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Euro 2021 : comment les Bleus en sont arrivés là

Euro de football 2020 (en 2021)dossier
Du rappel surprise de Karim Benzema à l’élimination inattendue contre la Suisse, les Bleus ont vécu un mois compliqué marqué par une préparation physique et tactique douteuse, des polémiques futiles et une cascade de blessures.
Olivier Giroud et ses coéquipiers français après leur défaite face à la Suisse en huitième de finale de l'Euro à Bucarest ce lundi. (FRANCK FIFE/AFP)
publié le 29 juin 2021 à 13h31

L’équipe de France ne fera donc pas le doublé Coupe du monde-Euro, comme l’Espagne il y a une décennie. Evincés par la Suisse – pourtant sortie troisième des poules – dès les huitièmes, les hommes de Didier Deschamps mettent un terme à une aventure d’un mois et deux jours. Non sans péripéties, qui peuvent expliquer en partie pourquoi cette équipe cinq étoiles sur le papier a flanché si tôt.

Le rappel inespéré de Benzema

Après avoir écouté Didier Deschamps prononcer le nom de Karim Benzema sur le plateau du 20 heures de TF1, bien peu auraient misé sur un adieu bleu dès le stade des huitièmes de finale. La rumeur de la sélection de l’attaquant du Real Madrid, aussi inattendue qu’inespérée après plus de cinq ans de mise au ban en équipe de France, embrase autant les fervents supporteurs tricolores que l’échiquier politique, déchiré sur le cas du Français.

De l’annonce de son retour naissent deux postures. L’optimiste : l’association du Madrilène sur le front de l’attaque avec Antoine Griezmann et Kylian Mbappé va enfin devenir réalité. Si les Bleus ont pu remporter le Mondial russe sans Benzema, l’Euro ne devrait plus être qu’une formalité, avec un autre des meilleurs attaquants au monde. La pessimiste : le come-back de «KB9» risque de perturber la belle harmonie, en bousculant l’organisation sur le terrain, où ses partenaires s’étaient habitués à Giroud depuis longtemps.

Plusieurs questions posées sur le moment restent en suspens : pourquoi Deschamps a-t-il finalement décidé de rappeler Benzema ? Et pourquoi à quelques encablures de l’échéance ? Le sélectionneur se lance un défi : il a deux matchs amicaux – qui ont valeur de rencontres décisives – devant lui pour mesurer la capacité de réintégration du Français dans ses plans.

Le Pays de Galles, tour de chauffe avorté

Comment juger du véritable niveau d’une troupe quand on joue les trois-quarts d’une partie contre une équipe amputée d’un joueur ? C’est peu ou prou la question que posait l’équipe de France à l’arbitre de la rencontre, quand celui-ci décide d’exclure le défenseur gallois Neco Williams dès la 26e minute, pour une main dans la surface. Le score est alors de 0-0. Les Bleus s’imposent de deux buts (2-0). Impossible d’en tirer quelconque enseignement, si ce n’est des phases prometteuses à l’avant et au milieu, atténuées par le manque d’ambition logique des derniers demi-finalistes de l’Euro français.

France-Bulgarie et la polémique Mbappé-Giroud

«Des ballons n’arrivent pas.» Quatre mots pour une belle controverse. Les Bleus auront nettement dominé la Bulgarie, mais l’épicentre des conversations qui allaient suivre se trouve ailleurs. Pourtant auteur d’un beau doublé après être entré en cours de jeu durant la seconde période, Olivier Giroud est interrogé sur son apparente discrétion en zone mixte après match. Agacé, l’avant-centre de Chelsea explique à la volée qu’il n’est pas bien servi. Cible implicite de ses critiques : Kylian Mbappé. Le lendemain à l’entraînement, la presse sportive rapporte une scène. Ou plutôt un échange, jugé glacial, de chasubles entre les deux partenaires.

La «com’» des Bleus a la bonne idée d’envoyer son prodige de 22 ans, réputé loquace, en conférence de presse qui précède la première journée contre l’Allemagne : «J’aurais préféré qu’il vienne [me le dire en face] et qu’il soit même beaucoup plus virulent.» Avant de balayer ces «broutilles» habituellement réservées aux vestiaires.

Peut-on toutefois parler de broutilles quand ledit vestiaire – et même si l’ambiance y est au beau fixe – a été en permanence divisé en deux. D’un côté, des remplaçants à garder dans le rythme en cas de défaillances de l’équipe A. De l’autre des titulaires à ménager en vue des échéances. Et qui de mieux qu’Olivier Giroud pour illustrer cette scission. Après cet écart, le deuxième meilleur buteur des Bleus ne grappillera que quelques minutes de jeu jusqu’à son entrée lundi soir contre la «Nati».

Face à la Mannschaft, un triomphe de haute volée

En repartant de Munich victorieux sur une courte marge (1-0), les Français ont rempli deux missions. Un : ils montrent que tout le brouhaha ambiant n’entache en rien leurs performances sur le terrain. Deux : ils semblent retrouver l’identité qu’ils avaient acquise sur la fin du Mondial russe. Un jeu bâti sur une défense impériale, avec des contres rapides et beaucoup de rigueur dans les duels. Et de la souffrance face à des Allemands qui comptaient jouer «sale» pour faire dérailler l’entrejeu français. Irréprochables dans les attitudes, capables de rendre les coéquipiers de Joshua Kimmich inoffensifs malgré des assauts répétés devant les cages d’Hugo Lloris (un seul arrêt à effectuer), on pense alors les Bleus lancés.

Coup de froid sous la canicule hongroise

Il fallait bien expliquer au téléspectateur comment les Bleus ont pu déjouer à ce point au stade Puskas de Budapest. En bon capitaine, Antoine Griezmann s’y est essayé : «C’était un match compliqué, avec une chaleur incroyable, il faisait super chaud, les Hongrois ont très bien joué, bien défendu. C’était difficile à jouer [en raison des conditions] mais c’était pareil pour les deux équipes.» Le programme préparatoire concocté par l’encadrement à Clairefontaine fin mai – un cocktail corsé courses-cardio-endurance – devait permettre d’éviter ces coups de mous. Sur le pré, il n’a pas eu le rendement escompté.

L’autre interrogation concerne les séances d’entraînements intensives pour les remplaçants, sous 35 degrés en lendemain de match. Pas sûr que les organismes des joueurs, quasiment tous cadres dans leur club respectif et donc fortement mobilisés durant une saison déjà bien chargée pour cause de Covid, aient apprécié.

A ce moment précis, Griezmann and co pensent à leur trajectoire en Russie, il y a trois ans. S’obstinent à croire qu’il en sera de même en 2021. Sauf que pour ce dernier match de poule et à la différence de 2018 quand il avait fait tourner l’effectif contre le Danemark en phase de poules du Mondial, Deschamps ne fait pas tourner. Ou si peu. Les piliers ont pourtant avalé les kilomètres. Face aux Allemands, seuls deux joueurs sont sortis, aux 89e et 90e minutes. Une gestion curieuse des troupes qui va avoir des conséquences immédiates.

Le Portugal et les blessures

Au moment de coucher ses 26 noms sur le papier, le sélectionneur bénéficiait de l’embarras du choix : tous les prétendants exceptés Ferland Mendy et Anthony Martial ne pouvaient prétendre intégrer le groupe en raison de pépins physiques. Puis, l’état des troupes s’est dégradé au fil des matchs. La cheville d’Adrien Rabiot en ouverture, le genou de Lucas Hernandez en Hongrie ont été une première alerte. Sans omettre l’énorme tampon subi par Benjamin Pavard, dont bon nombre d’observateurs peinaient à comprendre pourquoi le défenseur du Bayern n’a pas été sorti par le staff français dans le cadre de la mise en place du protocole commotion cérébrale. L’hécatombe intervient entre la Hongrie et le huitième face aux Helvètes. Cinq pépins en moins de dix jours. Victime d’une grave blessure à une cuisse, le forfait d’Ousmane Dembélé est acté avant le troisième match de groupe.

Malgré tout, les Bleus se sortent du piège portugais (2-2) et terminent premier de leur groupe. Sans convaincre. Non sans encombres. A peine entré en lieu et place d’Hernandez, Lucas Digne se retrouve aussitôt mis sur le carreau à Budapest. Le lendemain à l’entraînement, Marcus Thuram se blesse à l’adducteur droit, et Thomas Lemar subit un coup très douloureux au pied gauche.

Anéantis par la Suisse

Résultat des courses : Deschamps se retrouve sans arrière-gauche de métier. Opte pour Rabiot sur le poste. Et bouleverse son schéma tactique à maintes reprises, choisissant même d’aligner certains joueurs à des postes inhabituels (Jules Koundé et Corentin Tolisso sur le flanc droit) face au Portugal.

Contre la bande à Xherdan Shaqiri, il laisse tomber son 4-3-3 pour un 3-5-2 inhabituel – pour ne pas dire risqué dans un match à élimination directe – pensant assurer derrière tout en laissant les trois étoiles filer devant. Mais à trop vouloir innover et sortir de son conservatisme, Deschamps s’est brûlé, ses joueurs avec. Ils ont semblé perdus dans un système déséquilibré, avec lequel ils étaient peu familiers. Deschamps changera avec un 4-4-2 en seconde période, mais 45 minutes de perdues dans un tel contexte, c’est bien trop.

Impériale et rassurante face à l’Allemagne, de plus en plus fébrile au fil des matchs (cinq buts encaissés sur les deux derniers matchs, six sur tout le Mondial 2018), la défense des Bleus aura finalement eu raison de leur destin dans cet Euro. Après l’élimination, Deschamps a résumé à quel point 2018 était loin, lucide et philosophe au micro de TF1 : «On est du mauvais côté, il faut l’accepter même si ça fait mal. Il faudra le temps de digérer mais c’est sans doute qu’on ne méritait pas plus. C’est le foot, ça reste du foot quand même.»