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Equipe de France : Didier Deschamps parti pour rester

Aux manettes depuis dix ans, le sélectionneur, en position de force après les performances des Bleus au Mondial qatari, voudrait voir son mandat s’étirer plus loin que l’horizon de l’Euro 2024.
Le sélectionneur des Bleus, Didier Deschamps, à Doha le 13 décembre. (Franck Fife /AFP)
publié le 5 janvier 2023 à 16h07

Le président de la Fédération française de foot (FFF), Noël Le Graët, escomptait bien rendre l’affaire publique samedi pour l’Assemblée générale de l’instance faîtière : la prolongation de contrat du sélectionneur des Bleus, Didier Deschamps, jusqu’à l’Euro 2024 et les acclamations qui vont avec. Un double parfum d’éternité. Deschamps est en place depuis 2012, ce qui fait de lui le sélectionneur le mieux installé parmi les trente premières nations à émarger au classement Fifa. Alors que son président tient la barre depuis 2011 et bien plus encore, le Breton étant dans le paysage à des titres divers (poste à la Ligue pro, chargé des questions économiques…) depuis la nuit des temps.

Il semble pourtant qu’il faille attendre. «Pour avoir sauvé par ses résultats sportifs au Qatar une fédération dans un état déplorable, Deschamps est en position de force, explique une source fédérale. Et il pose ses conditions.» En haut de la pile : la tête de la directrice générale, Florence Hardouin. Celle-ci a eu l’indélicatesse de rendre visite en Suisse, cet automne, à Alain Migliaccio, agent d’un Zinedine Zidane qui rêve du poste mais qui a refusé de recevoir en personne Hardouin. Celle-ci ayant préalablement tenté de saper la réputation de l’adjoint de Deschamps, Guy Stéphan, auprès de certains médias et des joueurs eux-mêmes. Même si ces derniers ont tendance à s’en foutre, le sélectionneur a décidé de tirer l’échelle. Il a aussi réclamé un contrat courant jusqu’à 2026 et le Mondial nord-américain, ce qui lui donnera un horizon plus lointain que celui de son président dont le mandat s’étire jusqu’en décembre 2024.

Le Graët n’en ferait pas un casus belli, d’autant que le début des éliminatoires pour le Mondial 2026 l’obligera – pour peu qu’il aille au bout de son mandat au grand dam de la ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castéra – à nommer ou confirmer un sélectionneur après l’Euro allemand. Mais le Breton rencontre de vives résistances sur le sujet au sein de l’institution.

Poisson-pilote de Zidane

Bref : Deschamps devrait rester, mais il y a quelques détails à caler. Où que l’on se tourne, pas l’ombre d’un débat au sein de l’instance, et même dans le milieu, sur le maintien du champion du monde 2018 et récent finaliste du Mondial qatari. On a bien entendu voilà dix jours l’ancien international tricolore et ex-chroniqueur sur Canal + ou RMC Christophe Dugarry contester le caractère quasi mécanique de la reconduction d’un Deschamps qui est rentré dans la feuille de route fédérale le soir de la victoire des Bleus contre la sélection anglaise (2-1) en quart de finale le 10 décembre. L’avis général est que Dugarry est parti de trop loin.

Sur la forme, Dugarry est depuis des années le poisson-pilote de Zidane, permettant au maestro de se mouiller a minima médiatiquement tout en installant des perspectives qui vont dans le sens de l’ex-numéro 10 des Bleus. S’il a plaidé sa bonne foi, celle-ci n’est pas incompatible avec l’amitié qui le lie à son ancien coéquipier en bleu ou aux Girondins de Bordeaux. Sur le fond, mettre sur la table «les quatre-vingts premières minutes de la finale perdue contre l’Argentine» est un prisme un peu serré, l’équipe de France ayant gagné, avant la finale, des matchs à couper le souffle et les adversaires ayant aussi, à un moment, les capacités d’exister. Sur le fond toujours, le «comment on joue ?» de Dugarry, résurgence d’un éternel débat sur le style que les détracteurs de Deschamps jugent flou, n’a pas empêché les Bleus de pointer à 2,5 buts par match lors des tours à élimination directe de la Coupe du monde. A titre de comparaison, les Croates (troisièmes du Mondial) sont à 0,75, les Marocains (quatrièmes) à 0,5 et ces deux sélections s’offrent des bains de foules interminables depuis quinze jours.

Sentiment d’immobilisme

Dans le détail, il n’est pas interdit de voir dans la méthode Deschamps – prédominance de l’adaptation à l’adversaire et de l’aspect mental ou guerrier, pour faire simple – une adéquation avec le format d’une phase finale sur quatre semaines où l’intensité et le sens du moment valent infiniment plus qu’une doxa tactique qui a expédié les sélections allemande ou espagnole par-dessus bord au Qatar. Demeure cependant un sentiment d’immobilisme, parfois vécu douloureusement en interne.

Tout comme l’appropriation d’une équipe de France censément pensée comme un bien commun mais confisquée par le même duo Deschamps-Le Graët pendant plus d’une décennie. Sur l’aune d’un point de vue unique : le résultat. Or il n’est pas interdit de penser que les Bleus peuvent gagner autrement.

Les Bleus ont aussi un problème d’image. Lors de la renégociation des droits télé en juin, un match leur rapportait 2,85 millions contre 3,5 millions l’unité auparavant, M6 ayant entre-temps abandonné le terrain au seul TF1. Au-delà, la crise des vocations des bénévoles ou des arbitres dans les rangs amateur comme le triste spectacle (accusations de harcèlement moral ou sexuel, arbitrage phagocyté par le monde pro…) proposé par une FFF frappée par un audit ministériel auraient peut-être commandé d’ouvrir la fenêtre. Pour l’heure, on devrait s’en tenir là.