Joueur, déjà, Walid Regragui ne faisait rien comme les autres. Le futur coach du Maroc, 47 ans, a longtemps préféré les joutes dans la cité Montconseil, à Corbeil-Essonnes (Essonne), au club de sa ville. «Le foot de rue t’apporte l’intuition, le beau geste et les dribbles. J’ai dû faire 3 000 tournois en quatre ans… On se testait. Au début, on pariait du Coca et des gâteaux puis, en grandissant, de la maille. Chacun donnait 30 balles et l’équipe gagnante allait acheter des pizzas», disait-il à Libération en 2005. Jusqu’à un jour du milieu des années 90 où l’entraîneur de l’équipe première, qui débute dans la carrière, déboule à l’improviste. «Par hasard, je suis allé voir les juniors 3, et j’ai vu ce joueur longiligne, rapide, adroit, avec du tempérament, se rappelle Rudi Garcia, futur entraîneur de la Roma et de l’OM. Je me suis demandé ce qu’il faisait là. Je l’ai pris avec les seniors et il n’a plus quitté l’équipe. Il a fait deux saisons avec nous et il est parti voler de ses propres ailes.» En sept ans, Regragui passe d’une division à l’autre, de l’anonymat de la CFA 2, le cinquième échelon français, et des barres de Montconseil, à la Liga espagnole, à Santander, après des passages à Toulouse et Ajaccio. Son ouvrier de père rêvait qu’il turbine dans un bureau, il obtiendra un Deug en sciences économiques et sociales avant de gratter 45 sélections avec les Lions de l’Atlas.
«Il sait gérer les ego»
Sur un banc, sa carrière aura pareillement emprunté des chemins de traverse. En août dernier, dix ans après avoir débuté comme adjoint de l’équipe nationale, Walid succède à Vahid (Halilhodzic), viré comme un malpropre après la qualification. Une évidence au pays. «Il y avait un consensus autour de son nom. Comme entraîneur, il a gagné des titres partout au FUS Rabat [entre 2014 et 2020] comme au Wydad Casablanca [2021-22] où il a même pris la Ligue des champions africaine [en juin dernier]. Sa nomination aussi a permis le retour en grâce de Mazraoui, qui évolue au Bayern Munich, et Ziyech, à Chelsea, deux de nos meilleurs joueurs, qui étaient écartés par Halilhodzic. Walid a du charisme, il sait gérer les ego», promet Hicham Dmii, le cornac des Espoirs marocains.
Mondial 2022
Dix ans après avoir furtivement débuté comme adjoint de Rachid Taoussi à la tête des Lions de l’Atlas, le natif de Corbeil revient finir le travail sur la plus grande compétition qui soit, la Coupe du monde. «A Ajaccio, Walid montrait déjà son intérêt pour tous les aspects du métier : la tactique, les causeries, la gestion des hommes… Il a soif de savoir et connaît les ressorts dans la tête de ses hommes. Au Qatar, clairement, il les booste», pense savoir Rolland Courbis, son ancien coach. Cet après-midi contre l’Espagne, le Maroc jouera pour surpasser la meilleure performance de la sélection maghrébine (un huitième de finale en 1986) et égaler le meilleur parcours d’une équipe africaine à un Mondial (quart de finale pour le Cameroun, le Sénégal et le Ghana). Sortis d’un groupe qui comptait la Croatie, vice-championne du monde en 2018, et la Belgique, troisième du dernier tournoi, les Marocains ne craignent plus rien. «Walid travaille dur et son parcours lui a appris à ne pas se fixer de limites. Du coup, ses hommes sont préparés à l’exploit.»
Comme chez lui au Qatar
Lors de cette Coupe du monde au Qatar, toutes les équipes africaines ont aligné un entraîneur du continent, une première dans l’histoire. Regragui s’est placé d’emblée dans une double perspective, arabophile et continentale. «Nous, au départ, sans faire de politique, on va déjà parler football et on défend le Maroc et les Marocains. Ensuite, forcément, on est aussi Africains et on espère montrer que notre football a passé une étape. On a été souvent décriés par le passé. Sur cette Coupe du monde, n’importe quelle équipe africaine a rivalisé avec des équipes venues des autres confédérations», déclarait-il en conférence de presse.
Dans l’émirat gazier, le sélectionneur marocain est comme chez lui. En 2020, il est venu faire une pige d’une saison à Al-Duhail pour y glaner le titre national. «Le football est universel, on ne peut pas jouer qu’en Europe, poursuivait-il à l’adresse du monde. Il faut aller dans des zones à défricher. Pour un gamin arabe, avoir un pays comme le Qatar qui organise, ça te valorise, ça peut créer de l’espoir. L’engouement au Maroc est très fort, et dans les pays maghrébins, cela donne forcément envie d’organiser un jour la Coupe du monde.» Sa feuille de route doit le conduire jusqu’à la CAN 2024 en Côte d’Ivoire. Après ça, il pourrait bien venir dans un grand club européen, une autre manière de performance. «Il parle anglais et espagnol et il a toutes les compétences requises», assure Rudi Garcia.