On va appeler ça une crise de croissance. Samedi, leur succès (1-0 après prolongations face aux Néerlandaises), expédiait les Bleues en demi-finale de l’Euro, ce mercredi à 21 heures (1), contre la sélection allemande à Milton Keynes, en Angleterre. Quelques minutes après cette victoire, le président de la Fédération française de foot (FFF), Noël Le Graët, se précipitait devant les micros pour tirer les barbelés : «Les joueuses et Corinne [Diacre, la sélectionneuse, ndlr] sont très motivées et bien ensemble. Ça prouve que le foot féminin ne va pas trop mal !» Le mot-clef, c’est «ensemble». Trois années de déchirements, coups tordus, mises à l’écart tonitruantes et règlements de comptes par voie de presse ou autrement, avec la capitaine Wendie Renard qui va prendre Diacre entre quatre yeux deux jours avant le quart face aux Pays-Bas pour exiger – et obtenir – la réintégration de sa partenaire de club Griedge Mbock, pour sûr, ça joue «ensemble». Le foot féminin est sous les feux de la rampe et il faut s’en réjouir. On ne peut plus raconter n’importe quoi.
Injustice
Crise de croissance toujours : les Bleues auront pour cette demi-finale deux jours de repos de moins que les Allemandes et leur défense d’acier (0 but encaissé en quatre matchs, mais trois poteaux autrichiens en quart). C’est une injustice que l’on ne voit plus chez les hommes (avec une marge d’un jour à ce stade de la compétition). «Forcément, ça va changer quelque chose mais on n’a pas le temps de réfléchir, relativise l’attaquante Kadidiatou Diani. On sait que, dans une compétition, il y a toujours une équipe désavantagée. Aujourd’hui, ça tombe sur nous. On ne va pas prendre cela comme une excuse. On va tout donner.»
Justice toujours, avec une palanquée de fantômes ressuscités depuis une petite semaine et une information du Parisien : la milieu de terrain Aminata Diallo, mise en cause par Kheira Hamraoui dans la violente agression à la barre de fer dont cette dernière a été victime en novembre, n’a pas été conservée par le Paris-SG. Or, Diallo est très proche de Marie-Antoinette Katoto, Grace Geyoro ou encore Diani, qui disputent ou ont disputé (Katoto est blessée pour huit mois) ce championnat d’Europe anglais, certaines d’entre elles ayant même eu l’assurance que Diallo serait prolongée avant d’aller s’égayer sur les pelouses anglaises.
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La direction parisienne a évoqué des «raisons sportives», mais cet argument sent le paravent diplomatique à plein nez, d’autant que l’enquête sur l’affaire Hamraoui serait bouclée depuis la mi-mai. Autant dire que cette demi-finale est une échappée belle, une parenthèse exclusivement dévolue à la seule chose qui vaille – le jeu –, mais qui est appelée à se refermer dans quelques jours sur le sempiternel combat entre Diacre et les internationales lyonnaises (Sarah Bouhaddi, Eugénie Le Sommer, Amandine Henry, non retenues pour l’Euro) et ces raouts mondains où l’on se croise sans s’adresser la parole – pas même un bonjour, on en a été témoin.
Analyse
«On travaille pour des émotions comme ça»
Il faut donc profiter. D’une occasion rare, puisque les Bleues n’ont écarté à ce jour qu’une seule équipe bankable (et encore, puisque les championnes d’Europe en titre néerlandaises étaient ravagées par les blessures et le Covid). D’une équipe sans véritable faiblesse, à la gardienne de la Juventus de Turin Pauline Peyraud-Magnin près, un luxe dans un Euro où la plupart des sélections sont pleines de trous. Et du talent fulgurant de ses joueuses de côté, Delphine Cascarino à gauche et Diani à droite, l’emprise de cette dernière sur les matchs l’ayant conduite à réclamer lundi à Diacre par voie de conférence de presse la conservation de son poste d’ailière, la sélectionneuse pouvant être tentée de la recentrer – si Renard fait jouer les copines, Diani ne va pas se gêner non plus. Quand les joueuses passent devant les micros, c’est justement cette pleine conscience d’une opportunité à saisir qui frappe, le fameux plafond de verre effacé contre les Néerlandaises – pas un quart de finale remporté depuis dix ans et les Jeux de 2012 –, opérant dès lors comme une libération métaphorique, un élan.
«Ce qu’on a fait est énorme, analysait la milieu Charlotte Bilbault. Tout le monde nous attendait dans cet Euro. Dans le vestiaire, on était très, très contentes. On travaille pour des émotions comme ça, on a aussi envie de les transmettre aux gens qui travaillent pour nous, aux supporteurs, à tout le monde. Personnellement, j’ai faim et je pense que ça s’est vu sur le terrain contre les Pays-Bas. J’ai 32 ans, je suis en fin de carrière, j’ai envie de profiter du moment présent.»
«Ça fait quelques années qu’on a l’habitude de jouer ensemble, on se connaît toutes, a détaillé Diani. On connaît chacune le caractère des autres. Le plus important, ça a été cette sérénité et cette entraide durant les matchs, même si ça n’a pas toujours été facile. C’est important d’avoir une coéquipière pour nous dire les mots qui vont nous rassurer, nous aider quand on est un peu moins bien.» Une très vieille histoire qui prend racine au fond des âges et qui se réinstalle partout, tout le temps : si la défaite est un révélateur, la victoire est un ciment. C’est dire l’importance de ce qui va se tramer à Milton Keynes ce mercredi.
(1) Sur TF1 et Canal +