On s’est pointé à l’Allianz Arena de Munich comme on se rend à un pince-fesses respirant l’entre-soi et l’aisance, loin du tumulte d’un Euro qui voit des équipes rangées au-delà de la quinzième place au classement Fifa (les Slovaques, Suédois, Ecossais, Macédoniens, Finlandais, Autrichiens, Gallois…) jouer un football enragé, comme si c’était la toute dernière chose qu’elles devaient faire ici-bas. Les champions du monde tricolores et les Allemands évoluent dans les mêmes clubs, ils étaient millionnaires à 23, 24 ans (ou le seront) pour les moins précoces et la jauge à 14 500 spectateurs – 22 % de la capacité totale, pandémie oblige – a installé dans les gradins quelque chose d’assourdi, inhabituel à ces altitudes.
On était bien. Dans le moelleux. Le président de l’Union européenne de football, Aleksander Ceferin, avait choisi Munich plutôt que Budapest où les Portugais ont mis une rouste (3-0) à des Hongrois que les Bleus rencontreront samedi après-midi : entre les instances et des sélections pareilles, il n’y a pas loin. Dans ce contexte, augmenté de la nécessité d’entrer de plain-pied dans une compétition longue, la Mannschaft et ses hôtes ne pouvaient pas déchoir. La victoire tricolore (1-0) prend ainsi une immense valeur, non pas sur le plan comptable (qui peut croire que les Bleus sortiront au premier tour ?) mais sur le plan du jeu, puisqu’ils ont tous été bons, durs et concernés. Et sur le plan symbolique : ils ont trôné au faîte de ce Rotary Club européen qu’était la partie de manivelle de mardi soir.
Praline de Kylian Mbappé
La rencontre a commencé par un fait hallucinant : 3′02′' de possession allemande entrecoupées d’un petit pointu du milieu des Bleus N’Golo Kanté en touche, 3′02′' de «à toi, à moi» sans qu’un tricolore s’en émeuve (ça se passait loin du but d’Hugo Lloris), avant que Toni Kroos ne se décide, enfin, à mettre un centre dans la surface de réparation tricolore. C’est long, 3′02′', vu des tribunes. C’est assez facile, aussi. Et là, on a compris : Kroos et compagnie étaient là pour se faire des passes. Un remake du France-Allemagne de l’Euro 2016 (2-0), des deux Allemagne-France de Ligue des Nations qui ont suivi (0-0, 2-1), du Bayern Munich-Paris-SG de cet hiver (2-3, en quart de finale aller de Ligue des champions) : des passes, des centres arrêtés (parce qu’à force de se faire des passes, la vitesse de projection vers l’avant disparaît), encore des passes, encore des centres. Arrêtés.
Les Bleus, eux, jouent. Une tête de Paul Pogba à quelques centimètres du cadre sur un corner (16e), une praline de Kylian Mbappé dans la foulée détournée par le gardien allemand Manuel Neuer (17e), un but contre son camp du revenant Mats Hummels sur une action boutiquée par les deux latéraux, Benjamin Pavard et Lucas Hernandez, et agrémentée d’une louche bizarre de Pogba (0-1, 20e) : un zéphyr sur une mer d’huile. Du coup, on a le temps de savourer les filouteries de Lucas Hernandez, toujours à l’initiative de l’embrouille mais qui sort systématiquement avec le coup franc, les félicitations du jury et, parfois, la biscotte (jaune) pour l’adversaire qu’il a emmené vers les limites.
Sacré défenseur, donc. Mbappé préfère temporiser plutôt que mettre le turbo pour exploser une défense allemande aux abois (42e), le défenseur allemand Antonio Rüdiger mord Pogba, un truc auquel même Lucas Hernandez n’aurait pas pensé dans sa chambre des tortures : 1-0 à la mi-temps pour les champions du monde en contrôle. Au retour des vestiaires, Antoine Griezmann plaisante avec un juge de touche.
Protocole commotion pour Pavard
Les Allemands font alors ce qu’ils auraient dû faire depuis le départ : durcir le jeu. Et aller chercher cette fichue limite que Lucas Hernandez maîtrise si bien. Des tribunes, on a d’abord vu des duels autrement intenses, des Bleus un peu pris par le tempo. A la 58e, Robin Gosens envoie un coup de genou dans la mâchoire de Pavard, qui en est quitte pour un protocole commotion : ça brûle. Quelque chose frappe : alors que le règlement autorise désormais cinq changements (en trois fois), le sélectionneur des Bleus Didier Deschamps laissera les mêmes jusqu’au bout ou presque (premier remplacement à la 90e) se dépatouiller du truc, comme s’il voulait marquer la frontière. Et faire en sorte que les joueurs traversent cette tempête-là ensemble, pour créer quelque chose entre eux.
Les Bleus se débarrassent alors du superflu, c’est-à-dire du souci de construction offensive. Mbappé traîne quand même souvent aux avant-postes, au cas où. Et c’est lui qui va passer à un souffle d’écrire la très belle histoire du jour : une passe cadeau pour Benzema, qui n’a plus qu’à pousser le ballon dans le but vide avant de voir toute l’équipe de France lui sauter dans les bras (85e). Hors-jeu. L’attaquant madrilène en mettra ou en manquera d’autres. L’Euro 2021 des Bleus est parti pour durer.