Menu
Libération
Désillusion

Coupe du Monde 2022 : pari perdu pour Deschamps, Karim Benzema a déjà quitté le Qatar

Coupe du monde 2022 au Qatardossier
Contre toute logique, le sélectionneur français avait misé sur son attaquant vedette alors qu’il se remettait encore d’une blessure. Le Ballon d’or a rechuté, assombrissant encore un peu plus l’horizon des Bleus.
Karim Benzema et Didier Deschamps après un match face à l'Autriche, à Vienne, le 10 juin dernier. (Franck Fife/AFP)
publié le 20 novembre 2022 à 9h29
(mis à jour le 20 novembre 2022 à 11h08)

Les faits : l’attaquant des Bleus Karim Benzema a pris dimanche le vol Qatar Airways QR149 qui a décollé à 8h08 heure de Doha, direction l’aéroport Adolfo-Suárez de Madrid-Barajas. La veille, lors du tout premier entraînement collectif auquel il participait depuis près d’un mois, la star du Real Madrid avait, selon le staff tricolore, ressenti une vive douleur au quadriceps de la cuisse gauche lors d’une course durant une opposition simulant une situation de match. L’IRM passée dans la foulée dans un établissement hospitalier de Doha a acté une indisponibilité de trois semaines minimum. La nuit a été courte, et Benzema est déjà reparti.

Les mots : «Je suis extrêmement triste pour Karim qui avait fait de cette Coupe du monde un objectif majeur, a souligné dans un communiqué le sélectionneur, Didier Deschamps, qui a décidé de ne pas le remplacer. Malgré ce nouveau coup dur, j’ai toute confiance en mon groupe. Nous allons tout faire pour relever l’immense défi qui nous attend.» «De ma vie, je n’ai jamais abandonné, a de son côté déclaré Benzema, sur Instagram. Mais ce soir, il faut que je pense à l’équipe comme je l’ai toujours fait alors la raison me dit de laisser ma place à quelqu’un qui pourrait aider notre groupe à faire une belle Coupe du monde.» Manière de laisser entendre que sa première impulsion était de rester avec le groupe tricolore, sauf qu’il ne s’en sentait pas le droit.

«Tu compenses ailleurs»

Le contexte : le 7 septembre, la vedette madrilène était sortie contre le Celtic Glasgow pour cause de lésion au muscle semi-tendineux et surcharge musculaire au quadriceps de la jambe droite. Trois semaines au frais, une courte reprise et une rechute. Au total, Benzema n’aura disputé que vingt-six minutes depuis le 19 octobre. Partant, le fait qu’il ait été touché samedi à la jambe gauche est important. Il allège en partie Deschamps du soupçon d’avoir emmené un joueur blessé au Mondial puisque la lésion qui l’aura définitivement éloigné des terrains qataris n’était pas connue du staff avant l’annonce de la liste des partants ou l’envol pour Doha.

En partie seulement : un joueur qui ne s’entraîne pas est un joueur fragile, Benzema s’en étant tenu «au protocole de soins» selon la communication tricolore depuis son arrivée lundi à Clairefontaine. «Quand tu es blessé quelque part, tu compenses ailleurs, s’est-on fait expliquer par un préparateur physique ayant eu la charge d’une équipe de Ligue 1. Et tu fragilises d’autres parties du corps.» D’autant que l’attaquant de 34 ans ne s’est pas entraîné en opposition depuis plus d’un mois. Même si l’on présume un intense travail en salle, la proprioception est très différente dans un contexte d’interaction, où le joueur est bousculé.

Course de relais et ésotérisme

Depuis leur arrivée à Doha mercredi, les joueurs qui se sont présentés devant les micros ont défendu un concept quelque peu baroque, et à notre connaissance inédit – en France ou ailleurs – dans une phase finale : la Coupe du monde qatarie comme une course de relais. Avec une bonne dose d’ésotérisme là-dessus. «[Benzema] a beaucoup d’expérience, il connaît son corps, a expliqué le milieu Aurélien Tchouaméni. Il ne se sentait pas capable de jouer [ces dernières semaines] mais au moment où il sera prêt, il donnera le maximum.» Le défenseur Lucas Hernandez : «Avec Raphaël Varane [dans le même cas que Benzema, ndlr], on parle de joueurs à près de 100 sélections. Le staff essaye de les gérer mais si par malheur ils n’arrivent pas à temps, on a un groupe fantastique qui pourra les suppléer. On a le dos couvert.»

Voilà le concept : Olivier Giroud ou Marcus Thuram peignent la girafe contre les Australiens ou les Tunisiens au premier tour et Benzema arrive, royal, frais comme la rosée du matin, pour reprendre son magistère lors des matchs à élimination directe et faire grimper les Français au rideau lors des rencontres qui font l’inconscient collectif. On ne discute pas la portée toute cinématographique du récit mais voilà : on ne sort pas un joueur de six semaines d’inactivité pour le plonger dans une phase finale de Coupe du monde, où les joueurs de tous les horizons jouent les matchs d’une vie et dévalent 12 kilomètres par match en cherchant le combat comme une bénédiction.

Une politesse au récent Ballon d’or ?

Par ailleurs, la construction d’une équipe s’effectue non pas avant mais pendant le tournoi, celle-ci étant un bien précieux, pour ne pas parler d’un graal, après lequel courent tous les sélectionneurs présents au Qatar. «Et la stature sportive de Benzema est de nature à bousculer tous les équilibres», indépendamment de son état de forme puisque ses coéquipiers l’admirent, nous rappelait la semaine dernière l’agent d’un des présents. Deschamps aura tenté le coup. Demeure l’idée d’un voyage au Qatar comme une politesse faite au meilleur joueur de la planète, récent Ballon d’or et quintuple vainqueur de la Ligue des champions, que ceux-là – la Fédération et son sélectionneur – auront privé de ses plus belles années en bleu entre 2015 et 2021, pour son implication dans l’affaire de chantage à la sextape visant son coéquipier Mathieu Valbuena (1) et sous haute influence politique. Un joueur et un homme à part. Mais avec des muscles et des articulations comme tout le monde.

(1) Benzema a été condamné à un an de prison avec sursis pour «complicité de tentative de chantage» et a renoncé à faire appel.