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Récit

Euro 2024 : Gareth Southgate, entraîneur anglais mis en boîte d’ennui

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Le sélectionneur des Three Lions, qui affrontent les Pays-Bas à Dortmund ce mercredi 10 juillet en demi-finale de l’Euro, est la cible récurrente des critiques d’une partie de la presse et du public anglais qui lui reprochent un jeu insipide. Mais le coach a des résultats qui parlent pour lui.
Gareth Southgate lors du match contre la Suisse le 6 juillet. (Thanassis Stavrakis/AP)
publié le 10 juillet 2024 à 8h59

«Peu importe à quel point tu trouves que les Français jouent mal ce soir, sache que les Anglais feront encore pire demain.» C’est un journaliste britannique qui nous avait prévenus, vendredi 5 juillet, alors qu’on s’ennuyait ferme devant le quart de finale finalement victorieux des Bleus contre le Portugal, dans la salle de presse de la MHP Arena de Stuttgart. Notre confrère n’avait pas totalement raison : les Three Lions se sont qualifiés le lendemain contre la Suisse, aux tirs au but eux aussi, et ils ont marqué, eux, contrairement, aux joueurs de Didier Deschamps. Mais il n’avait pas totalement tort non plus : à Düsseldorf, les Anglais ont livré une nouvelle prestation médiocre, sans un seul tiré cadré pendant les quatre-vingts premières minutes de la rencontre, et la saillie de notre plaisantin de voisin en dit beaucoup sur la frustration ressentie par une partie de la presse et du public anglais à l’égard du jeu proposé par la sélection nationale.

L’Angleterre, cependant, est en demi-finale de l’Euro, contre les Pays-Bas qu’elle affronte ce mercredi 10 juillet à Dortmund. Mais elle n’a cessé de décevoir, depuis le début de la compétition : un premier tour marqué par des performances indigestes contre le Danemark (1-1) et la Slovénie (0-0), une qualification miraculeuse contre la Slovaquie en huitième de finale (avec une égalisation dans le temps additionnel), et ce match contre la Suisse, donc. Pourtant, l’entraîneur Gareth Southgate compte dans ses rangs une flopée de garçons de classe mondiale, à l’image de Phil Foden (Manchester City), Jude Bellingham (Real Madrid) et Harry Kane (Bayern Munich) – les deux premiers ont respectivement été élus meilleur joueur des dernières éditions des championnats anglais et espagnol, et le troisième a terminé meilleur buteur de la Bundesliga allemande.

«Les joueurs sont comme des âmes perdues»

Le réservoir offensif est si riche que le coach s’est permis le luxe de se passer d’attaquants de la trempe de Jack Grealish (Manchester City) et Marcus Rashford (Manchester United), réputés dans toute l’Europe mais pas même convoqués en Allemagne. Avec un tel effectif, le niveau de jeu affiché outre-Rhin par les Three Lions ne passe pas auprès d’une partie des supporteurs, qui ont balancé des gobelets de bière en direction de Gareth Southgate à l’issue du match nul contre la Slovénie et le tournent en ridicule sur les réseaux sociaux. Ni auprès des experts foot sur les plateaux de télévision. Eux aussi s’en prennent à l’entraîneur de 53 ans, accusé de s’obstiner dans ses choix tactiques et de ne pas donner leur chance à certains joueurs, comme le jeune attaquant de Chelsea Cole Palmer.

«Southgate n’arrive tout simplement pas à tirer le meilleur parti des meilleurs joueurs anglais», a attaqué l’ex-international Alan Shearer, désormais consultant pour la BBC. «Sur le terrain, les joueurs sont comme des âmes perdues. Je suis sûr qu’on leur a dit ce qu’il fallait faire mais l’ont-ils compris ? Ils jouent dans un style qui leur est étranger», a insisté dans un épisode de son podcast Gary Lineker, star des Three Lions au temps des eighties. Cette petite musique critique, le numéro 10 Jude Bellingham l’avait déplorée face aux journalistes dès le début du tournoi. «En général, avec notre équipe, il y a toujours un discours négatif autour de nos matchs», observait-il après la victoire contre la Serbie (1-0), pour l’entrée en lice des Anglais.

«Gareth Southgate ne se sent pas aimé»

Gareth Southgate s’en agace, lui aussi. En conférence de presse, il prend chaque fois la défense de son groupe, mais tique, régulièrement, quand on l’interroge sur le style de jeu de son équipe ou les tirages au sort prétendument chanceux dont elle bénéficierait. «Il est tendu, plus que lors des compétitions précédentes. Il ne se sent pas aimé, confirme Jacob Steinberg, qui suit la sélection pour le quotidien The Guardian. C’est vrai que les experts l’ont beaucoup critiqué, et il y avait des critiques justes, parce qu’on ne peut pas défendre la manière dont les Anglais ont joué jusque-là. Mais les journaux papier l’ont davantage soutenu. On l’aime bien, même s’il ne le ressent peut-être pas comme ça

Après trois ans comme sélectionneur des Espoirs anglais, Gareth Southgate a pris les commandes de l’équipe nationale en 2016, au lendemain d’une élimination humiliante contre l’Islande en huitième de finale de l’Euro en France. En huit ans, il a hissé son pays en demi-finale de la Coupe du Monde 2018 en Russie, en quarts de finale de l’édition qatarie quatre ans plus tard et, entretemps, à la finale de l’Euro à Londres en 2021, perdue aux tirs au but contre l’Italie.

Un bilan plus qu’honorable pour un pays qui n’a plus rien gagné depuis la Coupe du Monde 1966. Pas de quoi lui épargner les quolibets, pourtant. «Que nous ayons un style de jeu prudent et pragmatique, cela ne fait aucun doute. Mais Gareth Southgate voit cette manière de jouer comme la meilleure manière d’aller en finale. Il a sans doute raison, puisque nous sommes en demi-finale», commente Tom Barclay, journaliste pour The Sun, depuis Blankenhain, en Thuringe, où les Anglais résident pendant la compétition.

Dernière chance

Par bien des manières, cette équipe d’Angleterre, avec son effectif pléthorique et ses matchs insipides, avec les victoires étriquées qu’elle obtient et les critiques abondantes qu’elle encaisse, ressemble aux Bleus de Didier Deschamps. A une différence près : avec la Coupe du Monde 2018, le sélectionneur français a remporté un trophée qui lui confère une forme de légitimité de longue durée, presque un statut d’intouchable. Pour Gareth Southgate, dont le contrat s’achève en décembre et qui a déjà déclaré qu’il s’en irait «probablement» faute de victoire finale à Berlin, l’Euro allemand est sans doute la dernière chance de décrocher une telle récompense.

«Quoi qu’’il arrive, je serais très surpris s’il restait, vu ce qu’il s’est passé ces derniers mois. Il est fatigué et usé», note Jacob Steinberg. Mais la fin de l’aventure allemande déterminera ce qui restera, plus tard, du passage de Gareth Southgate à la tête de la sélection. Une qualification contre les Pays-Bas et les Three Lions disputeront pour la première fois de leur histoire une finale de tournoi majeur hors d’Angleterre. «Et si on gagne en finale, rigole Tom Barclay, ce sera une légende pour moi et pour beaucoup de monde, parce que l’Angleterre ne gagne jamais rien