Le monde entier en rêvait et Leo Messi l’a fait. A 35 ans et quelques mois, la Pulga («la Puce») vient enfin de gagner «sa» Coupe du monde, le seul titre qui lui manquait, et de rejoindre voire dépasser dans la légende l’autre gaucher diabolique de l’équipe sud-américaine, Diego Maradona. Voilà, c’est cuit, recuit, il va pouvoir plier les gaules et s’en retourner à Rosario, où il menace de revenir depuis des années sans le faire, notamment dans le club de son enfance, les Newell’s Old Boys. Peut-être conviendra-t-il avec le PSG, la multinationale du divertissement qui l’emploie, de ne pas activer en juin l’année supplémentaire optionnelle qui figure sur son contrat. De quoi se donner tout de même une chance d’accrocher une cinquième Ligue des champions avec le club de la capitale, comme un ultime tour de piste.
Sept buts
Dimanche, l’Albiceleste avait le choix entre imiter sa devancière de 1986, victorieuse 3-2 contre la RFA, ou de copier celle de 1990 (finaliste, battue par la même Allemagne de l’Ouest sur un penalty contesté). Le scénario a longtemps imité la première : l’équipage sud-américain qui mène 2-0, avant de se faire rejoindre. Puis, ce dimanche 18 décembre s’est emballé, proposant une version avec bonus tracks, un but pour chaque sélection avant une séance de tirs au but. Des penaltys, les Argentins et leur capitaine Messi en auront obtenu beaucoup dans ce Mondial : 5 en 7 matchs, pour quatre réalisations. Longtemps, les aristocrates de ce jeu (de Di Stefano à Puskas, de Cruyff à Platini en passant par Zico) ne gagnaient jamais la Coupe du monde. Il y avait des exceptions, bien sûr : Pelé, Garrincha, Beckenbauer, Zidane ou Maradona… Depuis 2002, c’est comme si les plus créatives d’entre elles s’étaient contraintes à voguer avec peu de voilures, à déployer un jeu étriqué. Sur le même principe, le meilleur joueur de l’époque depuis au moins quinze ans, sept ballons d’or au compteur, se devait de gagner la Coupe du monde. Comment pouvait-il en être autrement ?
Reportage
Le Rosarino – sept buts au total lors du mois passé au Qatar – vient de réparer ce que le monde considérait comme une anomalie. En un sens, il est raccord avec l’époque. «Il fait penser au Terminator du film le Jugement dernier, raillait l’écrivain et scénariste pour le cinéma Fabián Casas il y a peu auprès de Libération. Il a été façonné dans les labos cybernétiques espagnols [allusion à son arrivée à l’âge de 13 ans à la Masia, le centre de formation du Barça, ndlr], programmé pour aller de l’avant quoi qu’il en coûte. Si quelque chose le désintègre, il se reconstruit et repart. Seul un androïde programmé peut dupliquer le but du siècle de Maradona contre les Anglais (en 1986). La preuve que c’est un robot, c’est qu’il l’a fait dans un match sans importance (une rencontre contre Getafe en Coupe d’Espagne en 2007).»
Gendre idéal
Comme le Brésil de Telê Santana, fanfare sans couronne en 1982 et 1986, l’Argentine a proposé des équipes bien meilleures (1994, 2002, 2006) que celle envoyée ferrailler au Qatar. Mais après son revers inaugural face à l’Arabie saoudite, les joueurs de l’autre Lionel (Scaloni, le sélectionneur) ont semblé comme en mission, habités par une puissante force collective. Même Messi, entouré d’un groupe à son service, paraissait dans un état second. Lors du quart de finale contre les Pays-Bas, il est allé houspiller l’arbitre, qu’il croisait sur les terrains espagnols lorsqu’il évoluait au FC Barcelone, avant de le critiquer sèchement aux micros des reporters. Et de s’en prendre, dans la foulée, à un joueur néerlandais à l’occasion d’une interview télévisée : «Qu’est-ce que tu regardes, connard ? Dégage !»
Le gendre idéal (désormais 98 buts en 172 sélections, série en cours ?) a montré les dents et l’Argentine est prête à tout pardonner à sa météorite. «Maradona était semblable à Julio Cortázar, côté rébellion. Messi, lui, incarne la perfection, son jeu est comparable à un paragraphe de Jorge Luis Borges, on se demande comment il a pu inventer ça. Pour Maradona, comme pour Cortázar, on a l’impression que chaque action lui a coûté, que, pour chaque coup d’éclat, il y a un prix à payer», analyse l’écrivain Hernán Casciari. Le prix à payer pour Messi n’aura été qu’une longue attente de quinze ans. Elle vient de prendre fin.