d’Eau (Xe) contre Château-Rouge (XVIIIe). Le premier est un haut lieu de la diaspora ivoirienne, hôte de la compétition ; le deuxième de la diaspora congolaise.
A Château-Rouge, les rues sont remplies de supporteurs parés de rouge et de bleu, les couleurs du drapeau national. Tous croient à la qualification en finale de leur équipe. «2-0 pour nous», pronostique Zinga, 50 ans. Son âge correspond presque à la période de disette des Léopards congolais à la CAN. La dernière victoire du pays remonte à 1974. Galvanisé par le parcours de son équipe, le quartier du «petit Congo» se met à rêver d’un exploit contre le pays organisateur, annoncé parmi les favoris.
Reportage
Accoudé au comptoir d’un bar du quartier, Baba refuse cette étiquette et préfère ne pas «porter l’œil» à son pays : «C’est la CAN des surprises», répond humblement le supporteur ivoirien. Né à Grand-Bassam, une localité située à 40 kilomètres à l’est de la capitale, Abidjan, Baba y a vécu toute sa vie avant de rejoindre la France il y a quelques mois. Il vit la compétition pleinement malgré la distance qui le sépare de la ferveur des rues ivoiriennes. Le match commence. Les fans de football qui traînent dans les rues se pressent de rentrer dans les débits de boissons.
Premier acte poussif
«Les deux équipes n’osent pas se livrer», résume le commentateur du match à la télévision. La rencontre est serrée et traduit les difficultés des deux équipes depuis le début de la CAN. Les Eléphants de Côte-d’Ivoire sont des «miraculés», d’après les suiveurs. Malmené en phase de groupe, le pays hôte a longtemps cru être éliminé de sa propre compétition. Aidés par un format qui repêche les meilleurs troisièmes de chaque poule, les voilà désormais aux portes de la finale. Le début de rencontre ôte le sourire à Baba. Seule l’apparition à la télé de la légende ivoirienne Didier Drogba l’extirpe de sa moue.
Le quinquagénaire prend tout de même le temps de répondre aux provocations de ses compères du soir. «Chancel Mbemba ne vaut rien», lance-t-il avec insolence, à propos du capitaine et défenseur vedette du Congo, titulaire à l’Olympique de Marseille. «Mbemba, c’est Beckenbauer [ancien défenseur et entraîneur allemand, mort début janvier, ndlr]», rétorque un supporter tout acquis à la cause des Léopards du Congo. Juste avant la mi-temps, les Ivoiriens lancent les offensives dans le camp congolais. Ils touchent du doigt l’ouverture du score, sans parvenir à concrétiser. Baba craint que son équipe ait laissé passer sa chance.
Les chants, les danses et les bavardages réveillent le quartier engourdi par un premier acte poussif. Dans un bar de la rue des Poissonniers, une quarantaine de Congolais attendent la reprise. Toutes les générations sont représentées. Tout comme les tenues. De l’habit traditionnel au maillot floqué en passant par le drapeau qui recouvre tout le corps, Gédéon a préféré l’autocollant en forme de cœur aux couleurs de son pays sur la joue. Les yeux rivés sur l’écran plat accroché au mur, le père de famille râle après son équipe. L’enjeu paraît trop important pour les joueurs congolais, qui commencent à être dépassés par leur adversaire du soir.
«La fête est gâchée»
Gédéon réclame du changement. A côté de lui, sa fille adolescente, plus silencieuse, voit bien que le Congo subit. Zinga sent que son équipe va finir par craquer. Il tente de relativiser : «Si on perd, c’est pas bien grave…» A peine a-t-il le temps de ponctuer sa phrase que la Côte-d’Ivoire ouvre le score. L’attaquant Sébastien Haller, d’une volée croisée, vient de jeter un froid dans le bar. «Oh, seigneur», laisse échapper Gédéon. «On va égaliser, j’y crois», se reprend Zinga. Les bavardages cessent et laissent place à des débats tactiques. Le ton monte entre Gédéon et un supporteur plus jeune.
Comme souvent, le sélectionneur devient le responsable de tous les maux. «L’entraîneur a tué notre équipe», entend-on. Le Français, Sébastien Desabre, en prend pour son grade. En fin de match, le miracle attendu par les Congolais ne se produit pas. La télévision se met même à dysfonctionner. Les premiers supporteurs quittent les commerces du quartier pour rentrer chez eux. Les images de l’ambiance incandescente du stade Alassane Ouattara d’Abidjan contrastent avec la salle de ce bar de la rue des Poissonniers.
La fin de soirée n’est pas celle imaginée par la communauté congolaise de Château-Rouge. Ce soir, c’est Château-d’Eau qui a gagné. «On est des revenants, jubile Baba. Il faut que la Coupe reste en Afrique de l’Ouest.» Le supporteur ivoirien se projette déjà sur la finale qui opposera les Eléphants ivoiriens au Nigeria, dimanche 11 février. Bon perdant, Zinga félicite l’adversaire du soir puis raisonne ses compatriotes : «La fête est gâchée, mais c’est pas grave, c’est le football.» Avant de donner rendez-vous à la bande au même endroit dans quelques jours. Il compte bien continuer d’encourager son équipe dans sa quête à la troisième place de la CAN, samedi à 21 heures, lors de laquelle elle y affrontera l’Afrique du Sud.