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Sacre

Football : c’était le championnat de Lille 1

Les hommes de Christophe Galtier, vainqueurs dimanche soir à Angers, subtilisent le titre au PSG de Mbappé. Au terme d’une saison maîtrisée où le collectif du Losc a fini par payer, emmené par le Turc Yilmaz.
L'entraîneur Christophe Galtier et l'attaquant turc Burak Yilmaz célèbrent le titre de champion de France obtenu après une victoire à Angers. (LOIC VENANCE/AFP)
publié le 24 mai 2021 à 8h05

Douche au champagne et hommage ému à un parent défunt à Angers, des milliers de personnes bravant le couvre-feu à Lille pour s’entasser sur la Grand-Place où la colonne de la Déesse était affublée d’une écharpe rouge aux couleurs du Losc : quatrième titre de l’histoire du club nordiste dimanche après une victoire à Angers (2-1), plus tranquille que ne l’indique le score, où les joueurs lillois ont su maîtriser la pression et le stress qui les avaient rattrapés le week-end précédent devant l’AS Saint-Etienne (0-0). Une équipe solide, très difficile à prendre en raison de son agressivité générale et de la qualité de son pressing et voilà le grand Paris-SG, 600 millions d’euros de budget – soit quatre fois celui du Losc à la louche – qui passe par-dessus bord, ce qui a mis Kylian Mbappé en rogne. Un titre, quatre points.

La phrase : «Un groupe honnête et bienveillant»

On hésite. Dans une perspective à la fois sportive et intime, le milieu Benjamin André a dit ceci vendredi, en amont du match d’Angers : «Quand tu es dans les équipes de jeunes, tu as pas mal de possibilités de gagner des coupes, des tournois… Quand tu passes professionnel, c’est plus rare. Etre champion de France, ça marque la réussite d’un groupe, d’une histoire, d’une ville. Tous ceux qui sont allés chercher ensemble un titre de champion sont liés à jamais. Cela va au-delà du football. Gagner un titre, c’est quelque chose de très difficile, de rare. Certains grands joueurs n’ont pas de palmarès.» Son entraîneur, Christophe Galtier : «J’ai eu un groupe extraordinaire cette saison. On a souvent parlé d’un bloc compact [et agressif, allant chercher l’adversaire, ndlr] pendant les matchs mais cela s’est aussi vu en dehors du terrain, depuis ceux qui ont joué à ceux qui n’ont pas joué du tout. Je pense à Eugenio Pizzuto [milieu mexicain de 19 ans, ndlr] qui n’a jamais joué. Tous les jours, ses coéquipiers avaient des mots gentils pour lui. C’est un groupe honnête et bienveillant. Ils ont énormément travaillé, en plus dans un environnement difficile [allusion au coronavirus et aux huis clos, ndlr]. Ils n’ont jamais rien lâché et ils ont toujours su se remettre en question. Ils m’ont suivi aussi, quelquefois sur des chemins où ils ne m’attendaient pas.»

Le joueur : Burak Yilmaz

100 000 euros. Pour ne pas avoir voulu lâcher ce bonus en juin 2020 à leur attaquant Loïc Rémy, qui acceptait de re-signer après deux saisons probantes dans le Nord à des conditions salariales inférieures si la direction lui offrait cette prime, le club a vu l’international tricolore filer en Italie. Ce qui l’a conduit à aller chercher un autre joueur libre, turc, plus de toute première fraîcheur (35 ans) qui terminait à Besiktas son tour de tous les plus grands clubs de son pays (Fenerbahçe, Galatasaray, Trabzonspor) entrecoupé d’une exotique parenthèse en Chine. Burak Yilmaz est l’homme clé du titre lillois : outre ses 16 buts en 28 matchs de Ligue 1 et une blessure au mollet qui a coïncidé avec la seule période de creux de l’équipe en début d’année, le capitaine de la sélection turque a tiré le groupe en matière de leadership et d’agressivité («Il ne peut rien vous arriver, vous êtes des chiens de combat», lâché la semaine dernière après le 0-0 contre l’AS Saint-Etienne), disputant le moindre petit jeu d’entraînement comme si sa réputation en dépendait définitivement ou défiant son coach quand celui-ci prenait l’initiative de le remplacer pour l’économiser.

Il n’y eut parfois pas de trop de la sagesse (Mike Maignan) ou de la tempérance (José Fonte, Benjamin André) des trois autres joueurs cadre lillois pour contenir les poussées éruptives du natif d’Antalya, proche du Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan qui lui a réglé un divorce compliqué et sur lequel Yilmaz refuse désormais de s’exprimer. Un catalyseur, à la fois chef de bande et individualiste forcené, à l’image (toutes proportions gardées) d’un Zlatan Ibrahimovic. Qui n’aurait jamais mené les Nordistes au titre si ceux-ci avaient été moins chiches de 100 000 euros. A quoi tiennent les choses…

Le paradoxe : un vestiaire comme un showroom

Depuis l’arrivée de Christophe Galtier en décembre 2017 dans un club alors sous le coup d’une interdiction de recrutement, le Losc a tout bien fait. L’ex-directeur sportif officieux (il était salarié d’une holding luxembourgeoise coiffant le club) Luis Campos est allé chercher des wagons de jeunes joueurs – Victor Osimhen, Jonathan David, Zeki Celik, Sven Botman, Reinildo… – que Galtier a fait progresser dans des proportions exceptionnelles. Ce même Galtier a eu le talent de ne perdre aucun joueur en route ou presque, les résurrections cette saison d’un David systématiquement aligné cet automne alors qu’il a été en échec pendant près de deux mois ou d’un Timothy Weah dans lequel plus personne au club ne croyait passant dans le milieu pour de véritables tours de force.

Le Marseillais de naissance aura en outre su faire naître et entretenir un esprit de corps inoxydable, dans un style ferme – voire dur – qui n’a rien concédé à la démagogie parfois en vigueur dans les vestiaires professionnels, où l’entraîneur fait copain avec quelques cadres (intouchables, du coup) pour s’offrir à peu de frais une garde rapprochée. Et les joueurs ont pour la plupart rendu tout ce qu’ils pouvaient, donnant pour certains l’impression de surperformer grâce à la puissance collective de l’équipe.

Et conséquemment, puisque tout a été (très) bien fait, cette équipe sera détruite ; un vestiaire comme un showroom où l’Europe entière est invitée à faire ses emplettes et un Christophe Galtier qui, se sachant en fin de cycle puisque les joueurs l’ayant mené au titre de champion de France vont s’envoler, quitte le Nord pour l’OGC Nice d’Ineos ou (plus vraisemblablement ?) l’Olympique lyonnais de Jean-Michel Aulas. Paradoxe ? En apparence seulement. Pour suivre un modèle économique sur le fil du rasoir, où le blanc-seing de la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) qui contrôle la solvabilité des clubs pros est conditionné chaque année à plus d’une centaine de millions d’euros de recettes sur le marché des transferts, Lille existe comme ça. On peut déplorer une logique qui est aussi celle de l’époque, où la réussite sportive mène in fine à une petite mort. Ou au contraire se féliciter de voir le Losc pousser cette logique au bout du bout, plus nettement qu’une écrasante majorité des clubs de L1 alors même que ceux-là tendent bel et bien vers ce même modèle de trading, devenu la seule issue visible en l’absence de garantie sur le montant des droits télés des saisons à venir.

Le chiffre : 8 défaites pour le PSG

Deuxième le Paris-SG vient mourir à 1 point de Lille : dans un football contemporain à ce point indexé sur la puissance financière respective des clubs et sans rien retirer (ce serait plutôt le contraire) aux mérites des Nordistes, Lille est champion parce que les triples tenants du titre lui ont entrouvert la porte. Après la victoire parisienne (2-0) à Brest dimanche, Mbappé a été à la fois elliptique et fataliste : «Je ne vais pas dire ce qu’on [son club] va faire à l’avenir, je ne suis que joueur. Les gens ont vu, tout le monde a vu. Et quand les gens voient, c’est plus facile de tirer des conclusions.» C’est la faiblesse de l’effectif parisien, où patrouillent une petite dizaine de joueurs beaucoup trop juste (Alessandro Florenzi, Thilo Kehrer, Colin Dagba, Ander Herrera, Pablo Sarabia, Mauro Icardi, Mitchel Bakker, Abdou Diallo) pour les objectifs et le niveau de pression du club de la capitale, que pointe l’attaquant tricolore du doigt.

Sur un match, le PSG a montré en Ligue des champions qu’il pouvait serrer les vis. Mais sur une saison… Le coach lillois a réagi voilà une semaine à une première salve de Mbappé («Ce n’est pas Lille qui aura gagné le titre mais nous qui l’aurons perdu»), tout en douceur : «Mbappé est un joueur exceptionnel et je pense qu’il sera exceptionnel toute sa carrière. Il gagnera en maturité.» C’est-à-dire, si l’on comprend bien, qu’il apprendra à taire les choses qu’il pense. Galtier ne doit cependant pas s’y tromper. L’intention de l’attaquant des Bleus n’est pas de minimiser la performance lilloise, mais de mettre sa propre direction au pied du mur et de demander au club parisien les moyens de tenir ses propres ambitions.