C’était le premier choc de cet Euro 2024, et il a tourné largement à l’avantage des Espagnols. Au lendemain la promenade de santé de l’Allemagne contre l’Ecosse en match d’ouverture (5-1), la «Roja» s’est tranquillement imposée (3-0) contre la Croatie, ce samedi 15 juin, dans un stade olympique de Berlin plein à craquer (près de 69 000 spectateurs) et largement acquis à la cause des joueurs des Balkans, dont les supporters avaient déjà enflammé la veille les rues de la capitale. Duel entre deux grandes nations du football européen, l’affiche était aussi un classique, opposant deux équipes qui se connaissent par cœur. Confrontées l’année dernière en finale de l’absconse Ligue des nations (remportée par l’Espagne), elles s’étaient déjà retrouvées l’une contre l’autre lors des trois derniers Euros, avec un avantage de deux victoires pour l’Espagne - à chaque fois, des succès qui avaient éliminé les joueurs des Balkans.
Opposition de styles
C’était, enfin, une opposition de styles. D’un côté, l’expérimentée Croatie, finaliste de la Coupe du Monde 2018 contre la France puis demi-finaliste, quatre ans plus tard, au Qatar, qui mise sur la continuité et s’appuie sur la solidité de son milieu, au sein duquel rayonne l’éternel Luka Modric, 38 ans et 175 sélections en équipe nationale. De l’autre, une Roja qui n’a plus rien à voir avec celle qui marcha sur l’Europe et sur le monde au tournant de la décennie 2010 mais a retrouvé de l’ambition, portée par une nouvelle génération de (très) jeunes joueurs. Parmi eux, l’attaquant barcelonais Lamine Yamal, précoce et talentueux, devenu ce samedi, à 16 ans et 337 jours (!) le plus jeune joueur à jamais à avoir participé à un Euro.
La partie d’abord paraît indécise, fermée, tant les défenses semblent prendre le pas sur les attaques. Puis tout bascule à la demi-heure de jeu, en l’espace de quelques minutes. Mal alignée, la défense croate, qui avait si bien muselé jusque-là la vitesse des ailiers adverses, craque d’abord dans l’axe, laissant le capitaine espagnol Alvaro Morata se présenter seul face au gardien Dominik Livakovic et ouvrir le score. Quelques secondes plus tard, elle cède à nouveau face au milieu de terrain Fabian Ruiz, peu convaincant du côté du Paris Saint-Germain, où il évolue depuis deux ans. Deux grosses occasions manquées plus tard, la Croatie encaisse un troisième but, juste avant la mi-temps, sur une frappe à bout portant du défenseur du Real Madrid Dani Carvajal.
Tarif allemand
«Climatisés», comme on dit en football, les supporters croates, qui occupent près des trois quarts des tribunes, deviennent soudain silencieux, abattus. Trois buts à zéro à la mi-temps, c’est le tarif infligé la veille par l’Allemagne à l’Ecosse. Sauf qu’en face ce n’est pas une «petite» nation européenne - sans manquer de respect à la «Tartan Army» - mais une sélection composée de plusieurs joueurs qui évoluent dans les plus grands clubs européens (Real Madrid et Manchester City notamment), et peut raisonnablement être présentée comme un des outsiders de la compétition.
Certes, ce n’était pas une Croatie des grands soirs, maladroite, malchanceuse, trop tendre défensivement et incapable de réduire l’écart en deuxième période malgré des intentions offensives évidentes. Quand, à la 79e minute, l’attaquant Bruno Petkovic a raté un penalty, puis que le but qu’il avait inscrit dans la continuité de l’action a été invalidé par l’arbitrage vidéo, il a semblé clair que l’équipe au damier pourrait jouer trois heures sans marquer le moindre but, car rien ne lui réussissait.
Il n’en reste pas moins que le succès espagnol ressemble en tout point à une démonstration de force, propre à replacer la Roja sur la carte des favoris de la compétition. La veille, en conférence de presse, le sélectionneur Luis de la Fuente avait refusé d’épiloguer sur les objectifs de son groupe, se contentant d’un fade : «Ce que nous voulons, c’est être satisfaits de ce que nous avons fait.» Il ne pourra pas se cacher bien longtemps, si ses joueurs continuent sur cette lancée. Quant à la Croatie, elle est déjà en danger, dans un «groupe de la mort» qui compte aussi, outre l’Albanie, les champions en titre italiens. Au stade olympique de Berlin, les vainqueurs célèbrent la victoire avec leurs supporters, désormais plus bruyants que tous les Croates réunis. Hymne des supporters espagnols, le titre «Mi gran noche» du chanteur ibère Raphael envahit l’enceinte, et c’est comme si l’Espagne avait gagné aussi la bataille des tribunes.