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Dissolution de groupes d’ultras dans le foot : une réunion ce jeudi pour apaiser les tensions

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Trois groupes de supporters, de Saint-Etienne et du Paris FC, restent sous la menace d’une dissolution agitée par Bruno Retailleau. L’Institut national du supportérisme se réunit ce jeudi 17 avril pour remettre la balle au centre. Décryptage.
Des supporters stéphanois dans leur stade de de Geoffroy Guichard, le 10 mai 2024. (Pierre Teyssot/Action Plus. Psnewz)
publié le 17 avril 2025 à 10h43

Après la guerre ouverte, place au dialogue ? Une réunion de l’Instance nationale du supportérisme, un organe créé en 2017, regroupant une cinquantaine de personnalités des ligues professionnelles, d’associations de supporters et des pouvoirs publics, présidée par la ministre chargée des Sports Marie Barsacq, doit avoir lieu ce jeudi 17 avril.

Début avril, trois groupes de supporters, accusés par le ministère de l’Intérieur de Bruno Retailleau de «violences graves», avaient rendez-vous place Beauvau dans le cadre d’une procédure de dissolution. L’un d’eux, Légion X, un groupe de la capitale, est toujours concerné. Les deux autres groupes ultras historiques de Saint-Etienne, les Magic Fans et les Green Angels, ont bénéficié d’un sursis. Mais les raisons, la méthode et le timing ont sidéré le milieu des tribunes, qui redoutent d’autres actions du genre.

Quelle est l’origine du conflit ?

Les premières secousses ont eu lieu fin 2024. Le milieu ultra entend des rumeurs émanant de la place Beauvau, après plusieurs épisodes médiatisés de violences dans les stades depuis le début de saison. Le ministère de l’Intérieur ciblerait entre 8 et 9 entités ultras, susceptibles d’être ciblées par une procédure de dissolution. En mars, les choses se précisent, le Parisien informe que cinq groupes sont bel et bien dans le viseur du gouvernement. Le 29 mars, Bruno Retailleau met la menace à exécution : le ministre saisit la commission nationale consultative de prévention des violences lors des manifestations sportives. Première étape avant de proposer la dissolution. Trois groupes sont concernés, «à l’origine depuis plusieurs années de nombreux actes de violence d’une extrême gravité», justifie le ministère de l’Intérieur.

Qui sont les groupes ultras ciblés et que leur est-il reproché ?

Deux d’entre eux sont stéphanois : les Magic Fans et les Green Angels (Saint-Etienne). «Entre 2021 et 2025, les Greens Angels se sont rendus coupables de 10 faits de violence grave» et les Magic Fans de 13, entre 2020 et 2024, selon Beauvau. L’un des incidents majeurs reprochés s’est déroulé en mai 2022, lors du barrage retour d’accession à la Ligue 1 entre l’ASSE et Auxerre. La défaite des Verts avait entraîné un envahissement de terrain, accompagné de jets de pétards et de fumigènes. Les forces de l’ordre ont alors pénétré sur le terrain et fait usage de gaz lacrymogènes pour disperser la foule. Bilan : plus d’une trentaine de blessés dont deux joueurs auxerrois dans le stade à l’issue de la partie, et «des centaines de milliers d’euros de dégâts pour la collectivité», écrivent les autorités. Un acte qualifié «d’une particulière gravité constitutif de dégradations de biens, de violence sur des personnes» dans le courrier envoyé le 10 mars par le ministère de l’Intérieur aux groupes.

Le club avait été plusieurs fois sanctionné cette saison-là par la commission de discipline de la Ligue de football professionnel pour le comportement de ses supporteurs. Parmi les interpellés, des dirigeants de l’association «dont certains étaient interdits de stade», précise la missive. «La situation s’est calmée, les groupes ont changé de direction. Sanctionner pour ces faits trois ans après, collectivement, cela n’a aucun sens, estime un leader de groupe ultra de L1, sous couvert d’anonymat. Là on est pas dans le cadre de sanctions individuelles, mais dans le «frapper fort et que ce soit visible»»

Quant à la Légion X, qui se dit affiliée au Paris FC, en Ligue 2, «il ne s’agit pas de supporters du Paris FC», a nié Pierre Ferracci, le président du club. «Ils se sont signalés à nous en créant de graves incidents (en marge du match contre Rodez) en agressant un groupe d’Ultras Lutetia, avec qui le club entretient les meilleurs rapports», explique Ferracci. Lors de cette soirée, quatre personnes avaient été blessées à l’arme blanche, dont deux très grièvement.

Selon les spécialistes interrogés par Libé, ces groupes ne présentent pas les mêmes caractéristiques. Les Magic Fans et les Green Angels, respectivement apparus en tribunes en 1991 et 1992, gèrent ensemble plus de 15 000 membres des kops sud et nord du Chaudron stéphanois.

«Il faut bien faire la différence entre un groupe historique [comme les Magic Fans], qui fait des actions de solidarités, organise des animations et soutient son club de manière passionnelle, et de l’autre côté, un groupuscule [Légion X] récent qui compte à peine une dizaine d’éléments et se fait uniquement connaître dans quelques épisodes de violences», développe Sébastien Louis, historien spécialiste du supportérisme, auteur du livre Ultras, les autres protagonistes du football.

Où en est la procédure ?

Pour Légion X, Bruno Retailleau va «proposer au Premier ministre» la dissolution. Il revient désormais à Matignon d’enclencher la procédure de dissolution. Les deux entités stéphanoises, elles, écopent d’un simple sursis. Autrement dit : en cas de nouveaux actes de violences identifiés par les autorités, les mêmes groupes pourraient se retrouver dans le même pétrin. «Pendant la commission consultative, ils ont très bien vu que les dossiers étaient vides. Ils n’avaient pas d’éléments suffisants», avance auprès de Libé le député Sacha Houlié, co-auteur avec Marie-George Buffet en 2020 d’un rapport sur «les interdictions de stade et le supportérisme». «Le sursis, ils n’ont pas le choix : s‘ils abandonnent la procédure, on dira que c’est parce qu’ils l’ont conduite n’importe comment. Ce sera un camouflet», analyse l’ancien macroniste, aujourd’hui affilié à aucun parti.

En attendant, les dirigeants stéphanois doivent bientôt retourner à Paris pour être à nouveau entendus par les ministères de l’Intérieur et des Sports, «afin d’examiner les garanties que ceux-ci sont en mesure d’apporter pour assurer un retour effectif au calme et la fin des violences», expose Beauvau.

Pourquoi maintenant ?

Selon des chiffres du ministère de l’Intérieur, 558 interpellations ont été réalisées en marge de rencontres de football professionnel depuis le début de la saison, en hausse de 41 % par rapport à l’année dernière. Or le timing du bras de fer, à un moment où ces violences étaient de moindre ampleur, a sidéré les acteurs des tribunes. Pour Sébastien Louis, le ministre de l’Intérieur «fait un coup politique». Bruno Retailleau, en pleine campagne pour prendre le parti Les Républicains, avec un œil sur la présidentielle 2027, «veut afficher une image de fermeté», un peu comme il a procédé dans la récente brouille diplomatique avec l’Algérie. «S’en prendre aux groupes ultras, c’est la solution de facilité».

Parce que le ministre de l’Intérieur entretient auprès de l’opinion publique la confusion entre deux réalités : celle des hooligans et celle des ultras. Chez les premiers, «la violence est l’intérêt principal», expose Sébastien Louis. Chez les seconds, «le but est d’aller au stade, de soutenir de manière colorée et organisée leur équipe». L’expert assure que «la violence n’est pas du tout centrale dans leurs pratiques». Elle représente «à peine 1 % de leurs actions, même moins», mais elle peut «parfois» apparaître comme «un moyen de résoudre des conflits dans cette sous-culture juvénile». En s’attaquant aux ultras, qui sont de manière récurrente dans le viseur des autorités, «il peut facilement montrer son image de fermeté», poursuit notre chercheur. «Or c’est un monde qu’il ne connaît pas du tout.»

Quelles conséquences auraient la dissolution de ces groupes ?

Les ultras étant les interlocuteurs identifiés par les clubs et les autorités locales, leur disparition couperait des voies de dialogue. «A travers ces groupes, nous avons une hiérarchie qui permet d’encadrer des personnes potentiellement violentes, décrypte Sébastien Louis. Si elles se retrouvent sans groupes, elles pourraient être tentées d’organiser des groupes de hooligans. Cela ne s’est jamais vu à Saint-Etienne, justement grâce aux groupes ultras, qui les ont toujours refusés», contextualise l’historien.

Le foot français a déjà connu des dissolutions par le passé. La première en 2008, (les ultras parisiens des Boulogne Boys et un groupe indépendant, la faction Metz), la plus récente en 2022. Si elles ont contribué à apaiser un temps la situation, elles n’ont jamais eu les effets escomptés sur le long terme. Les procédures ont souvent envenimé le climat, et déplacé les violences d’une tribune à l’autre, ou à l’extérieur des enceintes.

Dans le cas actuel, «s’il continue à y avoir un durcissement de la répression, on risque d’avoir un mouvement plus underground dans le futur», anticipe notre interlocuteur ultra. Selon lui, il y a même fort à parier que des groupes «s’adaptent», et «s’auto-dissolvent» pour se protéger, «s’il faut en arriver là».