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Histoire

Coupe du monde de foot : sur les maillots, la guerre des étoiles

Coupe du monde 2022 au Qatardossier
La tradition d’arborer le nombre de victoires mondiales sur le maillot a mis du temps à s’imposer, la Fifa n’ayant jamais régulé la tendance. Le Brésil lance la mode en 1971, et depuis, chaque nation victorieuse y va de sa fierté.
Pelé avant le match amical avec la Yougoslavie au stade Maracana à Rio de Janeiro, le 18 juillet 1971. ( Rolls Press/Popperfoto. Getty Images)
publié le 17 décembre 2022 à 15h23

Ce dimanche au stade de Lusail au Qatar, l’Argentine et la France vont ferrailler pour rafler le trophée le plus convoité du sport mondial, la 22e Coupe du monde de foot. Il s’agira de flatter l’ego de ses compatriotes, de faire remonter mécaniquement le moral des ménages et, surtout, d’ajouter une étoile juste au-dessus du coq. La troisième pour les deux équipes. L’Albiceleste (1978, 1986) court après depuis le sacre de Mexico de Diego Maradona qui avait survolé la compétition, quand les Bleus (1998, 2018) sont les tenants du titre. Dans l’ère post-moderne du sport le plus populaire du monde, le football de sélection se jauge au nombre d’astérisques situés juste au-dessus du blason, tout près du cœur. Message subliminal, dis-moi combien tu as d’étoiles, je te dirai qui tu es, et surtout, combien tu pèses.

Incongruité

Pourtant, pendant plus de quatre décennies, du premier Mondial en Uruguay jusqu’au troisième sacre des Brésiliens au Mexique en 1970, aucun des vainqueurs des précédentes éditions ne se préoccupait d’arborer un signe distinctif sur son maillot. Ni l’Uruguay (1930, 1950), ni l’Italie mussolinienne (1934, 1938), ni l’Allemagne de l’Ouest (1954), ni le Brésil (1958, 1962, 1970) et encore moins l’Angleterre vainqueur de sa Coupe du monde à domicile en 1966. Appartenir à ce club très sélect suffisait à leur bonheur. En gagnant une troisième fois le tournoi planétaire en douze ans, les Auriverde ont le droit de conserver la coupe Jules-Rimet, un trophée qui ressemble aux statuettes que recherchent Jean-Paul Belmondo et Françoise Dorléac dans l’Homme de Rio. Et la Seleção brésilienne étale pour la première fois ses trois astérisques, qui attestent de son glorieux passé, le 18 juillet 1971 contre la Yougoslavie, à l’occasion de la dernière cape de Pelé, le plus grand joueur de tous les temps pour beaucoup. Depuis lors, c’est entendu, le Brésil évolue avec les trois étoiles et il lui faut patienter vingt-quatre ans pour en coudre une quatrième (1994), puis une cinquième (2002). En l’absence du moindre texte législatif, une incongruité quand on sait comment la Fifa aime tout réguler, la tradition fait loi.

En juillet 1982, la Nazionale italienne gagne un troisième Mondial et patiente jusqu’à décembre pour sacrifier à son tour à l’atavisme des trois novas. Même chose avec l’Allemagne(1), qui attend l’Euro 96, soit six ans après son troisième sacre mondial, pour afficher sa troisième étoile.

D’autres pays n’auront pas cette pudeur levantine. Dès 1992, l’Uruguay, double championne du monde dans la première partie du XXe siècle, arbore non pas deux mais quatre étoiles sur son maillot. La Céleste fait valoir qu’elle a gagné les deux tournois olympiques (1924 et 1928) qui précédaient la création de la Coupe du monde et qu’en conséquence on pouvait la créditer de quatre succès planétaires. Spécieux mais efficace. Au bout d’un long processus, la Fédération internationale finit de guerre lasse par s’en désintéresser et laisse les Sud-Américains brandir leurs quatre étoiles.

Transgression française

Ce vide juridique va profiter à d’autres. Les premiers à s’en saisir ? Les Français remixent la table des lois. A peine deux mois après leur sacre du 12 juillet 1998, les Bleus jouent avec une étoile au-dessus du coq, le 5 septembre contre l’Islande. Une forme de mépris des usages mais également une manière avérée de vendre des maillots et de signifier au reste du monde que la France s’est invitée au festin des géants. Vainqueurs du Mondial 1998 et de l’Euro 2000, les Bleus se présentent en immenses favoris à l’édition suivante en Corée du Sud et au Japon. Pour l’occasion, Adidas, leur équipementier, a vu les choses en grand et en déraisonnable. Des films publicitaires voient Zidane, Barthez ou Desailly déclamer des vers de Rudyard Kipling et surtout des panneaux publicitaires montrent à travers l’Hexagone des internationaux français en plan américain avec un maillot flanqué d’une deuxième étoile. Message inconscient, pas la peine d’y aller, on a déjà gagné. On sait ce qu’il advint. En Asie, l’équipe de France ne marque pas un but et sort piteusement au premier tour.

La transgression française de la «première étoile» de 1998 a fait des émules. En 2005, les Anglais se sont souvenus qu’ils avaient gagné un titre près de quarante ans plus tôt et accolent une étoile à leur maillot, suivis par les Argentins l’année suivante, qui en cousent deux. La Roja espagnole arbore sa première étoile dès le soir de son triomphe sud-africain en 2010. Il y a quatre ans, Nike, qui habille les Bleus, n’avait pas voulu, fort de l’expérience d’Adidas en 2002, fabriquer en masse des maillots avec la deuxième étoile. Résultat, le «produit» avait été manquant pendant des semaines. Gageons qu’à l’heure d’affronter l’Argentine, Nike suit la même feuille de route. Le profil bas a toujours mieux réussi aux Français que la fatuité mal placée.

(1) Les titres de la Mannschaft (1954, 1974, 1990) ont été remporté par l’Allemagne de l’Ouest.