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Auditions

Fiasco au stade de France: ce qu’il faut retenir des auditions de la RATP et la SNCF

Devant le Sénat, les responsables des groupes de transport se sont expliqués sur les images de vidéosurveillance, et ont contredit la version donnée par la FFF à la chambre Haute une semaine plus tôt.
Des supporteurs du Real Madrid à leur sortie de la station de métro Stade de France à Saint-Denis, le 28 mai. (Abdulmonam Eassa/AFP)
publié le 14 juin 2022 à 18h37

A leur tour. Après les ministres Gérald Darmanin et Amélie Oudéa-Castéra, le préfet Didier Lallement, les responsables de la Fédération française de football (FFF) et le maire de Liverpool, plusieurs grands pontes de la RATP et la SNCF ont dû eux aussi se soumettre aux questions des membres des commissions de la culture et des lois du Sénat, ce mardi, à l’occasion d’une nouvelle audition consacrée au fiasco de la gestion des foules aux abords du stade de France. Voici les principaux enseignements à en tirer.

La SNCF pas prévenue de l’engorgement des supporters

Le soir de la finale, le trafic du RER B a été affecté par une grève des agents RATP. De nombreux supporters se sont donc reportés sur la ligne D. Et les dispositifs de filtrage à l’arrivée au stade ont été débordés par cet afflux de spectateurs, dont une grande partie se serait présentée démunie de billets ou munie de faux billets.

Là-dessus, la SNCF certifie mardi n’avoir reçu «aucune alerte sur le thème “il y a des problèmes, on n’absorbe plus, donc retenez le RER D”, comme l’a expliqué Sylvie Charles, directrice de Transilien (la branche de la SNCF chargée des trains de la banlieue parisienne). Or, elle a rappelé que ses services transmettaient toutes les demi-heures aux organisateurs le nombre de supporters comptés à la sortie des deux gares du RER desservant le stade, sur les lignes B et D.

Les comptes pas ronds des voyageurs

Dans le détail, la RATP compte 36 000 personnes ayant emprunté la ligne 13 de 16 heures à 21 heures ce soir-là – ce chiffre était de 27 000 dans le diaporama du ministère de l’Intérieur dix jours plus tôt – tandis que la SNCF pointe de son côté 37 000 personnes, «plus de trois fois ce qu’on a d’habitude» sur le RER D, et 6 200, «le tiers de ce qu’on a habituellement», sur le RER B. Ce dernier total ne prend donc pas en compte les 10 500 voyageurs de la portion sud du RER B s’arrêtant à Gare du Nord, recensés et mentionnés par Gérald Darmanin lors de son audition : une façon de gonfler les chiffres dans le but de maintenir la version initiale d’un afflux inattendu et impossible à contenir pour les autorités en charge de la sécurité. Rien ne permet en effet d’affirmer que ces personnes sont toutes descendues à la station Gare du Nord pour reprendre un train de la portion nord, en direction du Stade de France.

La marge d’erreur concernant ce type de décompte est de l’ordre de 5%, a concédé le directeur général adjoint en charge des opérations de transport et de maintenance de la RATP, Philippe Martin. Le PDG de SNCF Voyages, Christophe Fanichet, précise quant à lui que «les comptages ont été réalisés manuellement par des agents».

La FFF était informée du report des voyageurs vers le RER D

C’était l’un des points les plus attendus : Philippe Martin s’est dit «un peu surpris des déclarations de la Fédération française de football» à propos d’un prétendu manque d’informations et de communication de la RATP. Lors d’une précédente audition au Sénat, le 9 juin, le directeur des affaires institutionnelles, Erwan Le Prévost, disait : «Si nous avions eu les informations en temps réel du détournement des flux du RER B vers le RER D, nous aurions pu repenser notre dispositif en début d’après-midi. La préfecture non plus n’avait pas eu l’information.»

Or ce mardi, Philippe Martin a fait remarquer qu’une réunion avec les autorités et les organisateurs, le 24 mai, «avait clairement précisé le plan de transport [et] clairement indiqué qu’on allait reporter une partie des flux de la ligne B vers la ligne D». «Il y a eu une dépêche AFP le 26 mai qui indique clairement que la RATP invite les voyageurs à utiliser prioritairement la ligne D», ajoute-t-il, tout en notant qu’un nouveau «point de situation» avait été fait avec la Fédération française de football le 27 mai, veille du match. En revanche, le même Philippe Martin précise bien que la gestion des flux entre le RER D et les points de préfiltrage n’a pas été soulevée «à [sa] connaissance» lors des entrevues préparatoires auxquelles il a pris part.

Pas de gros incidents notables à proximité des stations

Les représentants de la RATP et de la SNCF ont souligné en préambule que leur compétence s’arrête aux portes de leurs stations. Et tous deux ont indiqué qu’il n’y avait pas eu d’incident majeur dans leur domaine malgré la forte fréquentation. «Nos agents ont observé des jets de projectiles, bouteilles et autres, sur la rampe ouest. […] Ils ont constaté des supporters de Liverpool très énervés, particulièrement avinés […] Mais rien de grave. Il y a toujours des évènements au Stade de France. Ils ont également noté la forte présence de pickpockets sur les quais», relate Sylvie Charles, la patronne du Transilien. Des déclarations en contradiction avec les éléments cités dans le rapport du préfet Michel Cadot, lequel fait part d’actes de délinquance à l’encontre du personnel d’Ile-de-France Mobilités.

Des images de vidéosurveillance réclamées trop tardivement

Interrogés sur les images de vidéosurveillance enregistrées sur leurs réseaux le soir du 28 mai, les représentants des deux transporteurs rappellent qu’habituellement, «les images des gares et sur les abords immédiats sont conservées soixante-douze heures pour des raisons de stockage. Nous sommes réquisitionnés 7 000 fois par an pour des images», explique Jérôme Harnois, le directeur chargé de la maîtrise des risques, des enjeux de sûreté et des affaires institutionnelles.

Si la SNCF a détruit les vidéos prises à bord des trains, elle a en revanche conservé la plupart des images en gare. Le chef du PC sûreté a demandé que leur destruction soit interrompue à cause des deux incidents signalés dans les gares de Saint-Denis (une rixe et un début de bousculade à La Plaine Saint-Denis), confirme Sylvie Charles, directrice de Transilien. «Dans ce cas précis, comme nous avons eu un incident à la gare de Saint-Denis, la sûreté ferroviaire les a bloquées jusqu’à trente jours. Après, le vendredi 1er juin, la sûreté ferroviaire a reçu un appel de la brigade territoriale des transports lui demandant de bloquer les images. Une partie avait commencé à être effacée à la plaine Saint-Denis mais pas tout. Nous avons reçu des réquisitions le 2 juin», indique-t-elle.

Pour le reste des images, en revanche, les réquisitions n’ont été faites auprès de la justice que le vendredi 10 juin, soit le lendemain des auditions du préfet Lallement et de la FFF. Bien trop tard, donc. Jérôme Harnois insiste bien : «Il n’y avait pas de raisons objectives de conserver ces images» vu qu’il n’y a eu «aucun incident notable sur nos emprises».