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Finale de l’Euro : âpreté anglaise ou allégresse italienne?

Euro de football 2020 (en 2021)dossier
Décalée d’un an, la compétition européenne va connaître son dénouement dimanche soir à Wembley entre l’Angleterre et l’Italie, deux sélections aux collectifs huilés.
Les joueurs italiens célèbrent leur victoire contre l'Espagne en demi-finale de l'Euro, le 6 juillet. (Justin Tallis/Pool via REUTERS)
publié le 10 juillet 2021 à 10h20
(mis à jour le 10 juillet 2021 à 18h21)

Le football et sa part de beauté. L’Euro termine son histoire ce dimanche au terme d’un mois emballant, un peu fauve. Un tournoi éclaté dans tous les confins de l’Europe, de Séville à Bakou, qui trouve pour chapitre final deux pays hôtes, l’Angleterre et l’Italie. Deux équipes comme des bandes. Les Italiens rieurs et heureux, qui disputent leur quatrième finale d’un championnat d’Europe (une victoire en 1968). L’Angleterre puissante, un peu rustique, à domicile tout du long ou presque, à part ces vacances à Rome contre l’Ukraine, en quart de finale. Dans leur antre de Wembley, qui doit crépiter d’au moins 60 000 âmes, les Three Lions se confrontent autant à la Nazionale qu’à leur passé, à ces récits de lose narrés au fond du pub depuis cinquante-cinq ans et leur sacre en Coupe du monde en 1966.

Le match, programmé à 21 heures, se jouera sur le défi physique des Anglais, ou les piqûres italiennes. Ou les deux. Ou rien de cela. Les deux nations partagent peu, mais elles partagent l’essentiel. La pulpe : l’équipe. On ne sait jamais si, dans les grandes compétitions, c’est le succès qui fait le collectif ou le contraire. Jusqu’où l’harmonie d’un groupe est capable de l’amener. Souvent peuplée de golden boys mais disloquée par les tensions produites par les joutes entre clubs de Premier League, l’Angleterre respire cette fois d’un bloc. Un «esprit», raconte Gareth Southgate, enfanté dans la douleur. Son Angleterre est née deux fois. La première, un soir de juillet 2018, en demi-finale de Coupe du monde contre la Croatie. Une défaite en sous-œuvre de l’aventure de cet été (la croyance, la confiance acquises). La deuxième : fin mai, lors des matchs de préparation pour le championnat d’Europe, lorsque les joueurs anglais décident, avant le coup de sifflet, de poser un genou à terre contre le racisme et en soutien au mouvement Black Lives Matter. Systématiquement, ils récoltent des huées de certains supporteurs dans les tribunes. Mais poursuivent, rencontre après rencontre. La politique s’en mêle. La très droitière secrétaire d’Etat à l’Intérieur, Priti Patel, soutient le droit de siffler l’équipe nationale. Le Premier ministre, Boris Johnson, refuse de condamner les huées. Gareth Southgate, lui, assure que «ça ne va pas arrêter ce en quoi nous croyons».

Des types cuirassés

Car son équipe est une boule politique. Dans une lettre ouverte à la nation, publiée trois jours avant l’Euro, Southgate, qui a un jour déclaré que l’équipe nationale avait «besoin d’un Churchill», promeut à la fois son sens du devoir patriotique et la lutte de ses joueurs «pour la justice, l’inclusivité, et contre les inégalités raciales». L’ancien international Gary Neville, consultant le plus apprécié du royaume, s’exclame à l’antenne, à la fin de la demi-finale contre le Danemark, devant 25 millions de téléspectateurs : «Le niveau des dirigeants de ce pays au cours des deux dernières années a été affligeant. Et à regarder cet homme là-bas, c’est tout ce qu’un dirigeant devrait être. Respectueux. Humble. Il dit la vérité. Authentique. Il est fantastique, Gareth Southgate. Il est vraiment incroyable.»

L’homme a réussi à coaguler ses 26 joueurs et à les tenir à ce cadre, cette idée : ils seront rudes à faire ployer. Des types cuirassés. Luke Shaw, arrière gauche, international à 18 ans. A 20 ans, une jambe brisée à tel point qu’il échappe de peu à l’amputation. Raheem Sterling, étoile de la compétition. En Premier League à 17 ans, père au même âge, constamment traqué par les tabloïds – une affaire de chicha, un tattoo de flingue sur le mollet… Marcus Rashford, attaquant remplaçant mais symbole de cette équipe, au moins dans l’opinion. La dernière année passée à élaborer des campagnes contre la pauvreté infantile à Manchester, jusqu’à faire plier le gouvernement sur cette question, ce qui lui a valu des montagnes de haine sur les réseaux sociaux – un footballeur doit rester à sa place de footballeur.

Une «meute de loups»

Depuis son premier match contre la Croatie, l’Angleterre n’a concédé qu’un seul but, sur coup franc direct contre le Danemark, en déployant une âpreté dans les duels. Au contraire de l’Italie, qui a construit son épopée sur la percée, l’élan permanent, un pressing très haut et des latéraux très actifs. Une équipe qui sécrète la joie, unifiée par le terrain et cette impression de jouer de tout son soûl : les joueurs racontent vivre leur meilleur football. La sélection comme une équipée. Claudio Ranieri, un entraîneur transalpin dont la voix compte, parle d’une «meute de loups». Dès la troisième rencontre, le sélectionneur avait donné des minutes sur le terrain à tous ses joueurs de champ. Leonardo Bonucci, 34 ans, dernier rescapé avec son compagnon de la charnière centrale Giorgio Chiellini de la finale de l’Euro 2012 perdue contre l’Espagne, déclare vendredi : «Ce qui va se passer pendant cette finale, ce sera le meilleur spectacle pour le football européen et mondial, de la part de l’Angleterre, de l’Italie et du corps arbitral. On n’a aucune excuse, pas de fatigue, rien. On sera prêts à livrer bataille.»

Roberto Mancini est un entraîneur jouisseur. Un numéro 10 du banc, qu’il portait autrefois avec la Sampdoria de Gênes. Il dit, peu de temps après avoir pris en main la sélection en 2018 : «C’est vrai, la chose que je regrette le plus, c’est de ne plus être footballeur. J’aimerais revenir en arrière et recommencer à jouer. C’est l’une des plus belles choses de la vie. Ce qu’un enfant veut en tant qu’enfant.» Par ce jeu sincère, Roberto Mancini a élaboré le commun, cette force collectiviste qui a permis à la Nazionale de sortir de sa poule avec trois victoires en autant de matchs. Avant de mener la plus belle partition de la compétition contre la Belgique, en quart de finale. Federico Chiesa, buteur contre l’Espagne en demi-finale, loue «l’enthousiasme instillé dans le groupe». Le lutin Lorenzo Insigne, attaquant, après la Belgique décrit : «Je n’ai jamais joué avec un aussi grand sourire. C’est comme jouer de nouveau avec mes copains à la maison durant la semaine. Je prends vraiment beaucoup de plaisir. Et Roberto Mancini mérite du crédit pour ça. Il nous permet de produire notre meilleur football.» Il répète : «Le sourire sur notre visage. C’est notre secret.»